Les éditions Dupuis annoncent avec tristesse le décès de la résistante, poète, écrivain, journaliste et correspondante de guerre Madeleine Riffaud. Il est survenu ce matin à son domicile parisien. Elle avait 100 ans. Leur hommage est ici diffusé en intégralité.
Le 06/11/2024 à 20:09 par Victor De Sepausy
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Publié le :
06/11/2024 à 20:09
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On peut être spectateur de sa vie, subir les événements, n’être que le témoin des bouleversements qui nous entourent. Très tôt, Madeleine Riffaud a, quant à elle, décidé d’être actrice de son existence. Née le 23 août 1924 à Arvillers (Somme), Madeleine développe une force de caractère qui la pousse à vouloir résister aux Allemands dès 1940, alors qu’elle n’a que 16 ans.
Après un séjour de quelques mois en sanatorium en Isère, elle se rend à Paris en 1942 pour entrer dans la Résistance intérieure. Avec comme nom de guerre Rainer, en hommage à l’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke, Madeleine enchaîne les missions, apprend toutes les ficelles des combattants clandestins, grimpe quatre à quatre les échelons dans l’organisation.
En 1944, elle intègre les FTP (Francs-tireurs et partisans). En juillet de la même année, elle abat un officier allemand en plein jour sur le pont de Solférino. Par malheur, elle est immédiatement arrêtée par la milice, qui la livre à la Gestapo. Après plusieurs semaines de torture pendant lesquelles Madeleine ne parle pas, elle est condamnée à mort. Le 15 août, elle parvient à s’échapper du « convoi des 57 000 », dernier convoi de déportés politiques parti de Paris pour Buchenwald et Ravensbrück.
Le 19 août, elle est de nouveau opérationnelle pour participer à l’insurrection parisienne, dans le 19e arrondissement. À la tête d’un détachement de trois hommes, elle stoppe un train de soldats allemands dans le tunnel des Buttes-Chaumont et fait 80 prisonniers. Puis elle participe à l’âpre bataille autour de la place de la République, prend fin la libération de Paris. Elle tente alors, comme ses compagnons d’armes, de s’engager dans l’armée régulière pour continuer le combat jusqu’en Allemagne. Mineure (elle n’a pas encore 21 ans) et tuberculeuse, elle est éconduite. La guerre est terminée pour elle, la laissant brisée par les semaines de torture et les troubles de stress post-traumatique.
L’écrivain Claude Roy, qu’elle avait croisé au sanatorium, lui présente Paul Éluard, qui la prend sous son aile. L’auteur du poème Liberté est frappé à la fois par l’état d’épuisement extrême de la jeune femme et par les poèmes qu’elle a écrits pendant la guerre. Il lui présente Picasso, Vercors, et publie ses compositions dans L’Éternelle Revue. Grâce à Éluard, elle commence une carrière de journaliste, d’abord dans Ce Soir, dirigé par Louis Aragon, puis dans La Vie ouvrière, hebdomadaire de la CGT.
Madeleine couvre les grèves nationales de 1947 et celles des mineurs de 1948. En 1954, elle part au Viêt-Nam pour surveiller la bonne application des accords de Genève. Elle se marie avec le poète Nguyên Đình Thi, qu'elle a rencontré au festival de la jeunesse de Berlin, 3 ans auparavant. Elle retrouve Hô Chi Minh qu'elle a rencontré à Paris en 1946. Les couples mixtes étant interdits par les Chinois qui ont pris le pouvoir en sous-main, elle rentre en France, en 1955. Elle reprend pied avec le journalisme.
En 1957, Madeleine intègre le quotidien L’Humanité pour couvrir la guerre d’Algérie. Dans ses articles, elle dénonce les rafles qui ont lieu à Paris, la torture des opposants algériens rue des Saussaies, dans les mêmes locaux où elle a été torturée en 1944, le massacre du 17 octobre 1961. Elle se rend régulièrement en Algérie, souvent clandestinement pour échapper à l’OAS (Organisation de l’armée secrète) qui l’a condamnée à mort. En 1962, de passage à Oran, elle est victime d'un attentat : un camion militaire percute frontalement sa voiture.
Brisée en 1000 morceaux, elle passe plusieurs mois sur un lit d’hôpital en Suisse. En 1964, elle retourne au Viêt-Nam, pendant plusieurs semaines dans les maquis Viêt-Cong. Elle y retournera jusqu’à la fin du conflit en 1973. De cette expérience sur le terrain, elle tire les livres Dans les maquis vietcong, et Au Nord-Viêt-Nam (écrit sous les bombes).
En 1974, marquée par l’hospitalisation et le décès de sa mère, Madeleine décide de dénoncer les conditions de travail du personnel hospitalier en France. Forte de sa formation de sage-femme pendant la guerre, elle se fait embaucher comme aide-soignante sous un faux nom et travaille pendant un mois dans plusieurs hôpitaux. Cette enquête donne lieu à un livre, Les Linges de la nuit, publié en 1974, qui se vend à un million d’exemplaires.
Dédiée toute sa vie à celles et ceux qui souffrent, Madeleine se consacre à partir de 1994 à la mémoire des Résistants morts pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Longtemps, elle refusa de revenir sur ces années sombres. Mais pour le cinquantenaire de la Libération, Raymond Aubrac la convainc de raconter aux jeunes générations son expérience de la Résistance, en souvenir de ses camarades disparus.
Depuis, elle n’a cessé de transmettre sa mémoire. Poète, écrivain, journaliste, parolière, elle devient scénariste de bande dessinée à 97 ans en publiant son autobiographie Madeleine, résistante, scénarisée par JD Morvan et dessinée par Dominique Bertail (Dupuis ; Prix René Goscinny - Prix du scénario 2022).
Les auteurs Éloïse de la Maison, Philippe Denimal et Jean-David Morvan ont également tenu à lui rendre hommage :
Madeleine Riffaud, Rainer dans la Résistance, est décédée à Paris ce mercredi 6 novembre. Elle était probablement la dernière survivante à avoir participé à la Résistance, dès l'adolescence, et à la Libération de Paris à l'approche, et y compris le jour, de ses 20 ans.
Par la suite, d'abord désemparée de n'avoir point pu être enrôlée dans l'armée régulière pour poursuivre le combat parce que femme, mineure et tuberculeuse, elle fut repérée par Paul Eluard comme ayant un talent d'écriture, elle était poète, et fut engagée comme journaliste puis par la suite reporter de guerre, notamment en Indochine, en Algérie, au Vietnam.
Au cours de toutes ces années, elle est devenue l'amie d'Eluard, de Vercors, de Picasso... et comment ne pas mentionner également, même si cela paraîtra surréaliste aux yeux des plus jeunes, sa jolie complicité avec Hô Chi Minh ?
Femme étonnante de vivacité, avec les souvenirs intacts qu'elle avait fait remonter à la surface lorsque Raymond Aubrac lui avait intimé l'ordre de témoigner à son tour en 1994, après s'être tue pendant 50 ans, ultime mission de Résistance.
Femme étonnante de courage, face à l'adversité ou à la pensée du moment, sa vie durant et même encore récemment lorsqu'elle poursuivait ses projets, dont certains aboutis, d'ouvrages et de bandes dessinées.
Femme étonnante de lucidité sur le monde comme il ne va pas, nourrie par son expérience de vie, redoutant d'être récupérée par les uns ou par les autres, ce qui ne manquera pas d'arriver néanmoins.
Quelle femme drôle enfin, avec un formidable talent de conteuse doublé d'un sens aigu de la formule. Elle était une femme exceptionnelle qui n'aimait pas beaucoup qu'on lui dise.
J’apprends avec une profonde tristesse la disparition de Madeleine Riffaud, à l’âge de 100 ans. Poétesse, grande journaliste et reporter, elle avait participé en tant que résistante membre du groupe Francs-tireurs et partisans à la lutte pour la libération nationale, il y a 80 ans de cela. Je salue la mémoire de cette héroïne au courage admirable et exemplaire.
Née dans la Somme de parents enseignants, Madeleine Riffaud n’a pas vingt ans lorsque la guerre éclate. Jeune étudiante, elle s’engage dans la Résistance et choisit « Rainer » comme nom de guerre, en hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke. Arrêtée après avoir pris les armes, elle est torturée par la Gestapo avant d’échapper de peu au peloton d’exécution puis à la déportation. A l’été 1944, elle participe à la Libération de Paris auprès de ses camarades FTP, contribuant à la capture de plus de 80 soldats allemands.
Eprouvée par son expérience de la guerre et de ses atrocités, Madeleine Riffaud trouve dans la poésie, l’amitié et l’engagement des raisons pour continuer à se battre. Proche de Paul Eluard, qui éditera ses œuvres poétiques, mais aussi de Louis Aragon, de Pablo Picasso et de Vercors, elle entame une carrière de journaliste dans la presse communiste, pour Ce soir, La Vie ouvrière et L’Humanité.
Devenue reporter, elle couvre les conflits décoloniaux en Algérie et au Vietnam, un pays qui compte particulièrement pour elle. Elle publie plusieurs ouvrages chez Julliard à partir de son expérience de journaliste, notamment Dans les maquis « vietcong » (1965) et Au Nord Viêt-Nam. Ecrit sous les bombes (1967), mais aussi Les Linges de la nuit (1974), un livre d’enquête sur les conditions de travail des personnels des hôpitaux.
Crédits photo ©JD Morvan
Par Victor De Sepausy
Contact : vds@actualitte.com
Paru le 20/08/2021
128 pages
Editions Dupuis
23,50 €
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