Alors que le Projet de loi de Finances 2025 fait débat au Palais Bourbon, les crédits pour la Culture traversent, comme tous les secteurs « un contexte particulièrement tendu ». Avec 807,5 millions € de crédits pour la démocratisation culturelle, l’une des enveloppes fait débat : celle du Pass Culture. Améliorer le dispositif, tout arrêter, tout repenser ? La locataire de Valois cherche des pistes.
Le 10/11/2024 à 19:33 par Nicolas Gary
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10/11/2024 à 19:33
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Avec 3,4 millions de jeunes ayant profité du Pass Culture en deux ans, et désormais 84 % des jeunes de 18 ans inscrits, le volet quantitatif du projet serait un succès, lit-on dans le PLF 2025. Si suite il doit y avoir, elle tiendra à l'accompagnement, la médiation et l’éditorialisation de l’offre, afin d'encourager une exploration plus riche et diversifiée des pratiques culturelles, tout en touchant les publics encore éloignés de cette offre.
Car le Pass Culture, importé d'Italie par le candidat Emmanuel Macron pour sa première candidature à l'Elysée, en 2017, a pris plus que du plomb dans l'aile. En cause, des coûts de financements qui sont essentiellement fléchés vers l'industrie du livre et l'on ignore si la contribution pour le livre d'occasion n'est pas restée en travers de la gorge de Rachida Dati.
Début octobre, la ministre de la Culture, dernière en date à porter le flambeau, partageait dans Le Monde sa vision d'un Pass Culture revu et corrigé, en cinq étapes :
Inégalités culturelles : renforcer la mission du Pass Culture en ciblant davantage les jeunes issus de milieux modestes pour corriger les inégalités d'accès à la culture. Elle souligne : « Je souhaite donner davantage aux jeunes de condition modeste, sans négliger les classes moyennes, qu’on ne peut laisser de côté. »
Spectacle vivant : flécher une part du crédit du Pass vers ce secteur, sous-utilisé actuellement. Et d'appeler à une meilleure appropriation du dispositif par les acteurs de ce secteur : « En consacrant une partie du crédit au spectacle vivant, je veux nous offrir une seconde chance de renforcer les liens entre notre jeunesse et le spectacle vivant. »
École et culture : « Le Pass culture peut être l’occasion d’amener les élèves à une citoyenneté culturelle », affirmait-elle. Conclusion, créer une continuité entre l'éducation et la culture, en faisant de la part collective un tremplin vers l'émancipation culturelle des jeunes :
Financements et pratiques : rééquilibrer les financements pour intensifier la diversification des pratiques culturelles et des publics : « Il ne s’agit pas seulement de donner plus à certains, il faut aussi leur apporter un accompagnement digne de ce nom. »
Nouveaux usages numériques : changer le Pass Culture en un outil plus interactif, intégrant des fonctionnalités comme la géolocalisation des événements, le covoiturage, et le partage de recommandations : « Pourquoi ne pas rêver aussi d’un Pass culture qui permette de géolocaliser toute l’offre culturelle près de chez soi ? », interrogeait la ministre. Rêvons tout haut, en effet...
Depuis quelques mois, le Pass est chahuté et L’Informé montrait toute l’évolution de la société qui en gère l’opérationnel : 166 salariés, un déménagement pour des bureaux proches des Champs-Élysées… Certes, le budget est resté identique en 2023, avec 282 millions € alloués aux utilisateurs, mais les frais de fonctionnement ont été gentiment reroutés.
Rappelons qu’en 2023, la Cour des comptes avait émis des réserves quant à la gestion des coûts. Et de demander « une vigilance d’autant plus grande que ses impacts n’ont pu être évalués qualitativement ». On reste sur 31 millions € de dépensés, avec des notes de frais, en restauration et déplacement qui ont manifestement flambé.
À LIRE - Le Pass Culture dépenserait-il sans compter ?
Notons cependant que le nombre de salariés a augmenté et que les salaires eux-mêmes ont suivi le même principe. Mais pour le bien commun et la présence sur le territoire. Havas, opérateur de la communication, a également vu ses émoluments en hausse, car plus de campagnes ont été créées et spécifiquement en numérique. ActuaLitté, pour avoir été sollicité, peut attester que l’efficacité n’était toutefois pas la priorité de la société prestataire d’Havas quant aux achats d'espaces.
Sentant venir le procès, et au sortir du rapport de la Cour des comptes, les opérateurs du Pass avaient pris les devant en septembre 2023, dans un exercice de com' habituel. « Depuis son lancement, le pass Culture favorise l'accès au livre et promeut la lecture auprès de ses 3,4 millions de bénéficiaires de 15 à 20 ans », y lisait-on. De fait, en 2022 et 2023, 7,5 millions d'ouvrages furent réservés, avec un manga qui ne représentait plus que 31 % de cette catégorie.
À cette époque, le projet de Rachida Dati n'avait pas encore été clairement défini, mais la communication Pass réorientait ses messages, pour montrer combien la chaîne du livre jouissait des bienfaits du Pass. Ainsi, apprenait-on, de « nombreux jeunes de découvrir des lieux de lecture proches d'eux : librairies, bibliothèques, médiathèques ». En 2022, une étude indiquait qu'un tiers des utilisateurs se rendait déjà en bib et la géolocalisation littéraire en avait conduit un sur deux à découvrir un lieu.
Désormais, près d'un millier de bibliothèques publiaient alors leurs propositions culturelles dans l'appli, et organisaient « des visites scolaires dans le cadre de la part collective ». C'est qu'à l'époque, il s'agissait d'abonder en faveur du « plan d'action Bibliothèques & Médiathèques » de la rue de Valois, afin d'inciter les établissements à participer. Et que « de plus en plus de jeunes découvrent la richesse de leurs propositions ».
Sauf qu’entre temps, l’industrie du livre et Rachida Dati ont eu quelques mots autour de chiffres. « Rachida Dati s’est mis tout le monde à dos mercredi avant l’ouverture du salon. En substance, elle a dit aux éditeurs que c’était tous des petits bourgeois qui ne voulaient pas que les livres aillent dans les quartiers.. Bref, c’était glacial » nous témoignait un éditeur.
Au cœur du différent, la contribution pour le livre d’occasion, vivement souhaitée par les éditeurs pour grappiller un peu d'argent — et que la locataire de Valois avait rejeté, pour les raisons évoquées ci-dessus. Sauf que le président Macron, manifestement très bien sensibilisé au sujet, valida le principe (sans aucun opérationnel depuis avril 2024). Et clouait au pilori sa ministre, sacrifiée sur l’autel des intérêts du SNE, en somme.
Une petite vengeance était survenue, quand la ministre remit sur la table la question de la publicité du livre à la télévision. Faisant vrombir plusieurs patrons de maisons comme Antoine Gallimard et Denis Olivennes.
Le Pass Culture, en période de restrictions budgétaires telles que souhaitées par le nouveau Premier ministre, subira des coups de rabot, c’est promis. Et certains imaginent, facétieux, que Rachida tiendra là une seconde fournée de plats froids à consommer.
D’ailleurs, l’industrie du livre avait promis en septembre dernier qu’elle ferait « preuve d'une extrême vigilance sur des projets de réforme » à venir. De fait, Michel Barnier menace de couper le robinet d’une véritable manne financière pour les distributeurs en premier lieu, les maisons traduisant des mangas, ensuite et celle publiant de la romance, enfin (traduite également). En somme, le Pass Culture profite peu à la création française, depuis sa mise en œuvre. Et dans ce contexte interviennent les deux missions flash dévoilées ce 8 novembre — à la limite du laser !
Parmi les mesures déjà prévues, Rachida Dati a annoncé qu’une partie du montant alloué à chaque bénéficiaire serait désormais dédiée au spectacle vivant. L’objectif est d’encourager les jeunes à assister à des spectacles, tout en incitant les professionnels du secteur à élargir leur offre, à la rendre accessible dans l’ensemble des territoires et à renforcer la médiation culturelle auprès des jeunes.
Or, pour ne pas froisser les éditeurs, elle assure que la réforme ne s’opérera pas « au détriment du secteur du livre ». Les conclusions de la double mission confiée à Christopher MILES, directeur général de la création artistique, pour étudier le premier point et Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, pour le second, sont attendues mi-décembre.
Le premier volet concernera « la mise en œuvre la plus efficace » d’une part consacrée au spectacle vivant. Le second étudiera « l’impact de la mesure sur le secteur du livre et de la lecture, et de proposer des solutions qui valorisent le réseau des librairies indépendantes ». Et ce considérant que ces commerces représenteraient « la première porte d’entrée des jeunes vers la lecture et la culture ».
De fait, cette affirmation mériterait une mission à elle seule, et d’être ensuite réévaluée pour ne pas proférer de telles énormités. De même, l'intitulé de ce volet mériterait plus de franchise : comment répartir l'argent du Pass de manière plus équilibrée, sans que le livre ne rafle tout. On aboutira, dans cette logique, à un plafonnement des dépenses, qui ajoutera un peu plus de complexité à cet appareil.
En parallèle, la mission se consacrera à « l’élargissement du Pass Culture à la presse écrite, dans une optique d’éducation aux médias et à l’information ». Et à ce titre, Noël Corbin, qui avait supervisé la mission Bibliothèque confiée par Françoise Nyssen quand elle était à Valois, avec Erik Orsenna. Délégué général à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle, il sera partie prenante des deux missions.
« En effet, le Pass Culture a été beaucoup utilisé dans les librairies, non seulement pour les mangas, mais aussi pour l’achat de livres nécessaires aux études supérieures », rappelait la ministre lors de son audition devant la Commission Culture du Sénat, ce 4 novembre. « Il convient donc de ne pas se priver d'un tel accès à la culture, qui apporte par ailleurs un soutien au réseau des librairies indépendantes. » Pas complètement en tout cas.
Au cours de ces échanges, le sénateur Pierrz Ouzoulias (Hauts-de-Seine) le rappelait : chaque année, il dépose un amendement demandant la suppression du Pass, car il « faut revenir sur ces gadgets macroniens ». Et le Pass doit devenir « une politique au service du ministère de la Culture ».
Sa consœur de Seine-Maritime, Catherine Morin-Desailly, saluait pour sa part l’idée que l’outil participe au financement de la création. « Le pass Culture est une politique de la demande, et non pas de l’offre : on ne se demande jamais si les opérateurs ont les moyens de développer une offre culturelle adaptée. »
Reste que de remanier le fonctionnement, manifestement en profondeur, sera un impératif. Et dans l'édition, on connait la chanson : quand on se partage un gâteau, plus on compte de convives autour de la table, plus les parts sont petites...
Crédits photo : Commission Culture du Sénat
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
6 Commentaires
Gaucho Marx
10/11/2024 à 22:39
Ce Macron, quand même, on lui aura tout fait. Ses deux mesures phares, la suppression de la TH et le Pass (moi le sel), sont en passe d'être réduites en cendres. Pour des raisons budgétaires. Faut pas jouer les riches quand on a pas le sou !
nathalie
12/11/2024 à 07:57
Je suis étonnée, cher Gaucho Marx, tu oublies le SNU !!!!
(si je me permets le tutoiement).
Cole Brown
12/11/2024 à 07:58
Souvenirs, souvenirs...
"Le montant des APL en baisse de 5€, à partir de la rentrée 2017"
La radinerie du capitalisme comme moteur de sa morgue destructrice.
Edco
12/11/2024 à 10:42
Vaste débat....Est -ce que le pass culture est comme le ticket restaurant ...? Auquel cas , il ne peut ni m obliger à manger ds les restaurants gastronomiques , ni à consommer vegan, ni à engloutir des gélules probiotiques......
Marie
12/11/2024 à 17:46
..."réduire les ventes de livres du Pass culture" au profit de quoi? L'article est muet ou du moins vaseux...Par ailleurs je pensais que c'est la ministre de la Culture du premier mandat Macron qui en avait eu l'idée, du Pass culture (la directrice de Actes Sud). Alors, ce serait une importation d'Italie par Macron??Quel tricotage grandissant exponentiellement que l'info !!
Nicolas Gary - ActuaLitté
12/11/2024 à 17:59
Bonjour Marie
Concernant l'importation du Pass Culture, c'est notoire, le candidat Macron avait gentiment oublié de le dire durant la campagne de 2017 mais vous en trouverez trace ici (article de janvier 2017) : https://actualitte.com/article/29319/reseaux-sociaux/emmanuel-macron-ouvrir-toutes-les-bibliotheques-le-soir-et-le-week-end
Le Premier ministre italien avait mis en place cette mesure en octobre 2016. Et comme d'un pays à l'autre, les gens circulent, certains ont apporté l'idée au candidat à la présidentielle. Conclusion Françoise Nyssen n'y est pour rien : le Pass a été instauré en février 2019, quand Franck Riester était au ministère.
Enfin, la réponse à votre légitime interrogation “au profit de quoi?” est simple : personne ne le sait, ou, pire, la solution évidente fait peur à imaginer. Car elle pourrait se résumer à : au profit de rien et avec la possibilité d'une suppression. A ce stade, il s'agit d'une hypothèse, mais dans la période de restrictions budgétaires + intitulé des missions lancées par Rachida Dati = sérieuses interrogations sur l'avenir de ce levier...