En laissant suffisamment de temps à un singe, ce dernier finirait bien par réécrire les œuvres de Shakespeare. Ce théorème, dit « paradoxe du singe savant », englobe plutôt les notions de probabilités et de statistiques que de littérature. Mais un groupe de scientifiques est désormais formel : le singe ne vivra jamais assez longtemps.
Le 02/11/2024 à 11:33 par Nicolas Gary
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02/11/2024 à 11:33
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Le postulat du Singe savant (ou Infinite Monkey Theorem en anglais) est le suivant : l’animal, appuyant au hasard sur les touches d’une machine à écrire pendant une durée infinie, finirait bien par taper les œuvres complètes de Shakespeare par pur hasard. Pour les mathématiciens, le primate mis en scène sert moins à expliquer comment le hasard conduit à des résultats inattendus.
Personne ne s’attendait à ce que l’on prenne le théorème au pied de la lettre ni de la machine à écrire. Pourtant, Stephen Woodcock, professeur associé, et Jay Falletta, de l’Université de technologie de Sydney (UTS), tous deux mathématiciens, ont confronté l’amusante idée aux possibilités qu’offre notre univers fini.
Ainsi, une très sérieuse étude est sortie dans Science Direct, où les chercheurs ont envisagé toutes les variables nécessaires. D’abord, ujn clavier de 30 touches comprenant toutes les lettres de la langue anglaise et les signes de ponctuation.
Ensuite, ils n’ont pas pris qu’un singe, mais embarqué les quelques 200.000 chimpanzés mondialement recensés. Enfin, pour une productivité optimum, ils ont tablé sur une touche par seconde, jusqu’à la fin de l’univers. Soit une durée de 1 gogol d’années (pas l’écrivain, non) — ce qui représente 1 suivi de 100 zéros. Pas de panique, on a le temps.
Les résultats sont formels : les probabilités qu’un chimpanzé, au cours de sa vie, parvienne simplement à écrire le mot “bananas” (pour bananes en anglais) au cours de sa propre existence sont de 5 %. En revanche, pour Shakespeare, ça se complique : les 884.647 mots de l’œuvre intégrale du Barde relèvent d’une probabilité de 6,4 x 10 puissance 7448254.
En réalité, même pour un livre Curious George de Margret et H. A. Rey, un récit qui compte en moyenne 1800 mots, on aboutirait tout de même à 6,4 x 10 puissance 15043. La probabilité qu’ils tapent « Je suis un chimpanzé, donc je suis », est d’environ une sur 10 millions de milliards de milliards. Trop d'univers nécessaires, pour en faire une hypothèse sérieuse, donc.
On aboutit à un absolu, plus qu'un théorème, de même nature que celui raconté par le philosophe grec, Zénon d’Elée, autour d’Achille et d’une flèche tirée à l’arc. Dans ce dernier, en fractionnant sans fin la distance qui sépare le héros grec de la flèche, on aboutirait à ce que jamais la seconde ne rattrape le premier — l’espace parcouru par l’un l’éloignant toujours de sa poursuivante, jusqu’à des distances infinitésimales.
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Et le professeur Woodcock d'ajouter d’autres énigmes probabilistes – comme le paradoxe de Saint-Pétersbourg ou celui de Ross-Littlewood. Le premier montre qu’un jeu à gains potentiellement infinis conduit à une espérance mathématique infinie. Sauf que personne ne paierait une somme élevée pour y participer – révélant un décalage entre la théorie et l’intuition humaine. Le second, aussi appelé « vase de Ross-Littlewood », démontre qu’ajouter infiniment des billes dans un vase tout en en retirant progressivement chaque bille finit par laisser le vase vide, malgré l’infini d’ajouts.
Ces exemples illustrent comment les concepts d’infini et de probabilités produisent des résultats contre-intuitifs dans des situations théoriques. De fait, l'utilisation de ressources infinies aboutit à des résultats qui ne correspondent pas à ceux obtenus lorsque l'on tient compte des contraintes de notre univers, comme avec notre jeune singe et Shakespeare.
Conclusion des chercheurs : aucun des paradoxes ne fonctionne dans le monde réel et même armés de la meilleure volonté, les chimpanzés ne parviendront pas à réécrire l’œuvre de Shakespeare — immense déception chez les primates. « Il n’est pas envisageable que, même en accélérant la vitesse de frappe ou en augmentant la population de chimpanzés, l’on atteigne de pareils ordres de grandeur », écrivent-ils dans leur étude.
« Compte tenu des estimations plausibles de la durée de vie de l’univers et du nombre de singes dactylo possibles disponibles, il reste encore d’énormes différences d’ordre de grandeur entre les ressources disponibles et celles requises pour la génération de textes non triviaux », poursuivent-ils dans leurs conclusions. Et précisons que le même raisonnement fonctionnerait avec Johann Wolfgang von Goethe ou Molière.
Cela dit, l'oeuvre complète du dramaturge français, qui comprend des dizaines de pièces de théâtre écrites entre 1655 et 1673, contient environ 450.000 à 500.000 mots, selon les éditions. Il faudrait donc moins de la moitié du temps nécessaire que pour Shakespeare. Mais rien n'empêche d'imaginer une suite à la Planète des singes, où l'on jouerait des variantes du Médecin malgré lui...
Crédits illustration : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
Cornelius Boileau
03/11/2024 à 10:03
Très improbable, en effet, mais pas impossible. L'impossible, c'est quand la probabilité est nulle.
On ne peut pas non plus écarter l'idée que comme humains et singes ont un ancêtre commun (5-10 millions d'années en arrière), un de ces singes, confronté aux techniques humaines, et laissé libre de s'adonner au sexe (on n'est pas des sadiques), finisse par créer une nouvelle bifurcation du vivant, dont la lointaine progéniture produise quelque chose, consciemment, d'encore plus génial que Shakespeare.