Après avoir longtemps résidé dans son appartement situé rue de Grenelle à Paris, l'écrivain Julien Gracq retournait dans la maison familiale située, Rue du Grenier-à-Sel à Saint-Florent-Le-Vieil. La demeure du bord de Loire est depuis dix ans une résidence d’accueil pour les auteurs, après qu'elle fut léguée par l'Angevin à une association soutenue par la commune et la région. Cette dernière entend à présent se désengager, mettant en danger le dernier projet de l'auteur du Rivage des Syrtes...
Le 19/11/2024 à 17:42 par Hocine Bouhadjera
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19/11/2024 à 17:42
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La raison ? Une baisse significative des subventions est prévue pour 2025, suivie d’une suppression complète envisagée pour 2026, partage Ouest France. La Maison Julien Gracq a reçu un appel de la région jeudi dernier, transmettant ce même message, mais sans fournir de précisions quant aux dates.: « Nous sommes extrêmement préoccupés, car nous manquons de visibilité sur ce que signifieront concrètement ces coupes pour notre programmation », confie à ActuaLitté Jérémy Fabre, le directeur.
Ce qui surprend le plus ce dernier, c'est le caractère tardif de cette décision, ne laissant pas la structure le temps de s'adapter : « Notre programme 2025 est déjà acté, avec la budgétisation qui va avec, et des premières résidences prévues pour janvier prochain. Nous pourrions être contraints de nous retirer de nos engagements envers les auteurs qui ont planifié en fonction de ceux-ci. Les invitations sont déjà envoyées. »
L'année précédente, la Maison Gracq avait déjà dû s'adapter à une baisse de 5% des subventions, compensée par la conclusion de nouveaux partenariats, tels que l'Institut français et la Fondation de France. En 2022, 70% des fonds provenaient de la région, un chiffre tombé à 40% en 2024, dû à la signature de nouvelles collaborations.
Toutefois, ces derniers ne contribuent qu'aux projets spécifiques, et non au fonctionnement général de la résidence : « Le désengagement de ce qui fait la base du financement de La Maison Julien Gracq, pourrait pousser nos partenaires actuels à faire de même. Ces collaborations dépendent aussi de l'engagement des pouvoirs publics. » Actuellement, la région contribue avec une subvention de 120.000 euros destinée aux résidences d'auteurs et une aide de 15.000 euros pour le festival organisé par l'association.
Une autre réussite pour l'association qui gère la Maison Julien Gracq en 2024 est d'avoir atteint l'objectif d'une occupation complète des trois appartements de la demeure médiévale tout au long de l'année, avec une vingtaine de résidents accueillis. Parmi les chanceux de cette année, on peut citer Abigail Assor, Kenan Görgün, ou encore l’International Booker Prize 2022, Geetanjali Shree. Pour l'année 2025, la musicienne iranienne Ava Rasti est par exemple prévue pour séjourner deux mois dans la bâtisse de Saint-Florent.
Un désengagement d'autant plus surprenant du côté de la région, que le président du conseil d'administration de la Maison Julien Gracq n'est autre qu'Armel Pécheul, membre du Conseil régional, quand le Vice-Président est le maire de Saint-Florent-le-Vieil.
Jérémy Fabre souligne auprès d'ActuaLitté un dernier aspect : « Le legs patrimonial de la maison, désignée comme une Maison des Illustres, représente un projet peu commun. L'auteur, de son vivant, a choisi de faire de cette maison un centre de création contemporaine plutôt qu'un musée. La littérature vivait à travers la création contemporaine pour le grand auteur, une vision directement issue de l'auteur qui transforme ce lieu en une résidence d'artistes. » Il en va ainsi de la survie de la vision du grand écrivain régional.
Outre les moyens nécessaires à l'accueil des auteurs - une centaine depuis l'ouverture -, les coupes régionales toucheraient également les interventions dans les lycées, les prisons d’Angers et Nantes, ainsi que dans les EHPAD, ou encore les balades littéraires coordonnées par la maison.
Si la question de la survie se pose de manière immédiate, avec des enjeux à très court terme, Jérémy Fabre et son équipe restent dans la même optique : « Nous sommes de toute façon constamment à la recherche de nouveaux partenaires, avec de nouvelles collaborations intégrées chaque année à notre programme. Pour 2025, nous avons pour objectif de continuer à remplir la maison, soutenus par ces initiatives planifiées et par le dynamisme de tous. »
On l'aura compris, il n'y a pas qu'au niveau national, qu'on entend réaliser de grosses économies : le Conseil régional du Pays de la Loire a annoncé, par l'entremise de sa présidente, Christelle Morançais, des économies de 100 millions d'euros, dont 40 millions à la demande de l'État et 60 millions de son propre chef, auprès d'Ouest France, le 11 octobre dernier. Le vote du budget régional est prévu le 19 décembre prochain. Jusqu'à présent, la région n'a pas spécifié les proportions exactes ni établi un calendrier précis pour les réductions budgétaires annoncées.
Outre la Maison Julien Gracq, c'est plus généralement tout le monde culturel du Pays de la Loire qui s'inquiète des annonces de la présidente de région. « J’ai eu énormément de contacts avec des lieux qui s’inquiètent pour leur situation après avoir reçu un appel de la région ces derniers jours » , a notamment déclaré ce week-end à l’AFP Yves Jourdan, le responsable du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) pour les Pays-de-la-Loire.
Et de développer : « Pour beaucoup, c’est moins 50% de subvention régionale en 2025, et plus rien dès l’année suivante. On l’a annoncé clairement aux pôles culturels régionaux. Et pour d’autres structures dans lesquelles la région est moins impliquée, c’est l’arrêt des subventions directement l’an prochain ». La baisse du budget consacré par la région à la culture serait, selon « différents acteurs » joints par l’AFP, de l’ordre « de 75% »...
D'après Libération, il est également prévu que la région arrête complètement de subventionner la Maison de la poésie de Nantes à partir de 2025, qui reçoit actuellement 59.000 euros.
L'association Mobilis, ou Pôle régional de coopération des acteurs du livre et de la lecture en Pays de la Loire, alerte de son côté : « Il faut s’attendre à ce que le secteur culturel soit très fortement impacté. » Et de continuer : « Cette décision inédite, prise sans concertation avec les actrices et acteurs concernés, met en péril un certain nombre de structures (employeuses ou non), alors même que la saison culturelle est largement entamée et que des dépenses sont déjà engagées. Les conséquences financières et sociales risquent d’être dramatiques pour le secteur culturel et son écosystème. »
Face à cette situation, les six pôles culturels régionaux ont mis en place un questionnaire pour évaluer l'impact potentiel des réductions significatives, voire des cessations de financement, sur les diverses branches du secteur culturel. L'objectif est de recueillir des données chiffrées et factuelles qui aideront à démontrer concrètement les conséquences des coupes budgétaires sur le secteur culturel.
« Si vous exercez une ou plusieurs activités culturelles en Pays de la Loire, que vous soyez soutenu ou non par la Région, vous pouvez contribuer à la reconnaissance de votre secteur en renseignant ce questionnaire et en le diffusant auprès de vos contacts. Compte tenu de l'urgence de la situation, merci de vous mobiliser largement pour que nous puissions recueillir un maximum de réponses d'ici le 26 novembre prochain (minuit) », achève la Mobilis.
La présidente encartée au parti Horizons d’Edouard Philippe, qui a succédé à Bruno Retailleau à la tête de la région, a ouvertement répondu sur le réseau social X aux critiques reçues pour la réduction des subventions aux structures culturelles, le 12 novembre dernier : « La culture serait donc un monopole intouchable ? Le monopole d’associations très politisées, qui vivent d’argent public. Je suis la cible de militants qui m’accusent de vouloir arrêter les subventions régionales à leurs structures. A moi seule, je voudrais “détruire la culture” (la culture subventionnée, je précise) … Rien que ça ! »
Avant de s'interroger : « Quelle est la pérennité d’un système qui, pour exister, est à ce point dépendant de l’argent public (y compris venant de collectivités dont les compétences légales en matière de culture sont très limitées) ; et à plus forte raison quand cet argent public n’existe plus ? Un système dont on constate, en plus, qu’il est, malgré les subventions dont il bénéficie, en crise permanente ! N’est-ce pas la preuve que notre modèle culturel doit d’urgence se réinventer ? Attention : poser la question, c’est s’exposer à l’habituel procès en « fascime » ou, c’est à la mode actuellement, en « trumpisme »… Mais j’assume, et cette question, je la pose clairement ! »
Ce matin, Christelle Morançais a informé le personnel du siège de la Région que, face à la crise budgétaire, 100 postes ne seront pas remplacés d'ici à la fin de son mandat, soit 10% de nos effectifs.
En Île-de-France aussi, les prévisions budgétaires pour 2025 font craindre des coupes sévères dans le secteur culturel. Valérie Pécresse, présidente de région, a critiqué un « coup de rabot aveugle et injuste » imposé par l’État, avec une possible réduction significative des fonds alloués, notamment pour les bibliothèques.
Crédits photo : D.Drouet (Maison Julien Gracq)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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