#LivreGourmandPerigueux2024 – Pas tous les jours qu’on croise une dame deux fois millénaire : heureusement, j’ai apporté des bonbons, les fleurs, c’est périssable, d’autant que les seules que cuisine Thierry Marx, sont celles de courgette. Faut composer avec le président du festival de Périgueux. J’ai aussi mis une cravate, sait-on jamais, dès fois que la déesse Vesunna, qui présida elle à la création de la cité périgourdine, nous fasse une épiphanie…
Festival du livre gourmand, bienvenue. Et mitoyen, le marché des producteurs, qui met en lumière et en bouche les produits du terroir. Promesse de spécialités pour des visiteurs ouverts d’esprit et bientôt d’appétit : à déguster même avec les yeux ! Suffit d’imaginer pour se régaler. Il est 9 h, ce samedi, et l’effervescence est déjà palpable.
L’esplanade Badinter se transforme en carrefour où convergent les passionnés de littérature culinaire, chercheurs de recettes ou de conseils, gourmets avertis et curieux en quête de nouvelles saveurs. Bamboche assurée de la bibliothèque à la cuisine.
Pourquoi organiser autre chose de son week-end quand la promesse d’une assiette bien faite frappe à la porte ? Capitale du canard, on n’a pas froid pour autant : le thermomètre affiche 13 °C, mais en terrasse, je tiens facilement en bras de chemise. Et ne suis pas le seul.
Premier café passé, direction la tente, Espace des livres et des saveurs, de son petit nom. Des livres partout, accompagnés de stands où couteaux, miels, vins, haricots, fruits mi-cuits ou encore guimauves (elles me coûteront cher, elles, mais plus tard) et confitures forment autant d’îlots de gourmandise.
Discrètement, attraper un bouquin et laisser traîner une oreille : pas de doute, on n’est pas dans un salon de recette. Ici, les livres et le terroir sont copains comme cochons. Comme canards, même. D’ici à ce qu’ils s’envolent ensemble…
Avec un chef étoilé, attendu quatre ans, les visiteurs sont fébriles. « Franchement, Thierry Marx qui te raconte de son engagement pour une alimentation responsable, ça donnerait envie d’ouvrir mon propre établissement. » Le chef est passé plus tôt ce matin au marché du gras, mais on y reviendra. Des adultes, des enfants, des poussettes qui me rappellent que je n’ai toujours pas choisi la mienne : ici, on vient en famille, pour les ateliers, les dégustations ou acheter des livres.
Il est près de 10h15, et sort de l’espace jeunesse un petit garçon pas bien vieux s’étonne d’avoir mangé du fromage si tôt et surtout, d’en avoir fabriqué ! « Et demain », demande son père ? « On fait des crêpes, comme maman ! » Et avec Delphine Lebrun, auteure de Mes super desserts de fête !, qui a reçu le prix Dame Tartine.
En attendant, j’ai rendez-vous avec Raphaël Haumont et Thierry Marx, pour une conférence sur l’innovation en cuisine : j’en sortirai avec un siphon, pour faire ma mousse au chocolat en microgravité. Étonnante, cette ville. D’ailleurs, il est l’heure de l’apéritif : direction le marché des producteurs, qui jouxte la tente sur la place Badinter.
En sortant, j’entends ce petit expliquer à ses parents avec aplomb que désormais il aime le basilic. Hein ? Il sort d’un atelier avec Sylvie da Silva, qui a signé son neuvième livre de cuisine chez Mango. Hmmm… Faut que je comprenne : « Il m’a dit qu’il n’aimait pas, en effet, mais à la fin de l’atelier, il léchait son assiette de pesto », me raconte-t-elle.
Sorcellerie ? Pas du tout : « Quand les enfants travaillent un produit, ils s’en emparent autant qu’ils apprennent à cuisiner. » Conclusion, l’un de ses élèves du matin fourrait même des pois chiches dans ses poches, devant le regard médusé de sa mère, certaine « qu’il n’en mangeait pas ». A Kind of magic, comme chantait Queen.
Pas tout ça, j’ai un papier à commencer, mais une urgence s’interpose : sur la place Saint-Louis, la maire Delphine Labails attribue sur le marché au gras les prix décernés aux producteurs, dans 20 minutes. Hmmm… pas prévu, mais faut aller voir. Décollage immédiat : sur place, on me sert sur place un bouillon réalisé avec des carcasses de canard — succulent — et des morceaux passés au grill — pareil… —, le tout accompagné de dégustations de foie gras et de la fanfare. Et au besoin, d’un verre de Pécharmant, un incontournable de la région. J’avais un petit creux.
Tant pis pour le déjeuner. Je vais juste d’avoir repris des céréales au petit-déjeuner. Mais comme le prochain rendez-vous est avec Bernard Friot pour un atelier poétique gourmand, « Les mots à la bouche » à 14 h 45, je peux reprendre un verre. Et une carcasse. Pour la route. Et ça laisse du temps encore pour boucler l’article de ce matin.
Vous connaissez la cathédrale de Périgueux ? Moi non plus. Enfin, si Saint Front, le dragon, d’accord. Saint George, Saint Pierre, entendu. Mais le bâtiment ? L’histoire de cet évêque qui a fait remblayer intégralement le cloître du XIIe et XIVe pour disposer d’une grande terrasse ? « Vous savez qu’une visite des toits est proposée ? » Hmmm… changement de programme, je vais jouer le touriste-couvreur-zingueur.
En compagnie de Jean Siefert Ostermann, directeur de l’Office du tourisme, on prend de la hauteur : 25 mètres au-dessus de la place, pour découvrir le style romano byzantin qu’a insufflé un certain Paul Abadie — oui, oui, celui qui a fait la Basilique du Sacré Chœur à Montmartre — en refaisant l’édifice au milieu du XIXe siècle.
Cinq dômes invraisemblables qui supportent quatre lustres de 250 kg et un cinquième d’une demi-tonne. Une histoire intrinsèquement liée aux mutations de la ville. Et un couple de faucons pèlerins dont le nid est installé dans le clocher pour lutter contre les pigeons. Attention à ne pas avoir le vertige — moi, la hauteur, ça me glisse comme sur les plumes d’un coin-coin. Spectaculaire, cette visite guidée, privée et historique : vous saviez qu’un potier et quatre cheveux trônent sur l’un des dômes ?
Dix kilomètres de marche sur les toits et à travers la ville, j’ai certainement éliminé le petit-dej. Passage par la tente, pour une autre immersion, où se mêlent les arômes envoûtants des spécialités locales et les étals colorés des libraires. Le festival du livre gourmand, tout est là : des ouvrages, à foison, et des visiteurs.
L’ivresse des cimes, peut-être, ou l’histoire architecturale — plus certainement —, mais reste la rencontre avec Ève-Marie Zizza-Lalu, autrice de Bocuse malgré moi (chez Stock). Ou comment le chef, « marié et viscéralement infidèle, ogre séducteur [a brillé] à la fois par sa présence et son absence » dans la vie de cette petite fille, qui avait alors sept ans, quand sa mère rencontre le chef.
Un récit émouvant, touchant, qui parlera autant de la libération de la femme que de son emprisonnement, alors qu’en 1974, Bocuse entame cette folle ascension, depuis Lyon, qui le mènera aux sommets. Et elle, qui a vingt ans intégrera le milieu des grandes cuisines françaises, raconte ce parcours, avec franchise et humour — et dévoile les contradictions d’un métier à la fois passionnant, certes, mais éprouvant.
Sortir, vite, écrire, rapidement, la journée s’achève et l’on doit évacuer les lieux. :
Je n’avais pas un papier à finir ? Hmmm… je suis pas dans les temps, et le wifi est coupé : pas certain de trouver une connexion, mon canard. Et puis il faut circuler, rendez-vous dans 15 minutes pour la soirée à la préfecture : deux options, la Twingo ou traverser la ville à pied.
Chaud, pas fatigué, Vesunna guidera mes pas. Périgueux a adopté la même devise qu’Angoulême : « Ma force tient dans la fidélité de mes citoyens. » Si je reviens l'an prochain finir cet article, je suis pardonné pour ma fidélité ?
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Le Festival du Livre Gourmand édition 2024
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 28/08/2024
128 pages
Albin Michel
14,90 €
Paru le 20/09/2024
75 pages
Mango Editions
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Paru le 18/09/2024
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Paru le 04/10/2024
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Mango Editions
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