#LivreGourmandPerigueux2024 – Neutralité carbone, engagements climatiques, respect de l’environnement, préservation de l’énergie, stratégie climatique : l’année 2050 recense de nombreux objectifs, avec programme bien dense. Et la cuisine dans tout cela ? Comment allier plaisir, bien-être, innovation et enjeux environnementaux ?
Le 16/11/2024 à 13:21 par Nicolas Gary
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Publié le :
16/11/2024 à 13:21
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À Périgueux, les livres et la cuisine se répondent, un peu à la manière des couleurs, des parfums et des sons chez Baudaire. Depuis 2012, le chef étoilé Thierry Marx et le physico-chimiste Raphaël Haumont ont cofondé le Centre Français d’Innovation Culinaire (CFIC) au sein de l’Université Paris-Sud, aujourd’hui Université Paris-Saclay. Une association qui « repose sur une volonté commune d’allier gastronomie et science pour réinventer la cuisine contemporaine », indique le chef, président de l’édition 2024 du Festival du livre gourmand.
Ce centre sert de laboratoire où sont explorées de nouvelles textures, saveurs et techniques culinaires, avec pour objectif de concevoir la cuisine de demain. Leur démarche s’enclenche suite à la publication d’un article dans le New York Times, indiquant que la France n’incarnait plus un pôle d’innovation en cuisine.
« D’abord c’était vexant, pour l’artisan que je suis », plaisante Thierry Marx, « ensuite cela signifiait que l’on avait oublié quelque chose. » Et notamment un certain Auguste Escoffier (1846-1935), chef cuisinier et restaurateur.
« En un mot, la cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules, empiriques trop souvent encore, à une méthode et à une précision qui ne laisseront rien hasard ».
– Auguste Escoffier, 1907
« C’est lui qui en effet nous indiquait que la cuisine, c’est avant tout une matière à transformer. Et si en France, la cuisine n’évoluait plus, c’est que l’on ne se trompait plus : nos recettes étaient consignées, suivies rigoureusement, sans plus d’expérimentations sur la texture et les matières », poursuit-il.
« D’ailleurs, qu’est-ce qu’un blanc d’œuf ? » La question que pose Raphaël Haumont, loin d'être innocente, sert à introduire un questionnement qui enrichit le regard sur le produit pour en interrogeant les caractéristiques : « Pourquoi il mousse, il retombe, comment fonctionne-t-il ? Quelles sont ses caractéristiques physiques ? »
Si pour évoluer, il importe de se tromper, les deux hommes ont logiquement monté tout un labo à erreur. « On y a mis la physique au service de la cuisine, en réunissant artisanat et sciences », souligne-t-il. D’accord, mais concrètement ?
Parlons de tomates : composée à 90 % d’eau, voici un fruit-légume qui a posé problème a ce groupe industriel français, quand la concurrence espagnole et marocaine a débarqué. Entre 15 et 20 tonnes de produits furent jetées par an : il fallait une solution. « Or, l’eau représente l’un des défis majeurs de ces prochaines années », insiste le scientifique.
« Quand j’ai débuté, on cuisait des haricots à raison de 10 litres d’eau pour un kilo », reprend le chef. « Quand on parle de problématique d’eau, celle de l’énergie n’est jamais loin. La sobriété énergétique, c’est à travers la science et l’analyse tant des appareils, que des comportements et des produits qu’on l’aborde à Saclay. »
En somme : réviser sa copie. Et cela commence avec un classique des desserts, le suprême d’orange, découpé devant la salle. « En regardant bien, on a plus de déchets que de suprême », conclut Thierry Marx. « Or, le déchet, c’est le consommateur qui le produit : la nature, elle, ne produit pas de déchet, elle crée du vivant. Mais encore faut-il savoir quoi faire de ce qu’il reste, cette peau de l’orange. »
Raphaël Haumont prend la main : « La peau de l’orange contient par exemple cinq plus plus de pectine que celle de la pomme et cette partie blanche, on dirait comme un isolant. Alors, nous avons haché et mixé le produit, et obtenu une sorte de sirop. » Certes ?
« En ajoutant une eau riche en calcium, on provoque une réaction chimique qui produit une gelée. Cela fonctionnerait aussi avec l’eau de l’huître ou d’une Saint-Jacques. » Sans oublier qu’une orange contient aussi du sucre, et que cette gelée épargne alors l’ajout de saccharose. CQFD.
Mais le labo de Sarclay ne s’amuse pas qu’avec des oranges : « Dans tout végétal se trouvent différents mécanismes et tout n’est pas réutilisable pour l’alimentation ; j’ai une fois essayé un cake où une dame avait utilisé la peau de banane… j’avoue n’avoir pas été convaincu », plaisante Thierry Marx. Repartant de la gélification, il relate comment un médecin spécialiste de l’hémorragie, et particulièrement lors d’accouchements en contexte difficile, a pris contact avec le labo.
« Nous avons déposé un brevet, sur une petite éponge à base d’agar-agar, en mesure de résorber une hémorragie », détaille son collègue. « Actuellement, on utilise un matériau nettement plus cher : dès lors que notre solution aura obtenu les normes européennes, on passera aux tests sur des humains. Et on aboutira à un outil naturel, très peu coûteux et que l’organisme élimine naturellement. »
Et les amateurs d’étoiles et d’espace embarqueront avec Raphaël et Thierry dans une expérience futuriste : la cuisine en zéro gravité, avec le Centre national d’études spatiales.
Ou pas loin. « Les critères de vie et d’alimentation des astronautes sont nombreux, nous a-t-on expliqué au CNES : ne pas être malade, des emballages sans déchet, une protection de l’eau, éviter la dépression alimentaire — manger lyophilisé, à petite dose — et la surpopulation », énumère le chef.
Autant de questionnements que l’on retrouve pour notre petite planète. « Conclusion, on interroge aussi les possibilités de culture… sur la Lune. Et si l’on parle de terroir, de quoi se composera le lunoir », s’amuse Raphaël Haumont ?
Oublions les moissonneuses-batteuses sur le satellite, donc la culture des céréales. « Après des essais, nous avons découvert que le chou kale représentait une alternative fantastique : 90 % de la plante est mangée, elle ne nécessite qu’à peine un verre d’eau… ne reste plus qu’à croiser les espèces pour rendre le produit plus sexy. »
Nous y sommes : analyser les options en croisant les compétences des différentes matières, en s’appuyant sur des connaissances mises en commun. Ou comment réaliser de la mousse au chocolat en microgravité ? « Après tout, une mousse, c’est du gras, de l’air et de l’eau — et j’ai bien conscience qu’en la présentant de la sorte, elle n’est pas particulièrement appétissante », rigole le scientifique.
Pourtant, pourtant… devant le public, le voici à montrer qu’avec une bouilloire, un siphon et de la poudre de cacao, dans une chambre d’hôtel, les deux hommes ont concocté une mousse.
« Quand on vous propose une tarte moléculaire, vous demandez ce qu’il y a dedans. Quand je vous suggère une tarte de ma grand-mère, elle vous fait envie. Mais vous ignorez si mon aïeule est une empoisonneuse qui vous tuera », rit le chef.
« L’innovation, en cuisine, est souvent dérangeante parce qu’elle perturbe les habitudes. Mais en réfléchissant ensemble, on trouve des solutions d’avenir. » Un peu comme ce contenant, dans lequel Raphaël Haumont plonge une paille pour boire… de l’eau ?
Toujours dans le travail sur l’agar-agar, une solution d’emballage pour les distributeurs de demain, afin d’enrayer la folie du plastique… et d’amorcer les réponses que chercheront les industriels demain pour modifier leurs usines de productions.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Le Festival du Livre Gourmand édition 2024
Par Nicolas Gary
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1 Commentaire
Hubert Valloris
17/11/2024 à 16:48
La nature a créé Yann Moix, on devrait la fouetter avec des épines de roses enduites de gros sel.