La collection Tolkien au coeur d'un litige entre Bourgois et Vincent Ferré
Depuis 1972, les éditions Christian Bourgois sont associées, en France, aux œuvres de J.R.R. Tolkien - Stock avait publié, dès 1969, Bilbo le Hobbit dans une traduction de Francis Ledoux. Les amateurs de la fantasy de l’auteur britannique connaissent bien le nom de Vincent Ferré : en une vingtaine d’années, il en est devenu l’un des éminents spécialistes, accompagnant de nombreuses publications de la maison. Mais cette relation au long cours s’est changée en litige.
Le 07/11/2024 à 12:25 par Antoine Oury
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34 ouvrages. Tel est le décompte réalisé par Vincent Ferré lui-même, alors que sa rupture avec la maison d'édition Christian Bourgois semble consommée. 34 livres autour de l'œuvre de Tolkien, qu'il a supervisés, traduits ou même écrits : certains reprennent des textes de l'auteur britannique (comme Le livre des contes perdus ou les nouvelles traductions du Hobbit et du Seigneur des Anneaux), d'autres les étudient (notamment Tolkien sur les rivages de la Terre du Milieu et Tolkien, trente ans après, qu'il a signés).
Professeur de littératures comparées, spécialiste du roman européen du XXe siècle et médiévaliste, Vincent Ferré est indissociable de l'œuvre de Tolkien. Si bien que, lorsque la Bibliothèque nationale de France lui consacre une exposition, en 2019-2020, elle fait appel à Ferré pour en assurer le commissariat, avec Frédéric Manfrin, conservateur en chef au département Philosophie, Histoire et Sciences de l’Homme, Élodie Bertrand et Émilie Fissier, de la BnF.
Une « invisibilisation »
23 ans après le début de cette collaboration avec les éditions Christian Bourgois, Vincent Ferré a confirmé, par un article publié sur son site, Pour Tolkien, que les relations étaient loin d'être au beau fixe avec la maison.
Réagissant à la parution d'un beau-livre publié par les éditions Géo, Voyage dans les mondes de Tolkien, signé Régis Habert, Vincent Ferré procède à un relevé de « nombreuses confusions et erreurs » trouvées dans les propos de Martin Vagneur, responsable éditorial chez Christian Bourgois, notamment chargé de la collection Tolkien... Vagneur a été nommé en janvier 2023 à ce poste au sein des éditions Bourgois, qu'occupait précédemment Vincent Ferré.
Au-delà des imprécisions pointées par l'universitaire, ce dernier s'estime victime d'une « invisibilisation », de « l’appropriation de ses contributions » à la collection Tolkien et d'une « réécriture de [l']aventure éditoriale » autour des ouvrages consacrés à la Terre du Milieu.
Vincent Ferré a assuré ces fonctions — de directeur de collection, de concepteur d’ouvrages, de traducteur — de manière continue à la demande de Christian et Dominique Bourgois, puis des actionnaires de la société Bourgois éditeur (2019-2022), avant que ces derniers décident, quelques mois avant la vente de l’entreprise, de cesser brusquement d’exécuter les contrats les liant et de l’évincer purement et simplement – refusant de lui payer plusieurs années de travail.
- Vincent Ferré, sur son site Pour Tolkien, 23 octobre 2024
Comme il le souligne lui-même dans son texte, Vincent Ferré a saisi les tribunaux « afin de faire valoir ses droits ». Une audience est programmée pour le 19 novembre prochain : dans l'intervalle, le principal intéressé n'a pas souhaité commenter ou apporter d'autres éléments.
Un précieux catalogue
Véritable pilier de la pop culture, l'œuvre de J.R.R. Tolkien jouit du prestige lié à une pierre angulaire de la fantasy, mais bénéficie également d'un intérêt renouvelé, grâce à des adaptations fréquentes. Les films de Peter Jackson adaptés du Seigneur des Anneaux et du Hobbit, bien entendu, mais aussi des jeux vidéo, une série — Les Anneaux de Pouvoir, sur Amazon Prime —, ou encore un film d'animation, Le Seigneur des Anneaux : La Guerre des Rohirrim, attendu en décembre prochain.
La collection Tolkien de l'éditeur Christian Bourgois représente ainsi un actif de taille, qui a sans aucun doute compté dans l'opération de rachat de la maison par le groupe Madrigall, conclue en septembre 2024.
« Ce rachat consacre le grand engagement de nos maisons, auprès des traducteurs, en faveur de la diffusion de la littérature étrangère — ces “littératures autres” comme Christian aimait les désigner. Il s’agit plus que jamais d’incarner et de défendre ce cosmopolitisme contemporain hérité de nos aînés. Je sais gré à Olivier Mitterrand, après Dominique Bourgois, d’avoir permis d’ouvrir cette nouvelle page de l’histoire d’une très belle maison d’édition, qui a vu son chiffre d’affaires plus que doubler en cinq ans », notait Antoine Gallimard, président du groupe.
Vincent Ferré avait noté, lui aussi, l'« augmentation spectaculaire du chiffre d’affaires » de la maison, qu'il relie directement, dans son texte, au succès de la collection Tolkien qu'il dirigeait. Néanmoins, cette croissance du chiffre d'affaires (1,32 million € en 2020, 2,22 millions en 2021, 2,9 millions en 2022) allait aussi de pair avec un résultat net dans le rouge : 1,9 million € de pertes en 2022, contre 938.000 € en 2021.
À LIRE - Un recueil célèbre Tolkien le poète, et présente 70 textes inédits
Contactées, les éditions Christian Bourgois ne commentent pas le litige avec leur ancien collaborateur, « dans la mesure où une procédure judiciaire est en cours ».
Photographie : couverture du catalogue de l'exposition de la Bibliothèque nationale de France, Tolkien - Voyage en Terre du Milieu, sous la direction de Vincent Ferré et Frédéric Manfrin, Bibliothèque Nationale de France/Christian Bourgois, 2019
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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8 Commentaires
Falco
08/11/2024 à 09:01
En quoi ceci est une information ? Vous devenez un « Voici Livres »?
Quel est l’intérêt de cet article ?
Relisez l’éditorial de Camus du 1er Septembre 1944 dans Combat:
« « Qu'est-ce qu'un journaliste ? C'est un homme qui est d'abord censé avoir des idées. Il est donc un historien au quotidien, et son premier souci doit être la vérité. Peut-on dire aujourd’hui que notre presse ne se soucie que de la vérité ? Comme il est difficile d'être toujours le premier, on se précipite sur le détail que l'on croit pittoresque ; nous faisons appel à l'esprit de facilité et à la sensibilité du public. On crie avec le lecteur, on essaie de lui plaire alors qu'il devrait seulement l'éclairer. En fait, nous donnons toutes les preuves que nous le méprisons. L’argument de la défense est bien connu : on nous dit : « c’est ce que veut le public ! » ". Non, le public ne veut pas cela; on lui a appris pendant vingt ans à le vouloir, ce qui n'est pas la même chose. [Aujourd'hui] une occasion unique s'offre au contraire à nous pour créer un esprit public et élever jusqu'à la hauteur du pays lui-même. »
Team ActuaLitté
08/11/2024 à 09:37
Bonjour Falco
Merci pour ce fondamental rappel historique de Camus.
Que vous ne compreniez pas l'article ni son intérêt montre peut-être que ce n'est pas là un sujet qui entre dans le champ de vos attentes en matière d'information.
De là à nous donner des leçons de journalisme, il y a toutefois un gouffre (genre Padirac) qu'il serait avisé d'évaluer avant de vouloir le franchir.
Falco
08/11/2024 à 10:54
En quoi ceci relève de l’information ? C’est une affaire entre un salarié aigri et son ex employeur rien d’autre. Votre présentation des faits est tendancieuse et pro « machin » alors que vous n’avez, ni moi d’ailleurs, pas accès au dossier! Tous les salariés ne sont pas des anges ni toutes les entreprises ordures! Il y a des salariés qui se croient au dessus du poste qu’ils ont et qui se croient responsables de la réussite de tel ou tel produit en oubliant bien souvent qui fait et signé les chèques et qui ne savent pas la différence entre chiffre d’affaires et bénéfices ! Et puis si votre feuille de choux doit être le média officiel des actions prud’homales il va falloir penser à changer de ligne.
Vous donnez votre point de vue et tribune à une seule des parties ce qui est dégueulasse. Vous faites du Pierre Lazareff qui partait du principe que « Les deux mamelles du journalisme moderne sont l'information et le démenti » … ceci abouti à CNews ou à Fox News et à la légitimation de l’assaut du Capitole, les exactions des gilets jaunes et à l’élection des extrêmes !
Je persiste que ce n’est pas votre rôle d’être « juge d’instruction « ni même « procureur » de ce qui relève d’une affaire privée et qu’en postant une tribune où vous prenez partie pour un des protagonistes vous sortez de votre rôle de journaliste et vous comportez en communauty manager de M. Ferré.
Merci
Majordome
08/11/2024 à 12:54
Monsieur,
Si vous suiviez l'actualité éditoriale concernant Tolkien en VF et si vous aviez lu le communiqué de Vincent Ferré qui contient beaucoup d'éléments factuels, vous sauriez que les lecteurs habitués de l'œuvre sont pour un certain nombre mécontents du travail effectué (voire non effectué) par l'éditeur depuis environ 2 ans...
Tiens donc ! Ça correspond peu ou prou au moment où "l'employé" en question, universitaire de renom et grand spécialiste est écarté de la direction de collection. Oui, en temps que lecteurs assidus cela nous intéresse de savoir cela car ceci explique la baisse de qualité éditoriale.
De plus si vous avez feuilleté le numéro de Géo dont il est question dans l'article et que vous êtes un lecteur féru de Tolkien en VF il est pour le moins étonnant que Vincent Ferré ne soit absolument pas cité dans l'historique des éditions françaises écrit par l'éditeur (que Ferré accusé à juste titre d'invisibilisation) quand on sait le rôle primordial que cet "employé" comme vous dites, a joué dans la diffusion des textes les plus pointus de Tolkien en VF en travaillant notamment main dans la main avec Christopher Tolkien exécuteur littéraire de son père.
Donc on est très très loin de Voici dans cet article.
Vincent Ferré a choisi de sortir de sa réserve car la coupe a débordé avec ce numéro de Géo très orienté et peu honnête intellectuellement... Bourgois choisit de ne pas répondre,c'est leur droit.
Mais on ne peut pas accuser Actualitté de ne pas faire son travail d'information. Votre commentaire est un vrai procès d'intention.
Guillaume Ménager
08/11/2024 à 12:31
Soyons clairs, dans ce conflit, la valeur ajoutée est du côté de Vincent Ferré. Sans son pilotage visionnaire et ses contributions personnelles l’œuvre de Tolkien n'aurait pas été reçu en France comme elle l'a été. Vincent Ferré a plus fait pour Tolkien et la réception de son œuvre que n'importe qui dans ce pays.
Autant la décision de départ de Christian Bourgois de publier les œuvres du Professeur était visionnaire, autant ces la persévérance et le leadership de Vincent Ferré qui ont fait la différence depuis 25 ans. Sur la question essentielle des traductions, c'est M. Ferré qui imposé le plus haut niveau de qualité en confiant cette tâche à Daniel Lauzon.
Christopher Tolkien ne s'y était pas trompé en confiant à M. Ferré la poursuite de l’œuvre éditoriale de son père. L'éditeur Bourgois gère sa rente de situation. Il ne contribue pas au rayonnement de Tolkien en France.
Adrien P.
13/11/2024 à 10:38
Bonjour,
Je partage la pétition de soutien à Vincent Ferré, à l'initiative de plusieurs chercheurs travaillant sur l'oeuvre de Tolkien, qui donne des éléments de contexte pour mieux comprendre le litige et la contribution de Vincent Ferré au rayonnement de l'oeuvre de Tolkien en France.
https://secure.avaaz.org/community_petitions/fr/les_editions_christian_bourgois_soutien_a_vincent_ferre_opposition_a_la_politique_editoriale_de_christian_bourgois/?fbclid=PAZXh0bgNhZW0CMTEAAabd0mZfv_jjMyHGmPwc3XGkN6MSU-phJ__rmtJ6JYxYT0BQw8OZdVMDOc4_aem_BuiHLWNLDDaca1X1U4CARA
Geo
14/11/2024 à 20:21
Soutien total à monsieur Vincent Ferré qui, qu'on le veuille ou non, a effectué chez Bourgois un travail admirable pendant vingt ans - remarquable d'exactitude, de meticulosité, et, oserai-je dire, de dévouement, car la foi de monsieur Ferré en l'œuvre de Tolkien ne saurait être discutée. Monsieur Ferré a édité Tolkien comme ce dernier le méritait, et il a entouré ce travail éditorial d'un autre travail, universitaire celui-là, où le commentaire personnel se mêle aux analyses d'autres connaisseurs de l'œuvre, qu'ils soient universitaires ou bloggueurs-spécialistes.
James
11/06/2025 à 20:49
Depuis plusieurs années, Bourgois a fortement baissé son niveau littéraire. Depuis cette incompréhensible nouvelle traduction de Lauzon (je n'arrive d'ailleurs pas à lire le SdA dans cette version ni n'ai acheté le moindre livre de Bourgois depuis lors). Que justice soit rendue à ceux dont la qualité de traduction ou d'exegese ont permis à cette maison de perdurer jusqu'alors.