Le coup d'envoi de la 37e édition du Prix Goncourt des Lycéens a été donné en septembre dernier, avec l'annonce de la première sélection de l'Académie Goncourt pour la récompense homonyme. Un mois plus tard, l'association SOS Éducation, proche de l'extrême droite, s'est émue d'un « contenu inadapté aux mineurs » au sein d'un livre en lice, Le Club des enfants perdus de Rebecca Lighieri (P.O.L).
Le 14/10/2024 à 11:39 par Antoine Oury
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14/10/2024 à 11:39
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Un « contenu pornographique et psychiquement dangereux » : ainsi l'association SOS Éducation présente-t-elle Le Club des enfants perdus de Rebecca Lighieri (P.O.L), ouvrage présent, aux côtés de 13 autres, dans la sélection de l'Académie Goncourt. L'expression est tirée d'un courrier envoyé au Premier ministre Michel Barnier, avec plusieurs ministres en copie, dont celles de la Culture et de l'Éducation nationale.
L'association estime que l'ouvrage n'a pas sa place entre les mains de lycéens, en raison du « caractère pornographique des scènes de sexe », mais aussi d'un récit « sur fond de dépression adolescente, de consommation régulière de drogues et d’alcool, d’autodestruction ».
Paru le 22 août dernier à l'occasion de la rentrée littéraire, au sein de la maison d'édition P.O.L (groupe Madrigall), Le Club des enfants perdus est signé par Rebecca Lighieri, pseudonyme de l'autrice Emmanuelle Bayamack-Tam, lauréate du Prix du livre Inter et du Prix Médicis pour d'autres ouvrages parus antérieurement.
Plutôt applaudi par la presse, littéraire ou non, Le Club des enfants perdus explore les relations complexes entre Miranda, 27 ans, et ses parents, un couple de comédiens célèbres, Armand et Birke. Les relations familiales y sont dysfonctionnelles, parents et enfant s'éloignant constamment et s'enfonçant dans l'incompréhension mutuelle.
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Partagé entre les points de vue d'Armand et de Miranda, le récit évoque les questionnements de l'un ou de l'autre, les angoisses et les déceptions. Il se confronte aussi à la sexualité des personnages, d'une manière bien trop crue, selon l'association SOS Éducation, qui évoque « une succession d’actes sexuels détaillés, de pratiques scatologiques et sadomasochistes », ainsi qu'« un environnement incestuel permanent et banalisé ».
L'organisation a joint à son courrier, lisible à cette adresse, une sélection d'extraits choisis de l'œuvre, pour appuyer ses propos. « Pour un lycéen, et même s’il est consommateur de pornographie (il sait que c’est une transgression), un tel livre mis dans ses mains par l’Éducation nationale consiste en une forme de caution morale qu’il comprendra comme une initiation sourde et malsaine », insiste-t-elle dans son adresse au Premier ministre.
Nous avons tenté de joindre l'éditeur P.O.L pour évoquer cet ouvrage et sa présence dans la sélection du Prix Goncourt des lycéens, sans succès.
L'association SOS Éducation, créée en 2001, s'est d'abord intéressée aux méthodes d'apprentissage de la lecture, militant pour l'approche syllabique au cours des années 2000. Elle s'est rapidement tournée vers les contenus des programmes, notamment en matière d'éducation sexuelle et de lutte contre les discriminations, sexuelles ou de genre.
En 2007, elle s'était ainsi dressée contre l'exposition « Zizi sexuel », qui mettait en scène Titeuf à la Cité des Sciences et s'efforçait de participer à l'éducation sexuelle des jeunes. Notons qu'elle avait fait l'objet, en 2020, d'un rapport de la Cour des Comptes sur ses finances, lequel concluait « que les dépenses de l’association sur les exercices 2013 à 2018 n’ont pas été conformes aux objectifs poursuivis par l’appel public à la générosité ».
La structure est très proche de milieux conservateurs, mais aussi de l'extrême droite : le 4 novembre 2023, Sophie Audugé, déléguée générale et porte-parole de SOS Éducation, avait ainsi participé au colloque des « Parents vigilants », un collectif de parents d'élèves émanant du parti Reconquête d'Éric Zemmour. Les inquiétudes de SOS Éducation s'accordent souvent avec celles de la droite extrême : d'ailleurs, le Journal du Dimanche, hebdomadaire d'extrême droite, a largement relayé la missive de SOS Éducation...
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Dans cette dernière, l'association assure que « l'Éducation nationale doit mettre en place une commission pour vérifier la sélection avant que les livres soient étudiés en classe ». Elle met en évidence, dans son courrier, le cas de Robin (le prénom a été remplacé), âgé de 14 ans, qui « a présenté des troubles post-traumatiques après le choc provoqué par les pages qu’il a lues ».
Les inquiétudes de la structure rappellent celles de la directrice du lycée La Mennais, à Ploërmel (Bretagne) qui, l'année dernière, avait fait retirer Triste tigre, de Neige Sinno, du CDI de l'établissement pour « protéger les jeunes » de passages « d'une grande violence ».
Créé en 1988, le Prix Goncourt des Lycéens est décerné chaque année par les lycéens eux-mêmes : 2000 d'entre eux y participent, soit une cinquantaine de classes : les établissements candidatent, et ceux qui sont retenus reçoivent les ouvrages. Ensuite, les lycéens ont deux mois pour lire les romans, avec l'aide des enseignants. Pendant cette intense période de lecture, sept rencontres régionales sont organisées entre auteurs et lycéens.
Rappelons que les livres étudiés sont ceux de la sélection de l'Académie Goncourt, et se trouvent donc en compétition pour le Prix Goncourt et le Prix Goncourt des lycéens.
Pour cette raison, la sélection de livres reste intimement liée à celle de l'Académie Goncourt. « Les thématiques abordées dans les romans contemporains, et donc dans les romans en compétition pour le prix Goncourt, sont nombreuses et variées parce qu’elles sont le reflet du monde et de la société », souligne le ministère de l'Éducation nationale, interrogé par nos soins.
« Avant la lecture des ouvrages, un travail de préparation et de discussion est mené par les professeurs avec les élèves, ainsi qu’au fur et à mesure de la lecture et des discussions pour le choix du prix », rappelle le ministère, qui insiste sur la médiation réalisée par le corps enseignant. À ce titre, l'« organisation du prix Goncourt des lycéens communique avec les professeurs concernés pour mener cette médiation tout au long de l’année scolaire », nous assure-t-on.
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Un texte choquant pourra donc être discuté en classe, l'occasion d'aborder des sujets complexes et difficiles avec les élèves. Mais « tous les lecteurs ont le droit imprescriptible de ne pas lire un livre », rappelle le ministère de l'Éducation nationale. « Aucune lecture n’est imposée et si des élèves expriment leur volonté propre de ne pas lire un ouvrage, ils en ont le droit. »
« Le ministère de l’Éducation nationale est pleinement attentif et conscient de l’objet d’inquiétudes qui peuvent être émises à l’égard de certains romans, mais assure que, chaque année, l’accompagnement des élèves par les équipes éducatives vise à installer pour eux les meilleures conditions possibles de participation au prix Goncourt des lycéens », termine l'administration.
Photographie : Prix Goncourt des Lycéens 2024
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
Paru le 22/08/2024
528 pages
P.O.L
22,00 €
39 Commentaires
Maitre Dominique
18/10/2024 à 17:00
je ne décolère pas depuis la lecture des passages cités dans la lettre aux ministres ! Les jeunes ont tant de belles choses à découvrir par la lecture qu'il me semble bien pervers de les initier aux déviances diverses et variées... Ils sont accompagnés des enseignants certes, mais les parents sont-ils également au fait des lectures de leurs enfants ? Le milieu familial n'est-il pas le premier concerné ?
Aude Pénale
20/10/2024 à 09:37
Article 227-24 du code pénal :
"Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur."
Voilà comment pour lutter contre la pornoraphie en ligne, on a mis le doigt dans un engrenage dont on a mal mesuré les conséquences. Un beau cadeau aux "ligues de vertu"...
Das Kapital Inc
22/10/2024 à 11:30
J'adore la débauche, le travail c'est pas mon truc, j'invite personne à suer pour un patron, lire des bouquins ça je kiffe grave.
Loli42
08/11/2024 à 11:30
J'ai eu l'occasion de lire des extraits de ce livre et sans être d'extrême droite je peux vous certifier que c'est porno et trash
Valenti
10/11/2024 à 11:41
C'est tout simplement honteux de présenter ce genre de lecture à des adolescents. Aucun intérêt littéraire.N'avons nous pas dans la culture Française des auteurs classiques ou non de grand renom,avec un style littéraire, et une écriture de choix qui mérite d'être valorisée par l'Education Nationale. ?
Stéphanie.
13/11/2024 à 16:08
Tiens donc les réacs, je croyais que la censure, c'était pas bien ? Et prendre 4 pages au milieu de 515 pour prêcher votre bonne parole, ça s'appelle comment sinon de la malhonnêteté intellectuelle ?
Oui, les jeunes baisent, se masturbent et parlent de sexe crûment, c'est dingue, non ?
Plutôt que de faire semblant d'en avoir quelque chose à faire de ce aue lisent vos enfants (sinon ça ferait bien longtemps que vous leur auriez interdit leurs portables), si l'état de l'Education Nationale vous inquiète tant que ça, la prochaine fois que les profs feront grève, au lieu de les traiter de feignants, écoutez vraiment leurs revendications et vous verrez que votre chouinerie autour de la sélection de ce livre, c'est du pipi de chat à côté de l'état de nos écoles.