LesPetitesFugues2024 — Rendre la littérature accessible à tous : telle est la mission du festival Les Petites Fugues, qui se tiendra en Bourgogne–Franche-Comté du 18 au 30 novembre 2024. Comme chaque année, le Centre hospitalier de Novillars ouvre ses portes pour une rencontre entre auteurs et patients. Un moment attendu, à la fois émouvant et inspirant, pour Aurore Gribos, psychologue, et Sandrine Gillot-Vuillaume, infirmière et responsable de la bibliothèque de l’établissement.
Le 13/11/2024 à 12:18 par Louella Boulland
2 Réactions | 225 Partages
Publié le :
13/11/2024 à 12:18
2
Commentaires
225
Partages
À Novillars, commune du département du Doubs, un événement ponctue annuellement la vie des patients du Centre hospitalier : une rencontre littéraire organisée dans le cadre du festival Les Petites Fugues.
Comme chaque année depuis 2005, l’établissement organise une rencontre littéraire entre les murs de l’hôpital psychiatrique. Et, cette année, les patients s’apprêtent à accueillir une autrice, et pas des moindres : Perrine Le Querrec, autrice de Rouge pute (La contre allée, 2024) et Les pistes (Art&fiction, 2024).
Alors, depuis l’été, Aurore Gribos, psychologue, et Sandrine Gillot-Vuillaume, infirmière et responsable de la bibliothèque du Centre, bouillonnent d’idées et outrepassent leur statut de soignante pour accueillir cet événement. Ensemble, elles coordonnent la préparation d’une rencontre aux enjeux multiples : susciter la curiosité, ouvrir la voie à la littérature, et créer du lien entre les patients et l’extérieur.
C’est avec légèreté, humour et beaucoup de passion, qu’elles reviennent avec nous sur la préparation de ces rencontres, et nous en disent plus sur le rôle qu’elles jouent au sein de l’hôpital.
ActuaLitté : Comment est née l’idée d’accueillir des auteurs dans un centre hospitalier comme celui de Novillars ?
Aurore Gribos : Nous sommes partenaires du festival depuis 2005. À l’époque, une collègue responsable de la bibliothèque du Centre hospitalier avait initié ce projet. Lorsqu’elle a pris sa retraite, elle a tout naturellement souhaité que l’on continue son travail. Et c’est ainsi que Sandrine a repris le flambeau !
Comment passez-vous de personnel soignant à animateur de rencontres littéraires ?
Sandrine Gillot-Vuillaume : Les Petites Fugues sont bien organisées. Nous avons eu droit à une formation avec les organisateurs, ce qui, pour ma part, a été très bénéfique. Ensuite, nous faisons au mieux avec ce que nous avons : notre propre personnalité, celles des patients, le texte de l’auteur... Mais aussi le contexte dans lequel nous évoluons.
Lorsque les festivaliers viennent assister à une rencontre à l’hôpital, ils n’ont pas un regard accusateur ou empreint de jugement. Ils comprennent que ce n’est pas notre métier et que notre approche diffère de celle d’un bibliothécaire ou d’une libraire.
À LIRE – "Nous souhaitons avant tout faire découvrir une autrice singulière"
Aurore Gribos : Nous avons été accueillies chaleureusement par les organisateurs, qui nous soutiennent et nous encouragent. Nous assumons pleinement le fait que ce ne soit pas notre métier. Je ne sais pas exactement comment nous parvenons à le faire, mais cela fonctionne à chaque fois !
Quels effets bénéfiques avez-vous observés depuis le début de cette initiative ?
Sandrine Gillot-Vuillaume : Je retiens avant tout l’engagement exceptionnel des patients dans ce projet. Pour eux, prendre des initiatives et participer à ce type d’événements est un véritable défi. Grâce à ces rencontres, ils ont l’opportunité de faire des recherches, de préparer l’accueil d’un auteur, chose qui n’arrive pas au quotidien. Ils s’investissent à chaque étape du projet, ce qui est aussi gratifiant pour eux que pour nous. Nous tirons ensuite parti de cette expérience pour enrichir notre travail avec eux. J’en retrouve certains à la bibliothèque, après ces échanges.
C’est également un moment précieux pour l’ensemble du personnel soignant, qui s’y intéresse, vient échanger avec nous, créant ainsi des liens et des discussions qui perdurent.
Aurore Gribos : C’est le seul moment où nous ouvrons les portes de l’hôpital au public, permettant ainsi à des personnes extérieures de découvrir le milieu psychiatrique. À cause du Covid, les rencontres avaient dû être annulées, mais l’année dernière, nous avons enfin pu reprendre un rythme normal. Les retours ont été nombreux : le public a été impressionné par l’engagement des patients, qui co-animent parfois les rencontres avec nous. La salle était comble ! Ce sont d’excellents souvenirs.
Quels sont les retours sur les textes de Perrine Le Querrec cette année ?
Sandrine Gillot-Vuillaume : Perrine Le Querrec aborde des thématiques qui résonnent souvent avec le parcours de vie des patients en psychiatrie, notamment les violences faites aux femmes ou les abus sexuels. En découvrant ces textes avec notre regard de soignants, nous nous sommes demandé : « Comment aborder ces sujets sans risquer de blesser les patients ? » Comme l’a souligné une patiente, les mots employés sont parfois très « cash ».
Nous avons donc pris des précautions. Pourtant, nous avons rapidement constaté que ces textes trouvaient un écho chez les patients. L’une d’elles, à propos du texte Rouge pute, m’a confié : « Oh, mais ça parle de moi ! »
Aurore Gribos : Pour la plupart des patients, cette rencontre est une véritable découverte, car l’univers littéraire leur est souvent étranger. Cela donne lieu à de belles surprises. Je pense notamment à un patient qui, chaque année, revient à l’hôpital spécialement pour participer aux Petites Fugues.
Les ateliers préparatoires menés avec les patients jouent un rôle central dans cette rencontre. Quels types de travaux les patients réalisent-ils dans le cadre de ces ateliers ?
Sandrine Gillot-Vuillaume : Avec Aurore, dès l’été, lorsque nous connaissons le nom de l’auteur invité, nous nous procurons ses textes et commençons à les lire. En septembre, nous organisons des séances d’une heure environ, tous les quinze jours. Parfois, il n’y a personne, mais d’autres fois, nous sommes quatre ou cinq. Nous avons les ouvrages en main, les consultons, et faisons des lectures ensemble. Souvent, les patients ne lisent pas l’intégralité du texte avant la rencontre, mais ils en saisissent parfaitement l’essentiel. Nous notons les questions et les posons le jour de la rencontre.
Nous collaborons aussi étroitement avec l’atelier d’expression. Pendant ces séances, je lis un texte, puis nous donnons une consigne : illustrer ce texte sans le relire. Nous proposons différentes techniques : aquarelle, peinture acrylique, dessin au crayon… Et l’année prochaine, nous tenterons le collage !
À LIRE – “Il est difficile de faire venir des auteurs en milieu rural”
Aurore Gribos : Ensuite, nous exposons les œuvres dans le couloir près de la bibliothèque. Mais, pour la première fois cette année, nous collaborons avec la médiathèque du village, qui exposera les créations des patients. C’est très important, car cela permet de s’ouvrir vers l’extérieur. Ils participent ainsi pleinement à la vie « normale ».
Comment les patients réagissent-ils face à l’auteur invité ? Y a-t-il des échanges ou des moments particulièrement marquants qui vous reviennent en mémoire ?
Aurore Gribos : L’année dernière, lors de l’atelier d’expression, nous attendions patiemment l’auteur, qui avait un peu de retard. En préparation de la rencontre, chaque patient avait soigneusement choisi sa place et se préparait à ce qui allait se passer. Mais surprise, un patient inattendu est apparu dans la salle.
Celle-ci était déjà pleine, mais cet homme s’est mis à lire une œuvre à voix haute. Nous avons improvisé pour l’aider à nous passer la parole. Il est resté tout au long de la rencontre et a participé à plusieurs reprises avec son univers bien à lui. C’était formidable ! À la fin de l’échange, il a repris la parole pour poursuivre sa lecture.
Nous accueillons chacun avec sa manière d’être au monde, qui est souvent singulière. On ne peut pas dissocier cette rencontre du cadre dans lequel nous évoluons : nous restons des soignantes. C’est ce moment-là qui me vient toujours à l’esprit lorsque je pense aux Petites Fugues.
Sandrine Gillot-Vuillaume : Ce qui m’émerveille à chaque fois, c’est de voir combien les patients posent des questions pertinentes, souvent en lien avec celles qu’Aurore et moi avions préparées. Ils ont une capacité étonnante à viser juste. Les organisateurs du festival choisissent d’ailleurs très bien les auteurs, qui savent répondre avec tact, même face à des questions parfois indiscrètes.
Je pense à un moment marquant, lorsqu’une patiente a demandé à un auteur si « le métier d’écrivain payait bien ». L’auteur a répondu très honnêtement, et c’était un échange vraiment enrichissant.
Crédits image : Sandrine Gillot-Vuillaume
DOSSIER - Bourgogne-Franche-Comté : La littérature organise ses “petites fugues”
Par Louella Boulland
Contact : lb@actualitte.com
Paru le 05/01/2024
119 pages
Editions art&fiction
13,00 €
Paru le 01/03/2024
83 pages
La contre allée
8,00 €
2 Commentaires
Roljo
15/11/2024 à 09:49
Magnifique ces initiatives, je les encourage.
Isabelle H.
24/11/2024 à 16:21
Quelle richesse ce partage de vécus autour d'un auteur ! J'aimerais bien me transporter en tapis volant à Novillars pour ces "petites fugues" là. Merci à vous,
Aurore Gribos de m'avoir fait découvrir une auteure et pour le travail que vous faites.