Née en 1993 à Djelfa, Saâda Arbane a miraculeusement survécu à une attaque terroriste ayant décimé une grande partie de sa famille et où elle a été, elle-même, égorgée. L’histoire de cette sportive qui « ne parle pas » est bien connue des Oranais. Et désormais, aurait rapporté un Prix Goncourt à un romancier... par Faris Lounis.
Le 18/11/2024 à 10:59 par Auteur invité
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18/11/2024 à 10:59
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La presse mainstream en France, du Monde à Valeurs Actuelles, en passant par Libération et Le Point, dénonce par avance tout questionnement littéraire ou idéologique des dits et écrits de celui qui vient de recevoir le Goncourt pour son Houris (Gallimard, 2024). Mais cette mise en cause venant d’Algérie, si elle était avérée, serait de nature à rompre sur le plan éthique cet unanimisme médiatique autour du « roman le plus féministe de la rentrée » (Frédéric Beigbeder) par lequel « une jeune rescapée […] de la guerre civile algérienne [mettrait] enfin des mots sur son histoire » (Elle, 04/11/24).
Sur One TV, Saâda Arbane estime en effet que cet auteur qui prétend donner la parole aux femmes de son pays face aux islamistes aurait en réalité « dépossédé une victime du terrorisme de son histoire, de sa vie, contre son gré », et malgré « les refus catégoriques de ses parents de leur vivant ».
Elle assure que l’auteur algérien aurait « exploité son histoire personnelle sans son consentement », voire en utilisant abusivement des confidences recueillies dans un cadre médical. Ayant « mis plus de vingt-cinq ans pour oublier » son « traumatisme », elle estime que Kamel Daoud aurait « remué les plaies » d’une histoire dont elle estimait « la seule à décider comment [elle devait] sortir ».
« Ma famille et mon entourage, qui savaient que je ne voulais pas parler de cette histoire, étaient choqués », témoigne-t-elle, ajoutant que cette histoire, « c’est quelque chose qui me perturbe dans ma vie. Tout le monde m’a dit : “C’est bizarre ce que tu as fait” ». Après la parution de Houris, « on m’a même appelé pour me demander combien j’ai été payée pour le livre ». Une « amie installée à Paris » avait du mal à croire que « j’ai laissé utiliser mon histoire de cette manière ».
Elle-même fut marquée : « Quand j’ai commencé à lire le livre, je n’ai pas dormi trois jours ». Et d'ajouter : « Cela fait 25 ans que je cache mon histoire, que je cache mon visage, que je refuse qu’on me montre du doigt. C’est horrible… »
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Elle ajoute cette accusation plus grave à l’égard de l’écrivain concernant « les détails de sa vie personnelle » qu’elle n’a jamais confiés qu’en thérapie : « Il a tout pris de sa femme [...]. On ne peut pas parler comme ça tant qu’on n’a pas vécu la chose [...]. C’est ma vie, c’est mon passé. Y a que moi qui peut juger comment ça doit sortir. Ce n’est pas à lui de faire ça. C’était pas à lui de me jeter comme ça. En plus, il salit ma réputation ». Houris « est une violation de mon intimité ».
Par-delà l’incontestable et légitime droit de l’écrivain à la fiction et à la libre création, ces déclarations soulèvent de sérieuses questions d’éthique tant littéraire que médicale.
Dans l’émission « Houris, la contre-enquête », la jeune femme affirme que la vie de Fajr ressemblerait étonnement à la sienne : « Ma cicatrice. Ma canule. Les conflits avec ma mère. L’opération que je devais subir en France, la pension que je reçois en tant que victime [du terrorisme islamiste]. L’avortement, je voulais avorter. La signification de mes tatouages [au niveau de la nuque et du pied]. Le salon de coiffure, j’avais un salon de coiffure et d’esthétique et c’est dans le livre. Le lycée Lotfi. L’allusion romancée à ma passion pour l’équitation », énumère-t-elle auprès du journaliste.
Comment des faits aussi précis auraient-ils pu arriver jusqu’au romancier ? Selon elle, il s’agirait d’une « violation du secret médical » par son ancienne psychiatre, Mme Daoud. Elle affirme qu’elle aurait été suivie chez cette dernière, de l’année 2015 jusqu’au départ de la famille Daoud en France, dans plusieurs établissements médicaux oranais, d’abord pour une thérapie de groupe avec sa mère, et puis seule.
La survivante du massacre de Djelfa insiste sur le fait que durant ses consultations chez Mme Daoud, sa parole était totalement libre : « Je n’avais pas de filtre [je parlais] sans tabous, je disais tout. Pour moi, c’était ma psychiatre. Il y avait le secret médical, je disais tout. » Durant son interview, elle précise qu’« il y a trois ans et demi, l’écrivain [lui] a demandé l’autorisation de raconter [s]on histoire dans un livre. Mon refus était catégorique. J’étais chez lui, cité Hesnaoui. Sa femme m’avait invité pour boire un café et discuter de ma thérapie. »
Après, continue-t-elle, quand « sa femme m’a dit qu’il est en train d’écrire un livre, je lui ai dit : “Attention, je ne veux pas que ça soit sur moi”. Elle m’a dit : “Non, ça ne parle pas de toi du tout”. Plusieurs fois durant mes consultations, j’ai redit à sa femme : “Attention, je refuse qu’il fasse ça” ». Mme Daoud l’aurait rassurée en lui répondant : « “Pas du tout… Je suis là pour te protéger.” »
Aujourd’hui, et après la lecture de Houris, elle juge qu’elle n’aurait en rien été protégée par son médecin. « J’ai dit tous ces détails à sa femme en tant que psychiatre [...] Je ne l’ai jamais dit à personne [d’autre] », affirme-t-elle. Son intime conviction est que Kamel Daoud aurait eu accès « à [s]on histoire » par le biais de son épouse et psychiatre.
Selon elle, Houris serait une « divulgation du secret médical » : « Je n’ai jamais communiqué mon dossier médical à Kamel Daoud. [...] Je n’ai jamais autorisé Kamel Daoud ou sa femme, ma psychiatre, à raconter mon histoire. » La jeune femme estime en outre que l’écrivain aurait « attendu la mort de [s]es deux parents pour faire ça ».
L’intérêt de la presse, des médias et des écrivains pour l’histoire de Saâda Arbane ne serait pas nouveau. En 2009, raconte-t-elle, « quand j’ai gagné la médaille d’or du Championnat Maghrébin d’Équitation [...], je commençais à recevoir les premières demandes pour raconter mon histoire ». Depuis lors, pour elle comme pour ses parents par kafala (forme musulmane d’« adoption »), le refus de raconter son histoire était catégorique.
« Depuis 25 ans, continue-t-elle, je refuse qu’on raconte mon histoire à ma place. C’est mon intimité, c’est mon histoire. [...] J’avais refusé que mon histoire soit divulguée », mais « lui, il l’a bien divulguée, [...] mon intimité a été dévoilée ». Et si elle a décidé de prendre la parole aujourd’hui, ce serait « pour dénoncer l’abus que Kamel Daoud a fait dans son livre de mon histoire ».
D’après elle, Mme Daoud se serait rendue en octobre dernier à son domicile, pour lui remettre un exemplaire de Houris portant une dédicace signée de l’écrivain : « Notre pays a souvent été sauvé par des femmes courageuses, et tu es l’une d’entre elles, avec mon admiration. »
Cette dernière lui aurait « parlé du projet du film et de son éventuelle implication dans le scénario » qui pourrait lui faire « gagner énormément d’argent » par lequel elle pourrait « acheter son appartement en Espagne ». Saâda Arbane dit avoir compris cette proposition « comme une tentative de l’acheter et de l’amener à se taire ».
Également devant le journaliste de One TV, son mari considère que la publication de Houris et son hypermédiatisation « a remué le couteau dans la plaie » de l’histoire familiale de sa femme et que, depuis, « elle trouve énormément de mal à se nourrir, à dormir », « souffre gravement de sévères maux de tête ». Selon lui, le roman « a fait resurgir de mauvais souvenirs » et cela pourrait se répercuter négativement sur leur fils de huit ans.
L'écrivain n'a pour le moment pas réagi à ces déclarations.
Antoine Gallimard a diffusé un communiqué pour dénoncer des attaques fallacieuses contre l'écrivain, reproduit ci-dessous. De son côté, l'Académie Goncourt, contactée par ActuaLitté, se refuse à tout commentaire.
Depuis le procès intenté en 1896 au roman de Jules Verne , Face au drapeau, les juges considèrent que tout romancier est libre de s’inspirer de faits réels (historiques, politiques, judiciaires), d’évènements vécus et de personnes connues pour créer une œuvre de fiction.
Cette œuvre littéraire, protégée par le principe de la liberté d’expression, est exclusive de toute faute (diffamation, vie privée) de la part de l’écrivain sauf à démontrer qu’il a manifesté une intention de nuire.
Si Houris est inspiré de faits tragiques survenus en Algérie durant la guerre civile des années 1990, son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels.
Depuis la publication de son roman, Kamel Daoud fait l'objet de violentes campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n'ignore la nature. Après l'interdiction du livre et de notre maison d’édition au salon du livre d’Alger, c'est au tour de son épouse, qui n'a aucunement sourcé l'écriture de Houris, d'être atteinte dans son intégrité professionnelle.
Tout travail sur une mémoire occultée ne peut que profondément déranger. Comme le rappelle Kamel Daoud, le crime n'est pas d'écrire un roman mais de taire une tragédie.
Crédits photo : Kamel Daoud - ActuaLitté CC BY SA 2.0
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
55 Commentaires
Kamel Chibane
26/11/2024 à 11:57
Pour Kamel Daoud sa maison d'édition ses supporters, et tous les maffieux tout est permis pour faire du fric.
Rémi Vincent
14/02/2025 à 12:20
Faut donner le prix Goncourt à Bertrand Blier (1939-2025), pour son livre "Les Valseuses".
À titre postume.
Rémi Vincent.
Nb: Pas lu, Houris, rien ne presse, on le lira dans quelques années, ou pas ?
Par contre, j'ai adoré "Vivre Vite", prix Goncourt 2022, de Brigitte Giraud, en poche.
Delphine
15/02/2025 à 06:53
Vous écrivez : "Après l'interdiction du livre et de notre maison d’édition au salon du livre d’Alger, c'est au tour de son épouse, qui n'a aucunement sourcé l'écriture de Houris, d'être atteinte dans son intégrité professionnelle".
Vous affirmez cela alors même que la présumée victime estime avoir reconnu dans le livre des informations confidentielles livrées à son épouse dans un cadre professionnel?
C'est un parti pris fort engagé de nier la parole de la principale intéressée.
Edco
15/02/2025 à 10:14
https://charliehebdo.fr/2025/02/culture/litterature/billet-kamel-daoud-tous-les-ecrivains-sont-des-voleurs/
.....je partage ...( ds ts les sens du terme )...cet avis ....