À l’occasion de la parution de Faïel et Les Histoires du monde (Le Tripode, 2024), Paolo Bellomo revient sur son parcours et sa vision de l’écriture dans un entretien dans la première partie de l'entretien. Traducteur originaire d'Italie vivant en France, il questionne le rapport de l'auteur à la langue, qu'elle soit maternelle ou étrangère, et leur maîtrise attendue.
Le 06/11/2024 à 12:25 par Federica Malinverno
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06/11/2024 à 12:25
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Vous êtes Italien et traducteur de l’italien vers le français (et vice-versa). Pourquoi avoir écrit ce roman en français ?
Paolo Bellomo : Pendant le processus de création, il y a eu un moment où une voix s’est mise à parler dans mon oreille. C’était la voix d’un petit enfant, Faïel. Elle a commencé à me parler en français et je me suis simplement laissé porter par ce que ce garçon avait à me dire. Au départ, je croyais que j’étais en train d’écrire un monologue pour le théâtre.
Mais au bout de cinq pages, j’ai commencé à voir que cette voix me donnait des détails, se permettait des choses qui allaient très difficilement passer sur scène. Et comme j’avais beaucoup de plaisir à l’écouter, j’ai décidé de continuer à écrire de cette façon-là. Au bout de dix pages, l’écriture avait basculé vers autre chose. C’était peut-être un roman…
Vous n’avez pas véritablement choisi d’écrire en français ?
Paolo Bellomo : Pas vraiment. Dans le sens que je ne me suis pas demandé pourquoi j’étais en train d’écrire en français. C’est une question que je me suis posée a posteriori, grâce aux autres. Et c’est une question qui, pour moi, en soulève deux autres : celle de l’appartenance et celle de la maîtrise, qui sont deux questions fondamentales quand on parle de langue, qui sont souvent à l’œuvre dans les constructions identitaires. Et ce, à plusieurs niveaux : individuel, personnel ou collectif, national.
Et qu’est-ce que ça veut dire pour vous « appartenir à une langue » ?
Paolo Bellomo : J’habite à Paris depuis 15 ans et je sens que j’appartiens à la langue française, que je me meus dans ses espaces, ses locaux en quelque sorte. Cela fait que, d’une certaine façon, la langue française m’appartient aussi. Mais dès que je dis cela, d’autres questions se posent : éminemment concernant l’exclusivité de cette appartenance. En effet, quand un auteur écrit dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, on lui demande souvent pourquoi il a choisi une autre langue que la sienne.
Poser cette question-là revient à parler de sa légitimité : est-ce que le français m’appartient moins parce que ce n’est pas ma langue maternelle, moins qu’à des locuteurs qui la parlent depuis toujours, qui sont nés en elle ? Ne pourrais-je pas m’approprier cette langue au même titre qu’eux ? Et qu’est-ce qu’on fait de cette appropriation ? Ces questions me travaillent depuis longtemps et j’ai fait l’expérience de cet acte disons d’outrecuidance qui est écrire dans une langue qui n’est pas la mienne, à la base, mais qui est, malgré tout, la mienne. C’est une appartenance que je partage avec tellement de monde ! Et que je revendique.
Et par rapport à la question de la « maîtrise » d’une langue ?
Paolo Bellomo : En tant que traducteur on m’a souvent demandé d’où je me permets de traduire vers une langue qui n’est pas la mienne. Pour la traduction, il y a une réponse rassurante, car je m’accompagne toujours avec des locuteurs natifs. Mais, ce n’est là qu’une échappatoire, je pense qu’il n’y a de maîtrise que fantasmée.
Qu’est ce que vous voulez dire ?
Paolo Bellomo : Est-ce qu’on peut vraiment dire de quelqu’un qu’il maîtrise une langue, est-ce que la langue ne déborde pas toujours ? Il suffit de penser aux différentes couches historiques, sociales, d’une langue, mais aussi à comment elle peut très bien se ficher des frontières géographiques. Dès qu’on se pose ces questions, on arrive facilement à constater qu’UNE langue n’existe pas, que la langue est multiple, plurielle en soi. Pour revenir à ma non-maîtrise consciente de la langue française, je crois qu’elle peut servir de miroir pour montrer que toute maîtrise ne peut être qu’imparfaite, qu’elle contiendra toujours une part de non-maîtrise.
En effet, quand on a une idée de maîtrise ça peut être dangereux. Je voulais sans doute me soustraire à ce danger. En italien, je me retrouve, malgré moi, à fantasmer une maîtrise. Dans ma famille, j’étais considéré comme celui qui parlait bien, qui écrivait bien : cela peut amener vers le délire de la maîtrise. Un délire qui aurait été un grand obstacle pour moi dans l’écriture de ce roman. Le fait d’écrire en français m’a permis de me défaire de ce fantasme de maîtrise.
Il aurait donc été plus difficile d’écrire ce roman en italien ?
Paolo Bellomo : Le fait d’écrire en français m’a permis de me laisser porter davantage par mon imaginaire, par ces figures qui apparaissaient, les personnages, leur parole, la logique des scènes... Dès le premier jet, une langue est apparue, celle du petit Faïel. Mais j’avais besoin, avant tout, de ne pas m’occuper de la langue, de me dire : de toute façon j’écrirai mal et ça ne sera qu’au prix d’une très longue réécriture que je pourrai arriver à obtenir à peu près ce que je veux. Je savais que je pouvais compter sur la relecture de mon entourage francophone.
Le fait d’écrire dans cette non-maîtrise m’a aidé à arriver au bout du premier jet. Si j’avais essayé de l’écrire en italien, je pense que j’en aurais été incapable : j’aurais voulu pondre d’emblée, la phrase parfaite, à la hauteur de mes fantasmes, de mes prétentions.
Votre réflexion sur la langue est peut-être en lien avec certaines thématiques du roman, notamment l’expérience d’abandonner une communauté, une langue et puis de la reconstruire... Avant d’écrire le roman, aviez-vous prévu de traiter de ces sujets ?
Paolo Bellomo : Comme je me basais sur une pièce que j’avais écrite avant et sur un conte qu’elle contenait, je savais que je parlerais de la fuite de Sisine et Nennelle. De plus, des sujets comme la migration et la rencontre avec une autre culture et une autre langue sont en lien avec mon bagage culturel et de réflexion : je savais que, d’une façon ou d’une autre, ils seraient venus infuser mon roman. La réécriture que j’avais faite des Perses d’Eschyle a aussi nourri ma réflexion. Mais mon roman n’est pas un roman à sujet.
Pourrait-on lire entre les lignes de ce texte une volonté politique ?
Paolo Bellomo : Ma volonté était de montrer que l’identité n’a de sens, pour moi, que lorsqu’elle est un processus et pas quelque chose d’acquis. En effet, Faïel et Nennelle trouvent leur communauté dans des gens qui n’ont pas de lien de sang avec eux. Même les relations d’amitié ou intergénérationnelles qui se tissent dans le livre relèvent davantage des affinités électives que d’un passé commun. Car une communauté solide n’est pas là d’avance, ne nous précède pas, mais elle est toujours en devenir, en train de se construire.
Et je voulais montrer cela aussi pour déjouer le fantasme du : « Hier, c’est toujours beau », de l’idée qu’il y a un état originaire où tout est pur, tout va bien avant que quelqu’un, souvent un étranger, vienne le contaminer. Mon roman s’ouvre et le conflit est déjà là, avant même le meurtre du père, car le conflit fait partie de la vie et je crois qu’on ne peut être heureux que si on le prend en compte, si on est à même de le traverser.
Et sur cet aspect, certains de mes personnages m’ont même surpris : la première fois que Faïel revient dans sa ville natale pour faire le marché, il entend la langue des envahisseurs. Même s’il nourrit beaucoup de méfiance et de peur envers eux, il est fasciné par cette langue qui s’entremêle avec sa langue d’origine, par les sons que produit ce mélange...
Crédits Image : Eleonore Wallet
Par Federica Malinverno
Contact : federicamalinverno01@gmail.com
Paru le 29/08/2024
313 pages
Le Tripode Editions
20,00 €
Paru le 01/08/2015
433 pages
Editions Gallimard
9,90 €
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