Comment illustrer les grands classiques ? C’est la question que nous avons posée à Benjamin Lacombe, l’artiste qui a donné vie aux personnages de Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles (trad. Henri Parisot, Soleil), sublimé La Petite Sirène de Hans Christian Andersen (Albin Michel Jeunesse) et récemment façonné le visage de Dorian Gray dans sa nouvelle collection de livres illustrés pour adultes, Papillon Noir, publiée chez Gallimard.
Le 19/11/2024 à 14:51 par Louella Boulland
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Publié le :
19/11/2024 à 14:51
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Avec ses pinceaux et son imaginaire foisonnant, Benjamin Lacombe illustre les grands classiques de la littérature. Passionné, il insuffle une seconde vie à des chefs-d’œuvre intemporels, transformant Alice au pays des merveilles, Bambi, ou Le Portrait de Dorian Gray en véritables bijoux visuels.
Illustrer, du latin illustrare, signifie « éclairer ». Pour Benjamin Lacombe, c’est précisément l’objectif : offrir un nouvel éclairage aux textes, permettant une lecture différente. « On me le dit souvent : grâce à vos illustrations, j’ai redécouvert le texte », nous confie-t-il.
Derrière ses pages magnifiquement illustrées, et un livre-objet soigneusement étudié, on découvre un artisan minutieux, fasciné par l’émotion des textes et qui croit profondément au pouvoir des images. Rencontre avec un artiste qui, à force de travail et de passion, réconcilie texte et dessin pour mieux séduire les lecteurs d’hier et d’aujourd’hui.
ActuaLitté : Vous avez un style bien à vous. Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
Benjamin Lacombe : Cela évolue en fonction des projets, sans compter que je fais ce métier depuis 20 ans, donc ça a eu le temps de changer. Si je travaille sur un livre lié au Japon, je vais m’inspirer des costumes traditionnels japonais. Pour Le Portrait de Dorian Gray, mes références incluent des peintres comme Caspar David Friedrich, le romantisme, et tout l’univers victorien. C’est assez large.
Ce qui m’inspire beaucoup aussi, ce sont les gens que je rencontre. Ces échanges donnent souvent naissance à mes personnages. Le réel est, selon moi, une source inépuisable.
Ressentez-vous une pression particulière en illustrant des chefs-d’œuvre de la littérature ?
Benjamin Lacombe : Au début, oui, beaucoup. Par exemple, Alice au pays des merveilles, j’ai hésité longtemps avant de m’y attaquer. C’est une œuvre si connue, avec tellement de versions précédentes, qu’on se demande forcément ce qu’on peut apporter de nouveau.
Mais une fois plongés dans le texte, on découvre des détails fascinants. C’est par exemple ce qui s’est passé avec La Petite Sirène. En étudiant Hans Christian Andersen, j’ai appris qu’il avait adressé des lettres d’amour à un homme. En retraduisant le manuscrit, nous avons découvert une fin inédite, jamais publiée. Et tout cela apporte un éclairage nouveau, que je retranscris dans mon travail.
Que peut apporter l’illustration à un roman initialement publié sans images ?
Benjamin Lacombe : C’est une question à la fois philosophique et subjective. Nous vivons dans une société saturée d’images, omniprésentes sur les réseaux sociaux ou dans nos échanges numériques. Pourtant, ces images ont presque disparu des livres, laissant place au seul texte écrit.
Un paradoxe, quand on sait que de nombreux ouvrages étaient illustrés à l’origine, avant qu’on ne leur retire cette dimension visuelle. Oscar Wilde lui-même attachait une grande importance au livre en tant qu’objet, où texte et image coexistaient harmonieusement.
À LIRE – Papillon Noir : une nouvelle collection Gallimard, par Benjamin Lacombe
Mais l’illustration peut apporter un nouvel éclairage sur une œuvre. Les lecteurs m’ont par exemple confié avoir été étonnés de trouver un Quasimodo roux, lorsque j'ai travaillé sur Notre Dame de Paris, de Victor Hugo (Soleil). Sûrement parce que c’est dit deux fois dans tout le texte. Et pourtant, ce détail a toute son importance : il ostracise encore plus ce personnage, car c’est au Moyen-Âge. Tout cela met en avant des détails qui ont une grande importance, et complète la lecture.
Comment adapte-t-on un classique en 2024 ? Prenez vous le parti d’un illustrateur du 21e siècle et la modernité qui va avec, ou tentez-vous de rester fidèle au récit ?
Benjamin Lacombe : Ce n’est pas incompatible. Je suis un artiste du 21e siècle, avec une culture artistique contemporaine. Alors, c’est certain, les livres que je crée aujourd’hui ne pourraient pas exister en 1880, par exemple. Cela ne veut pas dire que j’essaie de moderniser le texte, car il doit rester prédominant. Mon objectif est plutôt d’en restituer l’émotion.
De quoi un classique littéraire a-t-il besoin pour que vous ayez envie de l’illustrer ?
Benjamin Lacombe : C’est du cas par cas. Généralement, il faut une connexion forte avec le récit, et c'est souvent une lecture d’enfance ou d’adolescence qui m’a profondément marquée. Parfois, je découvre un texte, comme Bambi, et il me touche instantanément.
Je lis beaucoup de littérature du 19e siècle, et ça se voit sûrement dans les choix que je fais. Il y a des textes que j’aime lire, mais que je ne souhaite pas illustrer. C’est notamment le cas pour des récits très contemporains, qui mettent en scène une sorte de quotidienneté. J’ai besoin d’un univers qui me porte graphiquement.
Quel est le travail préparatoire nécessaire à la réalisation de vos dessins ?
Benjamin Lacombe : La première étape est de relire le texte plusieurs fois pour repérer tous les détails, comme les descriptions physiques des personnages. Ces multiples lectures m’en disent beaucoup, car, parfois, des informations peuvent nous échapper. C’est le cas de Quasimodo et de ses cheveux roux, comme je l’expliquais auparavant.
Ensuite, je fais un découpage pour définir les scènes clés à illustrer. On intègre ensuite le texte à la maquette, on ajuste le rythme entre image et texte, puis je passe au dessin, aux recherches de costumes, et à la finalisation classique d’un ouvrage.
Comment se déroule le dialogue avec les éditeurs lorsqu’il s’agit d’illustrer un classique ? Ont-ils des attentes précises ou vous laissent-ils une totale liberté artistique ?
Benjamin Lacombe : Pour l’illustration des classiques, mon statut est particulier, car je suis également directeur de collection. Cela me donne une liberté totale. Je ne m’autocensure pas, et n’ai aucune attente, si ce n’est vis-à-vis de moi-même pour produire le meilleur livre possible.
Et lorsque je travaille avec d’autres auteurs, comme Sébastien Perez ou Marco Mazzoni, on discute ensemble des attentes et de leurs envies. Ils ont une grande liberté artistique, et je pense qu’elle est essentielle.
Dans d’autres interviews, vous avez confié être plus connu à l’étranger qu’en France. D’après vous, pourquoi le public français est-il moins réceptif ?
Benjamin Lacombe : Pour plusieurs raisons, mais c’est probablement lié à la culture. En France, il y a une séparation très marquée entre texte et image, notamment chez les adultes. C’est aussi ce qui a fait la réputation de la collection blanche, de chez Gallimard. C’est un choix lourd de sens pour eux que de m’avoir confié une collection qui redonne de l’image aux textes classiques.
Dans les pays anglo-saxons ou en Amérique latine, cette distinction n’existe pas. On y conserve une culture de l’illustration dans les livres pour adultes. En France, il faut parfois « rééduquer » les lecteurs pour qu’ils acceptent qu’un livre illustré ne soit pas réservé aux enfants.
Pour certains lecteurs, les classiques peuvent sembler intimidants ou trop ancrés dans le passé. Pensez-vous que vos illustrations peuvent aider à les rendre plus accessibles aux nouvelles générations ? Si oui, comment ?
Benjamin Lacombe : Oui, absolument. On me dit souvent que mes illustrations aident les lecteurs à surmonter leur appréhension face à des textes jugés intimidants ou trop longs.
Nous vivons dans une société où le temps manque, les gens sont stressés, et l’image peut jouer un rôle de facilitateur. Les jeunes, habitués aux récits visuels des réseaux sociaux, aux émojis, sont particulièrement sensibles à cela, car ils racontent eux aussi des histoires à l’aide des images.
Quelle est l’adaptation sur laquelle vous avez préféré travailler ? Et quelle a été la plus difficile ?
Benjamin Lacombe : Chaque adaptation est unique et m’a profondément marquée. Alice au pays des merveilles a été un tournant important, tout comme Le Portrait de Dorian Gray ou Bambi, qui m’ont touché pour des raisons très différentes.
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Je ne dirais pas que la notion de plaisir intervient dans le processus créatif. C’est un travail exigeant, qui demande du temps, de la recherche, et je mets souvent une certaine pression pour produire le meilleur livre possible. Alors, ça ne se fait pas dans la facilité. Même si, au final, j’en tire beaucoup de plaisir...
Pourquoi devrais-je en choisir une seule ? Elles sont toutes merveilleuses et m’ont apporté quelque chose de différent.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Benjamin Lacombe : Et bien, j’ai beaucoup de projets en tête. Mais, dans l’immédiat, je suis très content de travailler sur la collection Papillon Noir que j’ai lancée avec Gallimard. J’ai toujours rêvé de mélanger des réinterprétations de classiques et la création de textes originaux. On façonne de véritables livres objets, qui rendent la lecture très immersive, où tout participe à la narration. C’est passionnant à faire.
Le plus récent, Les Sorcières de Venise, signé Sébastien Perez et Marco Mazzoni, incarne parfaitement cette approche. Il apporte une dimension inédite, où textes et illustrations dialoguent étroitement. Même le papier et le style d’écriture évoluent au fil du récit, et offrent une expérience immersive. C’est ce type de livre-objet que je souhaite continuer à explorer à l'avenir.
Crédits image : Travail personnel de Benjamin Lacombe / © Benjamin Lacombe
Par Louella Boulland
Contact : lb@actualitte.com
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3 Commentaires
Félix
20/11/2024 à 06:35
Très intéressant. On dit couramment que l'image - dans les cultures modernes - est éloquente, qu'elle vaut mille mots. On pourrait même, dans ce contexte littéraire, aller plus loin et dire en.parodiant que "les écrits s'envolent, mais que les images restent". Personnellement, je crois que relire un texte, que ce soit un grand classique comme "Le Père Goriot" de Balzac ou "La Vendetta" de Maupassant, à cinquante ans de distance, apporte plus d'éclairage sur les motivations premières de l'auteur, puisqu'avec le passage du temps, l'on a tendance à lire avec plus d'acuité, l'expérience et la connaissance aidant notamment à lire très souvent entre les lignes et à trouver intertextuellement des choses qui n'y étaient pas lors de la lecture initiale originelle.
Mary
20/11/2024 à 19:25
J'ai en 1er lieu rencontrer les dessins de Rebecca d'Autremer, et quand j'ai découvert Benjamin lacombe, (je trouve qu'il y a dans certains dessins un petit côté Tim Burton donc j'admire le travail et l''audace) j'ai trouvé un monde fascinant et beaucoup de petits détails qu'il faut prendre le temps d'observer..... ses collaborations avec Sébastien père sont tous des chefs d'œuvre (ils font un travail unique et magnifique à eux deux...... et puis il y a les illustrations d'écrivains comme Hugo ou Lewis Carol, JE SUIS EN ADORATION DES TEXTES DE MAUPASSANT.... alors j'attends.....
Fab
22/11/2024 à 13:08
Ses illustrations font très IA graphique, dommage que son style personnel soit aujourd'hui noyé dans ce style artificiel qu'on trouve partout pour pas un euro...