Hyperactif, rayonnant d’un large sourire, altruiste, Simon de Saint-Dzokotoe est une personnalité qui révèle un fort potentiel communicatif. Sa grande force est son humilité. Depuis des années, il œuvre bénévolement à favoriser l’éducation et la lecture. Plus intéressé par le sens et l’impact de ses actions que par sa propre visibilité, il vient de réussir magnifiquement la 1ère édition du Salon du livre jeunesse de Lomé (SALIJEL). Propos recueillis par Agnès Debiage (ADCF Africa)
Le 24/10/2024 à 17:56 par Agnès Debiage
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Publié le :
24/10/2024 à 17:56
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Un jour, il m’a téléphoné sans me connaître et au fil de nos échanges nous avons sympathisé. C’est donc tout naturellement que j’ai accompagné la création de ce salon. J’ai aimé son enthousiasme, sa réactivité et une vraie confiance s’est établie. Ce salon jeunesse, il en rêvait et il l’a fait. D’autres beaux projets l’attendent et il faudra désormais compter avec lui dans le paysage du livre au Togo.
Agnès Debiage : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la jeunesse ?
Simon de Saint-Dzokotoe : Lorsque j’étais enseignant, j’aimais raconter des histoires aux enfants. Quand je suis parti au Ghana, j’étais bénévole pour enseigner le français dans ce pays anglophone. Enseigner cette langue aux petits Ghanéens m’a obligé à chercher des moyens pour les captiver, alors je leur inventais des histoires pour les amener à comprendre les mots.
Je voyais que ça leur plaisait beaucoup. Alors j’ai commencé à écrire ces histoires. Mon grand frère aussi écrivait lorsqu’il était sur les bancs de l’école. Il m’a encouragé, j’ai repris tous mes textes et les ai retravaillés. Mon premier livre pour enfants, Le secret d’Ayélévi, est sorti en 2020 aux éditions Akoma Mba (Cameroun).
Pourquoi avoir créé le Salon du livre jeunesse de Lomé (SALIJEL) ?
Simon de Saint-Dzokotoe : En tant qu’auteur et ensuite éditeur, j’ai vu qu’au Togo il manquait un cadre d’expression pour la littérature jeunesse. Jadis, la production éditoriale jeunesse était plus abondante et les auteurs alimentaient cette tendance. Mais, petit à petit, cela a diminué et aujourd’hui trop peu de livres jeunesse sont édités dans notre pays, les éditeurs se tournent plus vers la littérature générale. Les auteurs jeunesse ont commencé à disparaître. Mais les enfants, eux, sont là. C’est pour cela que nous faisons la promotion de la lecture à travers notre association Lire au Togo. On va dans des villages reculés apporter des livres aux enfants.
En faisant cela, je me suis dit, pourquoi ne pas redynamiser cette situation et donner un élan à la littérature jeunesse. Cela m’a conduit à créer ce salon, pour ouvrir cette fenêtre vers la littérature jeunesse, ses auteurs, ses illustrateurs, ses éditeurs et permettre au Togo d’avoir une plateforme dédiée au livre jeunesse. Le cœur de ma motivation s’est porté sur les enfants pour leur permettre de découvrir cet univers livresque. Les professionnels du livre togolais voyagent vers d’autres pays, mais personne ne vient vers le Togo, alors à notre petit niveau on a essayé d’inverser la tendance.

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
Simon de Saint-Dzokotoe : Je vais d’abord parler de ce qui permet d’organiser un salon, à savoir les finances. Si nous n’avions pas obtenu, sur la base de notre projet, le soutien du programme Ressources éducatives (Institut français, UNESCO, AFD), ce SALIJEL n’aurait pas pu avoir lieu. La recherche de fonds complémentaires a mobilisé énormément d’énergie. On a aussi eu du mal à rassembler et à convaincre les acteurs de la chaîne du livre. D’ailleurs, je trouve dommage que la majorité des stands partenaires ait été payée par des internationaux, seuls deux acteurs togolais ont joué le jeu de ce soutien total au SALIJEL. Et enfin, on a peiné à avoir le soutien des pouvoirs publics.
Notre ministère de la Culture se limite aux parrainages, c’est certes un soutien moral, mais créer un salon oblige à beaucoup de dépenses si l’on veut faire une manifestation digne de ce nom. Enfin, en tout dernier, on a dû constituer une équipe de bénévoles motivés. Beaucoup sont prêts à s’investir, mais demandent à être payés alors que nous tous sommes des bénévoles. Tout cela a été un chemin difficile au fil des mois, mais le résultat est là : tout le monde s’accorde à dire que c’était un très beau salon.

Quels ont été les retours des enfants et professeurs sur ce 1er SALIJEL ?
Simon de Saint-Dzokotoe : Franchement, les enfants étaient très contents et cela s’entendait dans les allées du salon. C’était la première fois qu’ils prenaient part à un événement qui leur était entièrement dédié. C’est important, car ils voyaient les écrivains un peu comme des extra-terrestres, mais là, ils ont pu rencontrer et échanger avec des auteurs et des illustrateurs et découvrir des livres qu’ils n’ont pas l’habitude de voir.
Et surtout, ils ont pu participer de façon ludique aux activités et ateliers. Dans l’espace illustration, ils se sont amusés en dessinant et en peignant. Ils ont activement participé aux tables rondes et ils posaient eux-mêmes des questions.
Les enseignants ont vraiment trouvé génial le fait que le SALIJEL mette gratuitement des bus à disposition pour venir chercher des classes entières dans leur école. Ces enfants n’auraient jamais pu venir si nous n’avions pas agi ainsi. Pour nous, c’était une démarche évidente, car les enfants sont au cœur de ce salon.
Au total, nous avons ainsi pu toucher une vingtaine d’écoles totalisant à peu près 3000 élèves. Plusieurs écoles privées sont venues par leurs propres autobus. C’était vraiment top !

Quels sont les avis des professionnels du livre à l’issue de cette première édition ?
Simon de Saint-Dzokotoe : Je crois qu’ils sont tous satisfaits. Au début, ils avaient un doute que le salon tienne ses promesses. A la clôture, tout le monde a donné une excellente note à l’événement et ils sont partis très enthousiastes en évoquant déjà 2025. Certains ont même avoué qu’ils n’imaginaient pas que c’était une toute première édition, car nous avons su conjuguer affluence, animations, tables rondes,…
Qu’est-ce qu’a généré le fait de réunir tous ces professionnels du livre ?
Simon de Saint-Dzokotoe : J’ai le sentiment qu’à travers ce salon, on a créé de la synergie. Une synergie qui n’existe pas au Togo. On a fait travailler ensemble les libraires et les éditeurs, mais ils ont aussi collaboré avec les auteurs et finalement tous ont été mis en interaction avec les parents et les enfants, favorisant cette synergie.
C’est une première et cela ouvre des perspectives pour le futur.

Aujourd’hui, comment peut-on soutenir le SALIJEL si l’on est un individuel ?
Simon de Saint-Dzokotoe : Nous avons d’ores et déjà mis en place une cagnotte en ligne pour l’édition 2025. En effet, pour ce 1er SALIJEL, nous avons fait appel à des dons de livres, mais cela a été très compliqué de faire venir les livres de France où se trouvaient les donateurs.
Donc l’an prochain, il sera plus logique d’acheter des livres sur place et dans les pays de la sous-région pour animer les ateliers du salon et offrir des chèques livres aux enfants. Les livres donnés en 2024 vont continuer à circuler dans nos animations au cœur des villages que nous coordonnons tout au long de l’année.
Ce SALIJEL a été précédé par une formation des libraires ? Avez-vous prévu de renouveler une action professionnelle chaque année ?
Simon de Saint-Dzokotoe : Cette année, nous avons choisi la professionnalisation des libraires, car au Togo, les librairies qui se créent sont de toutes petites structures. Notre marché a été très déstabilisé par la fermeture de la grande librairie Star. Nous avions à cœur de faire monter en compétences ces petites librairies pour les aider à se développer.
Une vingtaine de libraires représentant environ 12 structures ont été formés pendant 3 jours pour les encourager à mieux gérer et valoriser leur librairie. La plupart d’entre eux sont des vendeurs de livres et non des libraires or ils ont pu prendre conscience de ce qu’est et fait un libraire. L’accent a été mis sur la valorisation de la librairie.
Pour les années à venir, nous avons d’autres projets de formation et notamment la formation des médiateurs à la lecture, comment apporter le livre vers l’enfant et créer des activités autour des livres. On pense aussi à une formation pour les jeunes auteurs afin de dynamiser la production togolaise.
Qu’attendez-vous des partenaires privés et institutionnels ?
Simon de Saint-Dzokotoe : On espère que tous les partenaires qui ont soutenu cette 1ère édition renouvelleront leur confiance au SALIJEL et que ce soutien montera en puissance. Côté institutionnel, on aimerait tout de même que ces derniers nous fassent confiance. Se sentir soutenus par les institutions togolais et internationales serait mérité je pense. Il faut être réaliste, sans ces soutiens, le SALIJEL ne peut pas être durable or nous avons commencé à construire quelque chose de formidable.
Un autre axe qui nous tient à cœur est de développer la distribution de chèques livres. Cela encourage les enfants à lire, ils peuvent ainsi choisir leur propre livre et cela soutient également les exposants présents, donc c’est un cercle vertueux. Cette année, nous en avons financé une poignée sur les fonds de l’association, mais disons-le, trop peu pour avoir un impact réel.
Pour les entreprises, cette distribution de chèques livres peut faire partie d’une politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Cela met les entreprises en valeur et cela soutient une cause qui est l’éducation. On crée les adultes de demain pour qu’ils soient responsables. Notre démarche du SALIJEL s’inscrit aussi dans les objectifs de développement durable de l’UNESCO.
Quels sont les perspectives du SALIJEL pour 2025 ?
Simon de Saint-Dzokotoe : Il faut qu’on monte en puissance, en professionnalisme et qu’on mette en place d’autres animations pour rendre le SALIJEL encore plus vivant. Un des enjeux est aussi d’ouvrir ce salon sur 4 jours et non sur 3 comme cette année. Cela permettrait d’avoir deux journées dédiées aux scolaires et deux journées de week-end pour donner du temps aux familles de venir. Mais cela implique des frais conséquents en supplément, donc cette perspective ne sera possible que si nous sommes soutenus dans notre démarche.

Quel serait votre rêve pour le SALIJEL dans 5 ans ?
Simon de Saint-Dzokotoe : Dans 5 ans, j’aimerais que l’affluence soit décuplée dans un lieu offrant tout l’espace nécessaire. Et si 10.000 personnes venaient visiter notre salon ! Et si ce SALIJEL devenait une plateforme incontournable en Afrique de l’Ouest ? Nous avions 26 exposants cette année, donc si je rêve peut-être pourrions-nous atteindre la centaine dans 5 ans ?
Que ce salon devienne aussi un ciment entre les zones linguistiques en Afrique (ce que nous avons démarré en accueillant deux éditeurs ghanéens cette année). Les petits Togolais doivent pouvoir découvrir des livres de tout le continent. Ils le méritent.
Et si je vais jusqu’au bout de mon rêve, j’aimerais qu’il y ait plein d’auteurs jeunesse au Togo et plein de livres pour enfants publiés et qu’on puisse porter ce salon sous forme itinérante dans les régions du Togo.

Crédits photo : Agnès Debiage
Par Agnès Debiage
Contact : adcfconsulting@gmail.com
3 Commentaires
Jean Kantchébé
24/10/2024 à 20:04
J'étais à la journée de clôture, j'ai participé au grand panel portant sur la vie et l'avenir de la littérature jeunesse au Togo. J'ai été fasciné par lambiance, j'ai visité les nombreux stands des éditeurs togolais, ivoiriens, guinéens...
J'ai été heureux de participer aux échanges lors du panel, d'apporter ma contribution d'idées sur les problèmes du domaine ainsi que les solutions à y apporter. Le SALIJEL, c'est un soleil qui se lève sur un angle important de la littérature au Togo, la littérature jeunesse.
Melba
24/10/2024 à 23:37
C'est une très belle initiative de "Lire au Togo" qui a mis la lumière sur le renforcement de la lecture qui maintenant semble être négligée par la jeunesse.
SAHLAKA
25/10/2024 à 18:58
J ´ai participee au salon en tant qu ´exposant autrice et c ´etait un salon qui a tenu toutes ses promesses et qui a permis aux enfants de renouer avec la litterature jeunesse . Felicitations aux organisateurs qui ont abattu un travail extraordinaire . Le SALIJEL a ete une grande reussite . Nous comptons etre present pour les editions a venir et invitons tout le monde a venir les soutenir.