Cette année, « la Buchmesse parle italien », plaisantait le président de l’AIE (Associazione Italiana Editori) Innocenzo Cipolletta. L’enthousiasme est palpable, toute comme la croissance des cessions des droits à l’étranger. Mais les défis pour valoriser le livre italien, tant dans les frontières du Bel Paese qu'à l’international, demeurent nombreux.
Le 21/10/2024 à 10:14 par Federica Malinverno
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En 2024, le pays invité d’honneur à Francfort est l’Italie. Pour célébrer cet événement, qui avait eu lieu une seule fois auparavant, en 1988 (c’était l’époque de l’extraordinaire succès international de Umberto Eco, avec Le Nom de la Rose, Bompiani, 1980), le pavillon italien a été construit par l’architecte Stefano Boeri.
Il représente une piazza (place), un espace ouvert bordé par un portique de colonnes sur lequel s’ouvrent plusieurs expositions consacrées à certains thèmes et personnages italiens.
À titre d'exemples, l’une d’entre elles est dédiée à Machiavel, une autre à Aldo Manunzio et à l’invention de l’imprimerie, une autre encore à la bande dessinée et à l’illustration italiennes contemporaines.
Un espace, donc, qui célèbre l’excellence du patrimoine italien (même des fresques originales de Pompéi ont été transportées à Berlin), selon le slogan « Racines dans le futur » (Radici nel futuro), créé par le commissaire extraordinaire nommé par le gouvernement Mauro Mazza.
Outre l’espace du pavillon italien, d’autres halls de la foire sont réservés à la représentation de l’édition du Bel Paese, notamment le hall 5, où se trouve, entre autres, le stand collectif italien, organisé par l’agence ICE (Agence pour la promotion à l’étranger et l’internationalisation des entreprises italiennes) en collaboration avec l’AIE. Il accueille 131 exposants, sept régions et une province autonome, celle de Bolzano.
Comme l’a rappelé le président de l’AIE, Innocenzo Cipolletta, lors de l’ouverture du stand italien à Francfort, « par rapport à 1988 [...], notre marché est aujourd’hui quatre fois plus important ».
Les données de l’AIE sur l’édition italienne ont été présentées lors de la Foire. Au cours des huit premiers mois de 2024, le marché du livre en Italie a enregistré une baisse de - 0,1 % en valeur par rapport à 2023, avec un chiffre d’affaires de 915,2 millions €.
Cette stagnation peut sembler décourageante. Cependant, les données pré-Covid (2019) permettent de constater qu’au cours des cinq dernières années, les dépenses des lecteurs pour l’achat de livres en Italie ont augmenté de 180 millions €.
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Trois autres éléments sont à souligner : la poursuite de la reprise des librairies physiques, se confirmant comme le premier canal de vente de livres ; la force du segment de la fiction, tant étrangère qu’italienne, (représentant plus d’un livre vendu sur trois) ; le rôle des petits éditeurs, qui englobent près d’un quart des dépenses des lecteurs.
Le président Cipolletta a également souligné la « bonne capacité à s’implanter à l’étranger, avec 7838 droits de traduction vendus, soit quatre fois plus qu’en 2001 ».
L’espagnol, le chinois et le français (651 droits achetés de l’Italie) sont les trois langues qui traduisent les plus de l’Italien. En ce qui concerne les achats, les éditeurs italiens ont acheté des droits de traduction en 2023 pour 9328 titres. L’Italie traduit principalement de l’anglais (5778 titres), du français (1272), de l’allemand (577), de l’espagnol (421) et du néerlandais (188).
Le thème de la diffusion internationale du livre italien a été abordé lors de diverses rencontres et tables rondes organisées pendant la Buchmesse, selon les perspectives des différents acteurs institutionnels et professionnels impliqués dans cette activité.
Outre les organismes gouvernementaux, il s’agit d’agents littéraires, d’éditeurs d’acquisition, de traducteurs, mais aussi d’événements et de structures qui les soutiennent, tels que les salons et les foires du livre.
En effet, la conférence Dall'Italiano al Mondo (De l’italien au monde) a été créée il y a quatre ans par le Salon international du livre de Turin. Cette année, elle a été organisée grâce au soutien, entre autres, de la Buchmesse.
L’initiative met au centre le rôle des traducteurs, qui travaillent à la « construction de ponts » entre différentes langues et cultures, comme l’ont souligné Annalena Benini, directrice du Salon du livre de Turin, et Ilide Carmignani, traductrice de l’espagnol vers l’italien et coordinatrice du projet.
Une délégation de 15 traducteurs et traductrices vers l’italien provenant du monde entier a été invitée à participer à cette rencontre, au cours de laquelle a été présentée une sélection de textes de différents genres — de l’édition jeunesse à la fiction en passant par la non-fiction — afin d’inviter à leur découverte et à leur traduction.
Monica Malatesta, fondatrice en 2013 avec Simone Marchi de l’agence littéraire MalaTesta, a souligné que, pour certains pays comme les Pays-Bas, le Portugal et la Grèce, les traducteurs sont les « premiers interlocuteurs », en particulier pour les textes plus littéraires. Pour elle, la figure du traducteur se situe à l’intersection des activités du « traducteur pur, de l’agent, du scout » et ce professionnel devient souvent un « point de référence fondamental pour l’auteur », une fois le livre traduit.
Pour promouvoir les titres italiens, le travail de découverte des traducteurs est important, d'une part ; mais il est aussi utile, d'autre part, d’identifier les attentes et les critères qui guident les choix des éditeurs vers ces mêmes ouvrages. C’est pourquoi des éditeurs étrangers ont été invités à discuter de la manière de faire voyager les titres italiens.
Étaient ainsi réunis, entre autres, Michael Reynolds (Europa Editions), Ana Rodado (Anagrama), Audrey Scarbel (Éditions Grasset et Fasquelle) et Linus Guggenberger (Verlag Klaus Wagenbach). Si la littérature italienne peine à être traduite aux États-Unis, en France, selon Audrey Scarbel, « elle est très aimée », comme le prouve le succès d’auteurs tels que Roberto Saviano et Erri de Luca.
Et en Allemagne ? Linus Guggenberger affirme qu’il existe de véritables phénomènes, comme Sangue Giusto de Francesca Melandri (Bompiani, 2017) qui s'est écoulé à environ 100.000 exemplaires. Même si, en général, le public allemand reste attiré par le stéréotype d’une Italie « de carte postale », souvent exprimé à travers les codes formels et visuels du néo-réalisme.
Par ailleurs, dans une autre rencontre, l’éditrice Susanne Schüssler (Verlag Klaus Wagenbach) affirme que la littérature allemande contemporaine se détache quelque peu de la recherche de stéréotypes. Elle s’intéresse désormais aux auteurs et aux autrices italiennes contemporaines — comme Mario Desiati (publié en France par Grasset), Giulia Caminito (Gallmeister) ou Ginevra Lamberti (Le Serpent À Plumes) — qui traitent de questions et sujets internationaux.
Selon Michael Reynolds, les stéréotypes « sont une porte d’entrée » : « La couverture et le concept attirent, mais il y a peut-être quelque chose de plus à l’intérieur du livre. » Toujours selon Audrey Scarbel, le lecteur doit être défié et « surpris », surtout lorsqu’il s’agit d’éditeurs littéraires, qui ne suivent pas les modes, mais travaillent à la construction du catalogue.
Selon les données de l’ICE, malgré le fait que la vente de droits ait presque quadruplé entre 2001 et 2023, 18 % des éditeurs ne participent à aucune foire.
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Il y a donc encore une marge d’amélioration, à laquelle contribuent des acteurs tels que l’ICE, qui dispose de 90 bureaux à l’étranger articulés autour des ambassades, ou des initiatives telles que NewItalianBooks, la plateforme plurilingue fondée par Paolo Grossi voilà quatre ans. Une « vitrine » de la production italienne, qui offre également une mine d’informations, d’interviews et d’enquêtes sur la traduction de livres italiens. Comme il l'explique, les traducteurs sont les « ambassadeurs du livre italien à l’étranger ».
Enfin, certains projets surgissent parfois pour soutenir la présence des éditeurs italiens à l’étranger. It Publishing, par exemple, est une start-up fondée en 2023 par Lorenzo Armando et Antonella Fabbrini, soutenant, entre autres, l’exportation de livres, souvent universitaires ou de non-fiction. Grâce à la technique de l’impression à la demande, les livres peuvent être imprimés directement dans les librairies à l’étranger, ce qui permet de réduire les coûts d’exportation.
Plusieurs acteurs sont donc impliqués dans la promotion de l’édition italienne à l’étranger. L’objectif est de les faire dialoguer afin de créer un réseau de professionnels travaillant en synergie, soutenus par des initiatives publiques conçues dans le cadre de ce qui est souvent appelé le « sistema paese ». Car, ce qui manque, est souvent une coordination des initiatives, une politique du livre globale, appliquée de façon systémique.
Comme l’affirme Stefano Mauri, les politiciens doit prendre conscience de l’importance de « formation à la culture ». Car leur action peut être déterminante. Lors de la rencontre du mercredi 16 octobre intitulée « 36 ans après. Le marché du livre en Italie aujourd’hui », le PDG de Messaggerie Libri a rappelé la création en 2015 de la 18App (le Bonus Cultura italien).
Cette mesure vertueuse avait établi un « rapport direct entre l’État et le jeune majeur, qui pouvait choisir quel livre acheter » (une mesure aujourd’hui modifié par le gouvernement Meloni). Cet instrument, qui a ensuite été imité dans d’autres pays européens, dont la France, a été fondamental pour surmonter, au moins en partie, les difficultés d’accès à la lecture qui caractérisent de nombreuses régions italiennes, notamment dans le Sud.
En effet, selon Florindo Rubbettino, directeur de Rubbettino editore et délégué de l’AIE pour le Sud, « le Sud a un taux de lecture — de personnes qui déclarent avoir lu au moins un livre par an — de 27,9 %, alors que la moyenne nationale est beaucoup plus élevée ».
Au cours de cette dernière semaine, donc, la Buchmesse a parlé italien, et l’Italie a été au cœur de la scène éditoriale mondiale, célébrée pour sa tradition et son patrimoine artistique et culturel.
Dès demain, toutefois, il faudra faire face aux défis du présent… Le nouveau ministre de la Culture, Alessandro Giuli, semble être à l’écoute : à Francfort, il a exprimé la volonté d’« aider à la diffusion du livre, physique et numérique ». Comme on le dit en Italie, chi vivrà, vedrà (l’avenir nous le dira).
L’Italie, avec plus de 90 auteurs présents et environ 220 nouvelles publications traduites en allemand depuis l’automne 2023, a mis l’accent sur la diversité de sa littérature et de sa culture, en vue d’accroître leur rayonnement international. L’an prochain, les espaces de Francfort accueilleront les Philippines avec pour thématique « L’imagination peuple l’air », inspirée d’une œuvre de José Rizal.
Pour la cérémonie de transition, la sénatrice philippine Loren Legarda avait confié un discours qu’a lu l’ambassadrice philippine. Elle y évoquait l’importance des traditions orales et écrites dans la culture philippine, promettant de mettre en lumière la diversité littéraire du pays, de ses peuples autochtones à sa diaspora mondiale lors de la prochaine édition de la foire.
Crédits photo : Federica Malinverno / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Federica Malinverno
Contact : federicamalinverno01@gmail.com
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