La Société civile des éditeurs de langue française (Scelf), organisme de gestion collective, s'efforce depuis plus d'une décennie de multiplier les rencontres entre l'édition et l'audiovisuel, pour susciter des adaptations d'ouvrages. Son programme d'événements se prolonge désormais dans une plateforme, pour maintenir un dialogue constant entre les secteurs et partenaires.
Avec un cumul de 8,6 millions de spectateurs début octobre, Le Comte de Monte-Cristo s'est fait une place au classement des grands succès de l'histoire du cinéma français. Le portage du roman d'Alexandre Dumas par Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellière a confirmé les bonnes relations du 7e art et de la littérature.
Ou, plutôt, de l'audiovisuel et de la littérature : profitant de la multiplication des plateformes et de l'offre en matière de divertissement, les adaptations d'ouvrages sont de plus en plus fréquentes. Netflix, Disney+ ou Max en diffusent à la pelle, sans oublier les acteurs historiques de la télévision, de France Télévisions à Arte.
Ce contexte plutôt favorable « a modifié l’écosystème audiovisuel, en le rendant plus agile », observe Emeline Chetara, responsable communication et programmation de la Scelf. « La période du Covid et la multiplication des plateformes ont dynamisé la recherche de contenus, par des producteurs qui sont de plus en plus actifs. L'adaptation n'est pas née il y a 5 ans, mais nous sentons une volonté des deux milieux, celui de l'édition et celui de l'audiovisuel, pour poursuivre les collaborations. »
Depuis une quinzaine d'années, la Scelf s'efforce de créer des rencontres entre les éditeurs et les producteurs, afin que les premiers présentent des projets susceptibles de devenir des films, des séries ou des documentaires aux seconds. Aux Rencontres Scelf de l'audiovisuel s'est joint Shoot the Book !, un ambitieux programme lié à de grandes manifestations.
Le Festival de Cannes, Séries Mania à Lille, le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, le Taiwan Creative Content Fest, à Taipei, la Berlinale, Los Angeles ou encore Buenos Aires ont eu droit à une ou plusieurs occurrences de cet événement. Ce dernier combine une session de présentations d'une quinzaine de livres, sélectionnés par un jury professionnel d'après candidatures, ainsi que de rendez-vous entre éditeurs et producteurs, pour susciter des occasions.
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« Ces événements attirent des producteurs toujours plus nombreux, qui recherchent de plus en plus de bonnes histoires », se félicite Emeline Chetara. Face à ce succès, l'idée d'une prolongation dématérialisée de ces rencontres s'est naturellement profilée...
À l'occasion du prochain Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil (du 27 novembre au 2 décembre 2024), la Scelf inaugurera sa plateforme de l'adaptation, déclinaison de Shoot the Book ! qui permettra « un lien continu entre les éditeurs et les producteurs », résume Emeline Chetara.
Pour commencer, ce portail offre aux éditeurs un accès à l'intégralité des événements à venir, présentés sous forme d'un calendrier, avec une possibilité de s'inscrire et de candidater, pour fluidifier les processus préalables à Shoot the Book !. Mais la plateforme entend aussi devenir « une forme d’outil de gestion de leur catalogue ».
« Les éditeurs sont ainsi invités à déposer au fil de l’année des présentations des titres de leurs catalogues avec un fort potentiel d'adaptation. » En face, les producteurs ont accès à des interfaces de recherche, simple ou multicritère, pour partir en quête d'œuvres qui correspondent à leurs attentes ou découvrir un projet.
Les fiches des ouvrages présentés sur la plateforme « constitueront une première approche, pour rendre compte du potentiel d'adaptation d'une histoire : les producteurs nous ont confié qu'une simple phrase d'accroche peut parfois suffire », précise la responsable communication et programmation de la Scelf. Si d'autres échanges sont nécessaires, une messagerie intégrée permet de nouer contact, et l'éditeur peut choisir de partager ses coordonnées ou celles du responsable des cessions de droits. La pose d'option ou la conclusion d'un contrat s'effectueront directement entre l'éditeur et le producteur, sans passer par la plateforme.
S'ils le souhaitent, les éditeurs peuvent ajouter d'autres informations aux fiches des ouvrages, comme les chiffres de vente ou encore les cessions de droit pour des traductions à l'étranger. Pour améliorer les catégorisations des fiches d'ouvrages et ainsi leur découvrabilité par les producteurs, la Scelf a travaillé avec le groupe Electre, pour mieux structurer les données. Environ 4000 titres sont d'ores et déjà référencés, avec plus de 350 labels éditoriaux représentés.
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L'accès à la plateforme est réservée aux éditeurs membres de la Scelf, tandis que les producteurs devront débourser 850 € par an pour accéder au moteur de recherche et aux fiches des éditeurs. Le site leur servira aussi d'outil de veille, avec une « volonté d'éditorialisation » et la mise en avant de thématiques selon le calendrier — comme la jeunesse au moment du SLPJ, par exemple.
La plateforme a été financée et réalisée avec le soutien des partenaires habituels de la Scelf, à savoir le Centre national du Livre, l'Institut français, la SOFIA et le ministère de la Culture. Si la version française sera dévoilée au SLPJ de Montreuil, une version anglaise verra le jour en 2025, à Séries Mania, en mars, pour les séries, et au Festival de Cannes, en mai, pour le cinéma.
Évoquer House of the Dragon ou Au revoir là-haut pourrait laisser croire que les adaptations en films ou en séries sont la chasse gardée des maisons d'édition d'une certaine taille. La Scelf elle-même reste dirigée par un conseil d'administration dans lequel les maisons d'édition répondent à une certaine typologie, puisqu'on y trouve les éditions Auzou, Calmann-Levy, Dargaud-Lombard, Flammarion, Gallimard, Glénat, Hachette, Le Seuil, Magnard-Vuibert, Métailié, Payot Rivage et Place des Éditeurs.
Pour autant, l'organisme n'oublie pas les petites et moyennes structures, en proposant pour commencer une adhésion accessible, dès 50 € par an pour les maisons d'édition « dont il s'agit de la première adaptation, ou dont les livres sont adaptés occasionnellement » — il est possible d'adhérer sans avoir de projet en cours. À mesure que les projets sont plus nombreux, le tarif augmente, pour compléter une retenue prélevée sur les droits perçus par la Scelf sur les adaptations, qu'elles soient cinématographiques, télévisuelles, radiophoniques ou même théâtrales.
La Scelf compte aujourd'hui 397 membres, tous éditeurs, qui « composent vraiment un panorama de l'édition contemporaine », souligne Emeline Chetara. Outre la participation aux événements, comme Shoot the Book !, les membres peuvent profiter de formation : prochainement, la Scelf en dédiera une aux éditeurs « primo-adaptants », et une autre à l'approfondissement de genres particuliers, comme l'adaptation radiophonique ou théâtrale.
Pour faciliter les déplacements de ses membres dans les événements internationaux, à l'instar du Festival de Cannes, la Scelf a signé des accords avec les festivals, notamment sur les coûts d'accréditation. Une aide à la mobilité de l'Institut français peut également, si elle est sollicitée, alléger la facture.
« Nous nous efforçons d'effectuer un travail d'accompagnement des éditeurs, y compris des moyennes et petites structures », souligne Emeline Chetara. « Au salon de Montreuil, par exemple, nous travaillons avec la Fédération des éditeurs indépendants, afin d'inciter les maisons à candidater et beaucoup osent participer, aujourd'hui. »
L'organisme met aussi à disposition de ses membres des modèles de contrat de cession de droits, en présentant toutes les nuances en fonction des interlocuteurs et des projets, du cinéma à la télévision en passant par les plateformes. L'idée générale, tant de la démarche d’accompagnement que du portail, reste de fluidifier les échanges, pour « un gain de temps considérable à l'arrivée ». Si les maisons d'une certaine taille disposent d'un département dédié aux cessions de droit, les petites et moyennes structures, elles, sont limitées par leurs effectifs.
Malgré quelques mois de retard — elle avait été annoncée pour janvier dernier —, la plateforme de la Scelf vient concrétiser une attente forte du secteur de l'édition, très intéressé par la perspective de revenus annexes. En période d'inflation, les ventes d'ouvrages imprimés ne sont pas vraiment à la hausse, et une présence transmédia peut améliorer la rentabilité d'un titre.
Une étude coréalisée par la Scelf, avec le Centre national du Livre et le Centre national du cinéma et de l'image animée, mettait en avant, en juin 2023, les retombées positives de l'adaptation d'une œuvre. Dans les 2/3 des cas observés (29.000 productions, de 2015 à 2021), les ventes du texte originel, au format imprimé, bénéficient d'un certain dynamisme après la diffusion de l'adaptation.
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Parmi les freins au développement des cessions de droits audiovisuels, l'étude relevait l'offre importante pour les producteurs (qui manquent de temps pour effectuer un tri), les carences en matière de traduction, des délais de contractualisation parfois longs (en raison de la lenteur des échanges) et un retour sur investissement incertain.
La plateforme de la Scelf entend donc agir sur deux leviers au moins : les effets se verront dans quelques années... Sur un écran ?
Photographie : illustration, Al Case, CC BY-NC-ND 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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