La semaine passée, les éditions Rouquemoute, basées à Nantes, ont fait part, en toute franchise, de leurs difficultés économiques. Après bientôt dix années d'activité, la structure spécialisée dans la BD compose avec une trésorerie en souffrance et a dû se séparer de plusieurs salariés. Parallèlement à un contexte économique peu favorable, Maël Nonet, éditeur, fondateur et gérant, pointe une chaine du livre défaillante.
Le 10/10/2024 à 16:40 par Antoine Oury
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10/10/2024 à 16:40
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Les éditions Rouquemoute sont dans la tourmente. Fin septembre, Maël Nonet a appelé lecteurs, libraires et partenaires à la rescousse, sollicitant « votre attention et votre bienveillance à notre égard ». Quelques jours plus tard, au sein du bar-librairie La Flibuste, à Nantes, siège informel des éditions Rouquemoute, il ne dissimule pas son inquiétude, bien conscient que cet appel à la solidarité ne peut pas être renouvelé.
Le lancement de la dernière collection née au sein de la maison, Résilience, avec Sept ans et neuf mois, de Coline Veith, et Ma zone d’inconfort, par Eldiablo, lui a aussi laissé un peu d'amertume — rien à voir avec celle de la bière servie au bar. « Les mises en place des libraires sont de 450 exemplaires pour Ma zone d'inconfort et 950 pour 7 ans et 9 mois : sur des thématiques sociétales, dans l'air du temps, je n'aurais jamais pensé avoir des propositions aussi basses. Nous ressentons de la tristesse pour les livres et leurs auteurs, surtout avec le travail éditorial qui a été réalisé. »
Il y a encore quelques mois, Maël Nonet, 41 ans, travaillait avec quatre salariés : l'effectif a été réduit à un poste et demi, occupé par Pauline Pesme, coéditrice, qui gère également la boutique en ligne et la communication de la maison, et Lucile Allanos, occupée à mi-temps par l'administration de la structure. Le gérant lui-même se verse un salaire mensuel, autour de 1500 €, remis en cause par la situation de la maison.
Quant à La Flibuste, un lieu à l'origine ouvert par des éditeurs indépendants de bandes dessinées des Pays de la Loire sous la dénomination Les Boucaniers, elle devrait a priori abandonner sa vocation de librairie pour se recentrer sur le bar et la vente des albums de Rouquemoute. À la sortie du Covid, l'éditeur avait pourtant pu tenir le projet à bout de bras, « en réembauchant le salarié et les deux étudiants en alternance, pour ne pas mettre tout le monde à la porte ».
Autrement dit, l'ambiance est aujourd'hui loin d'être à la fête : « J'ai l'impression que notre quotidien devient celui des agriculteurs, avec des mois que l'on démarre en sachant d'emblée qu'ils seront à perte : l'enjeu devient de les terminer le moins à perte possible. »
Sur un an, d'après l'Insee, les prix à la consommation ont augmenté de 1,8 %, en août 2024, après une année 2023 déjà marquée par l'inflation et par une baisse des ventes de livres, en volume, dans les librairies. Un contexte peu favorable, qui limite la prise de risques des libraires, y compris les indépendants, eux-mêmes en proie à des difficultés économiques : les mises en place sont plus prudentes, les réassorts moins téméraires, au profit de titres plus exposés et « faciles » à vendre.
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Les éditeurs, eux, sont confrontés à une hausse des prix des imprimeurs, eux-mêmes contraints par les tarifs de l'énergie et des matières premières. Comme cela s'est produit ces derniers mois, les prix des livres peuvent être augmentés, avec le risque d'éloigner une partie des consommateurs, qui se tourneront vers l'occasion ou vers d'autres loisirs.
Les conséquences de cette contraction du marché commencent à s'observer. En mars dernier, une autre maison d'édition nantaise, Ici Même, lançait un appel à l'aide face à des difficultés économiques. Le phénomène n'est pas propre aux Pays de la Loire : Les Moutons électriques, éditeur spécialisé dans les littératures de l'imaginaire, s'est aussi résolu à une campagne de collecte participative, et a même envisagé une cession au groupe Hachette Livre.
En 2023, environ 6700 bandes dessinées ont été publiées, soit 18 albums par jour en moyenne. Un rythme de parution qui peut être considéré comme une bonne nouvelle, témoin de la vitalité d'un secteur éditorial. Mais cette profusion sature aussi un marché : « Les librairies ne sont pas extensibles, tout comme les moyens du public », rappelle Maël Nonet. « Autant de nouveautés par an, c'est de la folie. »
À ses yeux, les petites et moyennes maisons d'édition comme la sienne, qui publient en moyenne moins de 10 titres par an, d'après une étude du ministère de la Culture, ne participent pas à cette tendance à la surproduction, « simplement parce que nous n'en avons pas les moyens. Cette surenchère de l'offre vient des groupes éditoriaux ».
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Les succès de ces dernières années, entre Le monde sans fin, de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici (Dargaud) ou L'arabe du futur, de Riad Sattouf (Allary Éditions), ont aiguisé l'appétit des grands groupes, désireux de se placer sur ce marché plutôt porteur. Résultat : comme en littérature ou dans d'autres secteurs éditoriaux, comme le livre pratique, la publication massive devient une stratégie, pour certains groupes.
« Le système traditionnel, avec le libraire en principal distributeur du livre, ne fonctionne plus », constate Maël Nonet, « il était efficient lorsqu'il n'y avait que quelques centaines de nouveautés par an ». L'éditeur a exploré d'autres canaux de vente, à commencer par le site internet de la maison, devenu une plateforme pour des campagnes de prévente : « On a pu nous reprocher un fonctionnement qui “retirait” des ventes aux librairies, mais les préventes dépassent rarement la centaine d'exemplaires, d'une part, et une campagne réussie attire aussi l'attention des libraires. Qui plus est, cela nous permet une rentrée de trésorerie plus régulière, ainsi qu'un meilleur taux de droits d'auteur sur ces ventes. »
Parmi les autres pistes, une « braderie » proposant des titres à -60 %, en arrêt de commercialisation ou légèrement abîmés. Une alternative à la destruction des ouvrages, qui apporte aussi un peu d'air à l'éditeur, qui maintient le même taux de droits d'auteur sur le prix réduit.
Enfin, Rouquemoute répond présent à de nombreux festivals, dont « pratiquement tous ceux des Pays de la Loire et de la Bretagne », se félicite Maël Nonet. Au cours de ces événements, l'éditeur constate que les achats restent importants, même s'ils se concentrent, depuis quelques mois, plus fortement sur les albums bradés.
Au-delà, si les achats des bibliothèques peuvent compter, l'enjeu pour les éditeurs devient de trouver de nouveaux canaux de vente. À ce titre, Maël Nonet tente de s'adresse plus régulièrement à des communautés, par exemple des professionnels de la santé pour la collection Résilience, des fans de métal pour les albums autour du Hellfest ou encore les amateurs de Renaud pour l'album de Gaston, Renaud derrière le rideau, préfacé par le chanteur.
À l'heure où l'indépendance, la diversité de la création et la sobriété sont plutôt valorisées dans les discours publics, le fondateur de Rouquemoute s'étonne malgré tout d'un système éditorial toujours tourné vers la production, voire le productivisme.
Il cite ainsi les subventions, que Rouquemoute reçoit de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et de la région Pays de la Loire. Si la seconde finance un déplacement bienvenu au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, via une aide à la mobilité, elle apporte aussi, avec la première, une aide annuelle au projet, à la condition du lancement d'une collection.
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« Cela incite à créer une collection par an pour obtenir cette aide publique car c'est la seule subvention régionale que nous pouvons avoir » », souligne l'éditeur. « Or, on se retrouve dans une logique sans fin, où il faut publier pour publier. Une aide au fonctionnement serait plus appropriée, parce qu'elle permettrait de s'arrêter pour mieux vendre les ouvrages déjà parus, le catalogue d'une maison. »
Comme d'autres acteurs de la chaine du livre, l'éditeur estime aujourd'hui nécessaire de « remettre à plat le système économique de la chaine du livre. Si l'on ne fait rien, l'exception culturelle française, sur le champ de l'édition indépendante, peut mourir petit à petit. »
Une situation qui pèse aussi sur la motivation et l'équilibre des acteurs de l'édition indépendante : « On se remet en question, le moral prend des coups, on finit par se demander si ce l'on fait en vaut la peine, puisque c'est si peu valorisé », avoue Maël Nonet. Fort heureusement, il participe alors à un festival, « et le contact avec les lecteurs fait un bien fou, par les retours sur nos publications ».
Photographie : Maël Nonet, à La Flibuste, Nantes, le 3 octobre 2024 (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
11 Commentaires
Gaucho Marx
10/10/2024 à 20:13
L'exception culturelle est, comme toute mesure protectionniste, le signe que quelque chose ne va pas.
Hollywood n'invoque pas l'exception culturelle. L'exception culturelle est l'excuse des faibles.
Yoann
12/10/2024 à 14:16
C'est un peu bizarre de citer Hollywood qui est en soi une exception culturelle à sa manière.
des livres et vous gourdon
12/10/2024 à 16:26
l'exception culturelle est une force pour la France et la loi sur le prix unique du livre. renseignez-vous sur le secteur dans les pays anglo-saxons avant de dire des bêtises, les livres y sont beaucoup plus chers, il y a moins de librairies et la diversité n'est pas au rendez-vous, il n'y a pas que les block busters dans la vie...
Gaucho Marx
13/10/2024 à 15:50
"L'idée de créer une exception culturelle vient des pays dont la culture est en déclin, ceux qui ne connaissent pas ce problème n'ont rien à craindre"
(José Maria Aznar)
Où comment les (mauvais) politiciens français arrivent à vous faire prendre des vessies pour des lanternes !
Quark
11/10/2024 à 02:39
“L'exception culturelle peut mourir petit à petit”
Parlant "exception culturelle" y a des choses à revoir :
le "User Centric" plutôt que le "Market Centric" pour le streaming audio pour que nous donnions NOTRE argent à NOS artistes et pas aux (beurk) rappeurs.
le CNC doit arrêter de financer les films de migrants comme "L’Histoire de Souleymane" ou "Les Barbares" marre que NOTRE argent finance ces films propagandistes pour surpayer les artistes bobos comme Julie Delpy (150 000€ pour la réalisation et 161 000€ pour le scenario = 311 000€ d'argent public jetés aux cochons et 4,8 millions pour son "film").
Pour le Cinéma il devrait y avoir aussi un bonus malus pour les réalisateurs qui font que bider et nous couter très cher, ils devraient miser LEUR argent et pas le NOTRE.
il faut aussi arrêter les délires de la "copie privée" qui nous taxe toujours plus sans AUCUNE contrepartie, il faut stopper la partie de la TAXE qui comment dire va aux "festivals, manifestations littéraires, réalisation de documentaire, production de film, création d’album de musique, résidence d’artistes, bourses d’écriture, ateliers et spectacles pour enfants" comme ça les politiques auront plus d'excuse pour enfin se pencher sur ce scandale qui dure depuis trop longtemps (je trouve que c'est un peu beaucoup de la corruption ce système : regarde pas ma TAXE et je finance ton festival).
c'est vrai qu'il y a un peu trop de livres qui sortent mais avoir du choix c'est bien aussi.
Necroko
11/10/2024 à 03:00
Il faut aussi revoir la chronologie des médias (17 mois pour les Films que NOUS finançons avec nos abonnements pour favoriser C+ c'est NON, il faut un accord de grès à grès pour chaque Film).
Olivier Petit
11/10/2024 à 08:29
Une analyse tristement pertinente de Maël , éditeur de BD indépendant depuis 10 ans, qui mérite d'être soutenu et encouragé à ne pas abandonner >>>> https://boutique.rqmt.fr/164-sauvons-rouquemoute
Sayanel
11/10/2024 à 11:26
Cette maison rejoint une longue liste...
Je suis sidéré, cela fait des années que tout le monde le sait, que tout le monde en parle.
Et que personne fout rien.
C'est pas comme si les idées manquaient : ça fait très longtemps qu'il n'y a pas eut de mouvement social global à la chaîne du livre. Tous le monde sait que le SNE ne fera rien car c'est des gros capitalistes à sa direction, pourtant les éditeurs continuent de quémander les miettes qu'il donne, alors qu'un vrai syndicat de l'édition indépendante pourrait le remplacer.
A court terme, toute l'édition indépendante court à sa perte.
Yoann
12/10/2024 à 14:47
ça existe (pour la bédé en tout cas) :
https://www.lesea.fr/
Mais comme vous dites, difficile de s'imposer face à un syndicat historique qui a pignon sur rue et le dialogue difficile (parce que techniquement le SNE est censé représenter tous les adhérents peu importe leur "taille").
Toum
11/10/2024 à 15:22
Bonjour
Juste une idée qui me trotte dans la tête : pourquoi ne pas mettre en place des réseaux de colporteurs localisés (à l'échelle régionale ou départementale). Ces colporteurs pourraient être des bénévoles défrayés qui iraient sur les marchés locaux (notamment marché de producteurs) ou sur plus d'évenements tout publics pour faire la promotion des éditeurs indépendants de leur région (adhérent au réseau). Cela remettrait l'humain de la librairie mais en mode itinérant et on se rappelerait de l'origine historique de la vente de livre. Quand je vois quand une librairie ou un éditeur est en difficulté l'élan de solidarité qui se créé je me dis qu'on pourrait trouver ses citoyens colporteurs de monde. Qu'en pensez vous ? Si ça vous dit, nous pouvons lancer qq chose
D. L
14/10/2024 à 10:08
La chaîne du livre… quelle mascarade !
Le romantisme du libraire "indépendant", oubliez.
Littérature française indispensable à l'élévation de l'esprit… il faut voir ce qu'il y a dedans.
Laissez-moi rire… ou pleurer.
Pour les éditeurs industriels, le livre ne vaut pas plus qu'un yaourt. Ils surproduisent, ont créé la notion de date de péremption en inondant régulièrement les libraires et on vampirisé le marché.
Les diffuseurs (appartenant en partie aux industriels) qui ont trop de titres à présenter se focalisent sur les "valeurs sures", c'est à dire celles qui bénéficient de promotion.
Les libraires, pour leur majorité, servent la soupe à Bolloré & consorts. Entrez dans n'importe quelle librairie et essayez de repérer un livre de l'édition indépendante. Bon courage ! Je ne parle pas de maisons d'édition rachetées par un groupe et qui conserve son image passée, mais qui ne sont qu'une collection bientôt invisible.
Demandez-leur un conseil.
Même s'ils ont accepté (la plupart du temps en dépôt, donc sans engagement) un titre indépendant, ils ne l'ont pas lu, n'en parleront pas, il sera sur la tranche en fond de cale. Sauf exception, bien sur, mais si rare.
Les Prix, les chroniques, les plateaux télé, les micros… n'attendez pas d'y voir un indépendant. Pas la place. Les industriels sont actionnaires, annonceurs et possèdent la force de frappe qui empêche même les chroniqueurs aventureux de sortir du rang.
Pour finir… le lecteur.
À la question à propos de la pauvreté littéraire de nombreux titres vendus à des XXX exemplaires, un libraire me répondait:
"Mais vous ne comprenez pas, le lundi matin, à la machine à café, ça fait tellement bien de dire, alors, le dernier AN, ML ou GM, vous l'avez lu? Il est formidable!" Et hop ! vous faites partie de la grande tribu des Lecteurs, avec un immense L.
Les éditeurs tirent le texte vers le bas pour démocratiser la littérature? non, pour vendre plus, plus et encore plus chaque année et continuer d'engraisser leurs actionnaires et leur ego.
Allez dans un Salon du livre avec 350 auteurs dont le quart "vu à la télé". Essayez de faire connaissance avec un lecteur quand vous êtes inconnu… courage ! Vous n'êtes pas là pour vendre, mais pour générer assez d'espace entre les vedettes pour étaler les files d'attente.
Au bonjour souriant que l'auteur adresse au lecteur, la réponse est : "Ah, mais, je ne vous connais pas…"
Imbécile ! Tu es à un Salon du livre pour quoi? Pour acheter une dédicace à 20€ ou pour découvrir des auteurs?
Bref, tant à dire qui pourrait aider à faire comprendre la difficulté d'être éditeur indépendant aujourd'hui.