Les angiologues ne partageront par tous l’assertion de Sam Ventura : « L’âge, c’est dans la tête. » Pourtant, le personnage du dernier roman de Marc Fiorentino, Interdit aux moins de 60 ans, assume pleinement. Mieux : il le revendique. Soixantenaire décidé à ne pas se laisser dicter sa conduite, Sam Ventura entre en résistance. Objectif : abdiquer devant la retraite qu’on nous vend, certainement pas.
Le 05/11/2024 à 12:38 par Nicolas Gary
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05/11/2024 à 12:38
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Après deux romans financiers (Un trader ne meurt jamais, 2009 et Pour tout l’or du monde, 2010, paru chez Robert Laffont), Marc Fiorentino renoue avec Sam Ventura, personnage récurrent dont il s’est attaché. « Il parlait un peu de celui que j’étais voilà une quinzaine d’années, dans l’univers de la finance. Bien que Sam Ventura évoque une continuité, ce n’est pas une suite. » En réalité, le prénom aussi bien que le nom ont quelque chose de sentimental : « Le premier, pour mon fils et mon père. Le second, pour Lino et la chanson d’America, Ventura Highway. »
Et comme les origines italiennes résonnent aussi, c’est bien l’aventure que le romancier a cherchée. « Et parce que l’âge, c’est dans la tête, surtout quand on arrive au tournant de l’activité professionnelle qui aboutit à cette fameuse retraite. » À l’instar de son personnage, Marc Fiorentino « est en pleine forme, en pleine possession de toutes ses facultés et il va le montrer à tout son entourage », raconte l’ouvrage. Mais si le premier cherche un projet qui poursuivra son activité professionnelle, le second, lui, n’a pas raccroché du tout.
« Je vois trop de gens de mon âge entretenant ce complexe du retraité : une population qui s’autoghettoïse, acceptant la bulle dans laquelle la société entend les ranger. Qui a déclaré que le champ des possibles serait réduit parce que l’on a passé les 60 ans ? » Et d’assurer : « La création de start-up n’est pas l’apanage des jeunes entrepreneurs. D’ailleurs, avec l’expérience, on apprend à moins planter des sociétés… »
Alors quoi ? Sam Ventura, chef d’entreprise durant toute sa carrière se refuse à suivre le « piège, voire le conditionnement sociétal », qui agace tant Marc Fiorentino. « On confond le droit à la retraite, parfaitement légitime et compréhensible, avec l’obligation de devenir retraité. Or, ces dernières années, ce discours s’est accentué, avec le jeunisme ambiant et la mode de la tech. » Voici comment son héros refuse d’être cantonné à ce rôle d’inactif heureux, et cherche à tout reconquérir, convaincu qu’il n’appartient pas aux seules jeunes générations d’inventer, d’innover… de fabriquer de la valeur.
« Sam reflète le paroxysme d’une évolution pernicieuse : pour les gens de ma génération, les baby-boomers, l’ambiance de dégagisme est anxiogène. Or, c’est aussi un discours que l’on a accepté, véhiculé : on voulait la retraite, après une vie de travail et vivement qu’elle arrive. En ce sens, nous ne sommes certainement pas exempts de responsabilité. On nous a embobinés, autant que nous nous sommes laissés faire. »
Et d’ajouter : « On reproche à notre génération cette dimension monolithique. Et je le comprends : les hommes étaient programmés à se lever le matin pour aller bosser. Conclusion, quand on arrive au bout du tunnel, c’est la fête. En réalité, je plaide pour un changement de paradigme : maintenant que travailler n’est plus une nécessité, pourquoi ne pas s’y adonner pour le plaisir ? »
De fait, les enfants nés entre 1945 et 1964 (l’acception sociologique du baby-boomer) semblent affublés d’un point commun. « Nous avons été définis parce que nous faisons dans la vie. Notre métier, ce que l’on a gagné, nos acquisitions… tout cela déterminait notre identité. »
Faire pousser des jonquilles, jouer au bridge ou au golf, faire des croisières entre séniors, ou s’occuper des petits-enfants, autant d’images d’Épinal servant de catalyseur : « Nous, les plus de 60 ans, sommes conditionnés à jouer les vieux », se révolte Sam dans le roman. Et son créateur va plus loin : « Les vieux, on les aime aujourd’hui en consommateurs – jusque dans leurs obsèques. » En tout cas, ceux qui en ont les moyens.
Autour de lui gravitent d’autres personnages – Philippe et Gabriel, amis précieux – aussi bien que Sarah. Et s'il a quelque chose de Don Quichotte, Sarah campera une Sancho Panza nettement plus vindicative et énergique. « Dans le milieu bancaire, on dit souvent que si Lehman ne s’était pas appelé Brothers, mais Sisters, il n’y aurait pas eu de crise financière. Et c’est très juste : les femmes apportent une tout autre réalité dans l’entrepreunariat. Sarah remue Sam, mais elle exprime aussi le désarroi des femmes de 60 ans, qui se trouvent confrontées à une autre forme d’exclusion. »
« Je ne veux pas être catalogué comme un senior, un retraité, un inactif. »
– Sam Ventura (p. 175)
`Et cela commence par la parole : le terme de “Boomer”, est aujourd’hui affublé d’une forte connotation péjorative. « Chaque génération a des reproches à adresser à la précédente – jusqu’au moment où elle devient celle qui prend de plein fouet les récriminations de la suivante. C’est le jeu », sourit Marc Fiorentino. « Pour les baby-boomers, les critiques sont légion : on a foutu en l’air la planète, pompé tout le fric, accaparé le patrimoine. »
Ce phénomène de culpabilisation – le bouc émissaire a de l’avenir – se retrouve d’ailleurs dans les cercles familiaux. Car l’on scrute les séniors, presque dans l’attente d’une défaillance.
« À partir d’aujourd’hui, si j’oublie un mot dans une conversation, on se demandera si c’est le signe avant-coureur d’un Alzheimer inévitable. »
– Sam Ventura
Humour noir ? « Mais pas du tout ! », bondit le romancier : « Observez le cas de figure, un jeune de 30 ans qui renverse une tasse. Cela passera pour de la maladresse, et on l’oubliera aussitôt, après quelques moqueries. Chez un soixantenaire, c’est le début de la fin qui se manifeste ! »
Alors, à l’image du roman du roman de Raphaëlle Giordano (Ta deuxieme vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une), Sam aussi bien que Marc opte pour un revirement complet. « La vie ne commence pas à 60 ans, heureusement. Mais elle ne s’arrête pas non plus à 60 ans : elle continue », assure-t-il.
Et le romancier de préciser : « Si le travail n’est plus un labeur, alors il apporte un autre enrichissement personnel. On nous met dans une case, en attendant de nous mettre dans une caisse : eh bien sortons de ce discours sur la servitude volontaire revu à l’époque moderne. Si travailler apporte un réconfort, alors allons-y ! »
L’obsolescence programmée, c’est bon pour les appareils électroménagers en somme. « À 60 ans, il reste encore 10, 15 voire 20 ans à vivre : autant de tranches de vie pour lesquelles se battre. Ce n’est pas tant un refus de la mort qu’un rejet d’une histoire dont on a écrit les chapitres à votre place. »
Tout cela dans une fiction « et certainement pas un guide : je ne me vois pas dans le rôle de gourou donneur de leçons. Ensuite, parce que dans un roman, on exprime plus facilement des vérités. Et la principale, c’est qu’il y a un malaise chez les séniors. Personne n’en parle – sauf à leur psy, parce qu’ils en ont tous un –, mais quand viennent les confidences, on s’en rend compte. »
Prochaine étape ? « J’envisage de monter un parti de seniors, voire un parti. S’il existe une volonté de nous rendre invisibles, et on la constate dans la presse, dans la société globalement, alors je veux bien être l’agitateur qui conteste l’idée d’un déclin obligatoire. »
L’entretien s’achève et une question demeure : stylistiquement, Interdit aux moins de 60 ans est une forme de monologue intérieur, où surgit de temps à autre l’entourage de Sam. Une volonté stylistique, comme un discours ressassé pour donner au lecteur un sentiment de radotage ?
L’auteur marque une pause – mince, un début de perte de mémoire ? – et sourit : « Non. J’ai vraiment radoté. Ce livre, il me tourne dans la tête depuis des années, j’y ai pensé tant de fois… L’écriture et le travail éditorial furent d’ailleurs très rapides. Alors d’une certaine manière, oui, c’est un radotage de vieux. »
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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3 Commentaires
Gilles
06/11/2024 à 08:17
Un angiologue, c’est un médecin spécialiste des vaisseaux sanguins et de la circulation sanguine. La première phrase de cet article n’a aucun sens. Quel manque de culture générale de la part d’un journaliste, quand même….
Team ActuaLitté
06/11/2024 à 08:50
Bonjour
Après vérification, il semblerait que le cerveau soit bien constitué de vaisseaux sanguins.
Que l'un des examens pratiqués par les angiologues soit l'angiographie cérébrale, qui visualise les artères et les veines du cerveau.
Merci de votre commentaire.
Reisman
06/11/2024 à 10:40
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