L'année dernière, les éditions Les Saint Pères inauguraient une nouvelle approche. La fidélité dans la mise en valeur des manuscrits et des artistes, comme le fait main, a été conservée, mais l'approche est cette fois spatiale. Chambres avec Vues, le premier, racontait Jean Cocteau à travers 16 chambres, pour 16 vies de l'artiste. Pour le second, la maison regarde en face le plus grand sujet du monde : l'Amour. Une intense déambulation qui part du pavillon Rêver, où on attend, jusqu'au pavillon Partager, celui des cœurs qui n'ont plus rien à prouver.
Le 15/11/2024 à 18:49 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
15/11/2024 à 18:49
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« Psyché, tu ne verras jamais mon visage, car je ne viendrai qu’à la nuit noire », écrivait Apulée. Dix pavillons d'un grand jardin du sentiment amoureux, où tout y passe : Séduire, Consentir, Embrasser, Avouer, Désirer, Souffrir, Correspondre, Promettre. Une relation complète en définitive, comme dans Igor de Tyler The Creator.
Aucun enchaînement temporel en revanche, mais une tentative d'extraire chaque acte qui donne forme à cet art, comme le définissait Paul Morand. Une conscience et un courage : « Aimer est une aventure sans carte et sans compas où seule la prudence égare », assure Romain Gary.
Maupassant est plus radical : « Pour aimer, il faut être aveugle, se livrer entièrement, ne rien voir, ne rien raisonner, ne rien comprendre. Il faut pouvoir adorer les faiblesses autant que les beautés, renoncer à tout jugement, à toute réflexion, à toute perspicacité. »
Dominique Marny, qui a façonné ce beau livre avec le directeur artistique des Saint Pères, Nicolas Patrzynski, propose une plongée dans le sentiment amoureux à la sauce occidentale : « Mon parc de l'Amour est inspiré de la Carte du Tendre de Madame de Sévigné », partage-t-elle. Outre les kiosques, il comprend des points précis : Le Belvédère, La Galerie, La Roseraie, La Source... Mais aussi Un Observatoire pour les profils à la Flaubert ou Balzac, et Un Conservatoire pour les plus anxieux...
L'autrice, commissaire d'exposition et présidente du Comité Jean Cocteau n'a pas souhaité tracer un parcours rigoureusement chronologique du sentiment amoureux, mais faire dialoguer les textes et les représentations artistiques : « En brassant les époques, on est surpris d'à quel point les oeuvres se répondent à travers le temps, racontent des choses similaires », partage Nicolas Tretiakow, co-fondateur des Éditions Les Saint Pères. « J'ai voulu raconter comment le fond de l'amour reste inamovible dans l'Histoire, et comment il change de masque à chaque époque », complète la petite-nièce de Jean Cocteau.
D'Orphée en passant par les Romains, qui « se préoccupent peu du bonheur », les troubadours et autres trouvères ; de l'aventure du mariage à l'évolution des moeurs, avec les difficultés pour se côtoyer qui s'atténuent au détriment d'une candeur et d'une certaine intensité... Toute une épopée du temps suspendu, et autres miroirs aux alouettes...
Oui aime et se sait aimé se croit invincible. Rien de tel que l'approbation du partenaire pour balayer les obstacles, soulever des montagnes ! En renvoyant une image valorisante, l'effet miroir produit des miracles. Ce constat instaurant une dépendance, l'amour s'apparenterait à une drogue dure dont personne ne souhaiterait se libérer. Est-ce que brûler d'une passion dévastatrice serait synonyme de félicité ? « Il n'y a pas d'amour heureux », admet Aragon en 1943.
Cette évidence n'empêche pas les aspirants de se presser autour du feu qui les fascine, au risque de se consumer. À tout âge, sous différents cieux, la tentation ne s'amenuise pas. En dépit de ce qu'ils ont lu, entendu, observé ou déjà vécu, les passionnés espèrent que leur liaison durera le plus longtemps possible. Qu'elle soit officielle ou clandestine, celle-ci tient une place primordiale dans leur vie où alternent attente, désir, plaisir et manque.
Chaque histoire est différente. Avec ses rites et ses souvenirs ! « Le verbe aimer est difficile à conjuguer : son passé n'est pas simple, son présent n'est qu'indicatif et son futur est conditionnel » remarque avec pertinence Jean Cocteau. L'être humain accepte mal la solitude.
Pour ne pas être abandonné, l'amoureux est prêt à de nombreux compromis, sauf celui d'étouffer une jalousie qui ne demande qu'à s'exprimer. Impossible de partager ce que l'on pense posséder. Dès le début d'une relation, la manipulation et l'emprise s'installent. Chacun cherche à régner sur l'existence de l'autre, à occuper ses pensées et ses rêveries.
- Dominique Marny
Dans cet imposant ouvrage, rouge comme l'émotion qui submerge les visages, Antonio Canova ou Frederick Childe Hassam côtoient Clarence E. Underwood, Francis Picabia, Edgar Degas, Gustav Klimt, mais aussi les réalisateurs Richard Linklater, Otto Preminger, et Jean-Luc Godard, ou le photographe Pierre Jahan. Et même un jeune artiste et musicien découvert sur Instagram, Nicolas Dax, qui partage trois de ses oeuvres.
Pour schématiser, deux types d'amour se regardent : l'amour idéaliste et l'amour matérialiste, dans le sens marxiste du terme, ou dit autrement, vitaliste. Chaque catégorie est portée, entre autres, par des grands artistes.
Platon (oui c'est un artiste, puisqu'il impose sa réalité aux autres) est celui qui a parlé d' « âme soeur », même si dans Le Banquet, son coeur balance pour l'approche de Socrate : l'amour est un démon, soit un intercesseur entre le ciel et la terre. Le philosophe aux larges épaules s'est notamment exclamé : « Existe-t-il plaisir plus grand ou plus vif que l’amour physique ? Non, pas plus qu’il n’existe plaisir plus déraisonnable. »
Nietzsche voyait dans Platon et son « Ciel des Idées », le vrai père du christianisme, même si jusque dans la Bible, on a chanté les corps qui exultent : « Viens, mon bien-aimé. Nous sortirons dans les champs, nous passerons la nuit dans la campagne. Au matin, nous irons dans les vignes, nous verrons si les pampres fleurissent, si le bourgeon s'est ouvert, si les grenadiers sont en fleurs. Là, je t’offrirai mes amours… » (Cantique des cantiques)
Plus généralement, dans l'idéalisme, l'autre existe-t-il ? Deux millénaires après Platon, Desnos, ce « rêveur définitif », avoue : « J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ? Nul. » On pense aussi à Une Passante du romantique Baudelaire... L'idéal amer est finalement préféré à la volupté, qui « viole et déchire les roses. Sa fleur c'est le dégoût, son fruit c'est la laideur. Son sourire est cruel dans ses apothéoses. » (Germain Nouveau)
De l'autre côté, chez les matérialistes, on est formel : « En amour, il y a deux questions : comment et combien. » (Pierre Dac). Quelles sont les conditions, les qualités de l'autre, les désirs, et seulement par-dessus la chantilly des belles paroles.
Un des plus grands dialogues sensuels se trouve dans Le Mépris de Godard, porté par Brigitte Bardot : « Tu vois mes pieds dans la glace ? — Oui. — Tu les trouves jolis ? — Oui, très. — Et mes chevilles, tu les aimes ? — Oui. — Tu les aimes, mes genoux aussi ? — Oui, j’aime beaucoup tes genoux. — Et mes cuisses ? — Aussi. — Tu vois mon derrière dans la glace ? — Oui. — Tu les trouves jolies, mes fesses ? » À cause d'une lâcheté, Michel Piccoli va perdre Brigitte Bardot. La relation est condamnée...
Je n’ai qu’un seul reproche extrêmement grave à te faire : c’est que tu n’as jamais cru que, du jour où je t’ai aimée, je t’ai voué un amour qui ne devait cesser qu’avec ma vie.
— Sacha Guitry
Un autre « réaliste » en amour, et quel poète, Ovide. Premier conseil : « Si tu veux m’en croire, ne te hâte pas trop d’atteindre le terme du plaisir. » Des siècles plus tard, Montesquieu reconnaîtra : « De tous les poètes, Ovide est celui qui a découvert les plus beaux secrets de la nature. Il instruit les hommes à pousser le soupir juste et les femmes à le recevoir, les hommes à prendre l'heure du berger et les femmes à l'offrir. »
Chez le Romain, on en vient même à tolérer l'irréparable : il recommandait dans son Art d'aimer, de judicieusement fermer les yeux sur les petites infidélités de l'aimée, tout en dissimulant soigneusement ses propres écarts, prêt à les nier s'ils venaient un jour à être découverts... Plus généralement, Ovide vivait dans un monde où le péché n'existait pas.
Nietzsche, autre grand réaliste, analyse : « L'un est vide et veut s'emplir, l'autre déborde et veut s'épancher, - tous deux vont se mettre à la recherche d'un individu qui le leur permette. C'est ce phénomène, pris dans son acception la plus haute, que l'on désigne dans les deux cas par un seul mot : l'amour. - Comment ? L'amour devrait être quelque chose de non égoïste ? »
À LIRE - Jean Cocteau. Chambres avec Vues. 60e anniversaire
Il y aurait encore tant à dire sur ce sujet aux proportions infinies. Pour aller plus loin, il faudra acquérir Je T'aime, édité aux éditions Les Saint Pères.
Et le mot de la fin pour Paul Morand : « Le plus beau voyage d’ici-bas, c’est celui qu’on fait l’un vers l’autre. »
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
1 Commentaire
Mercier Legrain-Joubert
20/11/2024 à 19:36
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l'amour c'est fou comme
disait le vieil Érostrate
ou bien Aragon on ne sait
plus trop l'affaire est floue