Ce soir-là, on poussait la porte du Resto Zinc Les Marcheurs de Planète (Paris, XIe), où la chaleur d'une soirée de novembre se mêle à la convivialité d'un événement pas comme les autres. Une lumière tamisée, des rires qui s’élèvent au-dessus des verres, des dizaines de sous-bocks dessinés, accrochés aux murs comme autant de trésors d'un singulier mouvement artistique.
Pour ce vernissage, les amateurs de BD, les habitués des lieux, les passionnés d'art et les curieux se rassemblent pour célébrer Sous-Bocks Connexion, une expo hors-norme née de l'esprit facétieux de Laurent Lolmède.
L’histoire commence en 2019, quand Laurent, figure emblématique de la BD alternative — à la manière des pionniers de l’Association dans les années 70 — lance un appel à contributions pour dessiner sur des sous-bocks. L’idée, simple en apparence, prend rapidement des airs de mouvement artistique.
La première exposition, organisée à la galerie Arts Factory dans la rue Charonne, fait un tabac. Mais, comme pour tant d’autres projets culturels, le Covid-19 frappe, obligeant les artistes à repenser leur démarche. « On a demandé aux gens de dessiner des pochettes d’album en format sous-bock, c’était une façon de s’amuser malgré tout », confie Laurent Lolmède, devenu le “Général de Gaulle” du sous-bockisme, non sans une pointe d’ironie.
L’ambiance est à la fête, mais aussi à la découverte, alors que les visiteurs circulent entre les 150 sous-bocks exposés. Ce soir marque aussi le coup d’envoi d’un crowdfunding sur Ulule pour financer la publication d’un livre, le SOUS-BOCK BOOK. L’objectif ? Rassembler plus de 1000 œuvres issues de cinq ans de créations sous-bockées dans un ouvrage de 250 pages, où chaque pièce, aussi petite soit-elle, raconte une histoire.
« Yann ne sait jamais faire les choses simplement », plaisante Laurent en évoquant son complice le gérant de l'établissement, partenaire de cette aventure éditoriale. Celui-là même qui, quelques semaines plus tôt, inaugurait un Book Club dans son resto-zinc, autour de la BD, Ivre d'images. Avec ce projet, ils visent à perpétuer l’esprit de liberté artistique qui anime ce mouvement depuis ses débuts.
Le mouvement, né presque par accident, a depuis pris des proportions inattendues. Plus de 1200 sous-bocks ont été réalisés depuis les débuts. Les artistes y trouvent un terrain de jeu où tout est permis : amateurs et professionnels se côtoient, enfants de 10 ans et grands noms du milieu, tels que Florence Cestac ou Philippe Geluck, se retrouvent sur ce support aussi modeste que symbolique. « Un jour, j’en ai trouvé une pile dans un vide-grenier. J’ai commencé à dessiner dessus, puis à les échanger sur les festivals », raconte le Général.
Ce n’est pas qu’une affaire d’artistes confirmés, loin de là. L’appel est toujours ouvert : « Si vous voulez participer, il suffit d’acheter un livre, on vous en offre un autre pour continuer la collection », explique Yann avec un sourire heureux. Une manière habile d’inciter à la fois à la création et au soutien du projet.
Au fil des années, Sous-Bocks Connexion a su fédérer une véritable communauté, notamment sur les réseaux sociaux via le groupe Sous Bock Collection. Les créations voyagent, de région en région, avec des escales à Angoulême, où l’exposition s’invite même dans le off du célèbre festival de BD. Les artistes, petits et grands, se retrouvent dans ce cercle bouillonnant d’idées, où les frontières entre les disciplines s’estompent.
Et les deux compères d'évoquer l’idée d’une collaboration internationale. « Rêvons grand ! Pourquoi ne pas contacter les mafias du dessin en Belgique, en Espagne ou même en Asie ? », proposent-ils avec une flamme dans le regard. On parle aussi de la création d’une véritable maison d’édition, avec Matthias Bourdelier, à bâtir sur la lancée d’un précédent succès : Wine Is Not For Robots, une première incursion réussie dans l’édition indépendante.
Les discussions s’animent autour des tables, un verre de vin à la main, alors que Laurent Lolmède lance un nouvel appel aux créateurs pour continuer à enrichir le mouvement. Les œuvres, fixées sur des tasseaux de bois vissés, offrent un aperçu fascinant de cette étrange alchimie entre culture populaire et art brut. « Dessiner sur des sous-bocks, c’est la liberté totale, on peut sous-bocker n’importe où, n’importe quand », lance un Laurent Lolmède prêt à gribouiller.
L’objectif du financement participatif est simple : transformer cet engouement en un livre-objet digne des plus grandes bibliothèques, avec une distribution en librairie et une ouverture vers l’international, notamment à Montréal. « Ce n’est pas juste un livre, c’est un morceau d’histoire que nous voulons partager », souligne Yann Diologent, en jetant un coup d’œil malicieux. D'autant qu'une préface en français sera aussi traduite en anglais, pour assurer l'intérêt anglosaxon.
La campagne de financement bat déjà son plein sur Ulule, les premiers soutiens affluent. « Notre premier palier, c’est l’entourage, mais on veut toucher un public plus large. On vise même une traduction anglaise pour le faire voyager », explique Matthias Bourdelier avec ambition.
Alors que les amis affluent, les visiteurs discutent avec des sous-bocks en étoiles dans les yeux – les petites oeuvres seront bientôt à vendre, mais pour l'heure, on apprécie, on se marre, on raconte des histoires. L’aventure Sous-Bocks Connexion ne fait que commencer. Avec le soutien des passionnés et des artistes, le mouvement s’inscrira, tôt ou tard, dans le paysage artistique alternatif.
Le projet de livre, quant à lui, commence ici sa route. « Nous avons déjà sélectionné près de 1000 sous-bocks pour le livre, mais il y a toujours de la place pour d’autres contributions », conclut Yann avant de lever son verre pour un dernier toast… avant mon départ. Car ce soir-là, les sous-bocks sont à l'honneur...
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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