Quelques mois après un premier sondage sur le sujet, la multinationale Amazon a missionné l'IFOP, institut de mesure de l'opinion, pour obtenir l'avis des Français sur le prix plancher des frais de port du livre. Le sentiment général, d'après les réponses des 12.005 personnes interrogées, resterait que les incontournables 3 € ont porté atteinte au pouvoir d'achat.
Le 07/10/2024 à 12:55 par Antoine Oury
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07/10/2024 à 12:55
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6 mois après une première étude commandée à l'IFOP, Amazon récidive, avec de nouveaux chiffres consacrés aux achats de livres des Français. Dans un contexte économique délicat, l'encadrement des frais de port du livre, par un montant minimum de 3 € pour l'expédition, aurait des conséquences sur les pratiques de lecture et d'achat de la population.
L'IFOP, pour mener son étude, s'est tourné vers 12.005 Français âgés de 18 ans et plus, par un questionnaire auto-administré en ligne, diffusé au cours du mois d'août dernier.
Sur un an, les prix à la consommation ont augmenté de 2,3 % en juillet 2024, d'après l'Institut national de la statistique et des études économiques. Autrement dit, le contexte économique reste tendu, avec des conséquences non négligeables pour la culture en général et le livre en particulier. Selon les réponses recueillies par l'IFOP, 47 % des Français estiment que leur pouvoir d'achat a diminué, quand 53 % le jugent stable ou en hausse.
Dans le détail, les catégories moyenne et modeste seraient les plus concernées, et les foyers situés dans des zones rurales ou rurales autonomes [loin d'un pôle central ou hors d'une aire de plus de 50.000 habitants, NdR].
79 % des Français qui ressentent une baisse de pouvoir d'achat envisagent de réduire leurs dépenses culturelles, contre 73 % en février 2024. De fait, les fréquences d'achat du livre semblent avoir accusé le coup : si 73 % des Français déclarent acheter des livres neufs (contre 74 % en février 2024), ils ne sont que 16 % à le faire au moins une fois par mois (contre 24 % en février 2024).
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La proportion des achats hebdomadaires aurait diminué de moitié en quelques mois (de 6 à 3 %), quand les achats mensuels seraient un peu moins touchés (de 18 à 12 %). Les achats ponctuels, dans l'année, seraient préservés, quand les achats « une à deux fois dans l'année » augmentent sensiblement (de 19 à 30 %). Les lecteurs français ne se priveraient pas totalement : 27 % n'achètent pas de livres neufs, contre 26 % quelques mois auparavant.
Depuis le mois d'octobre 2023, la commande d'un livre neuf sur internet suppose le paiement de frais de port d'un montant minimum de 3 €, lorsque le montant total du panier est inférieur à 35 € (en ne prenant en compte que les prix des ouvrages). Cette mesure était destinée à rétablir la concurrence entre les grandes plateformes de vente en ligne, dont Amazon, et les librairies indépendantes. En effet, si le premier pouvait proposer des frais de port compétitifs, à 0,1 €, les secondes se retrouvaient contraintes de faire régler une facture plus salée aux clients.
Sans surprise, les réponses des participants n'ont pas tellement évolué : ils sont 62 % à considérer que ce montant minimum des frais de port affecte leur pouvoir d'achat, contre 38 % à soutenir l'inverse. Les tranches d'âges entre 18 et 49 seraient les plus touchés, et les catégories modeste et pauvre du côté socioéconomique.
44 % des répondants estimeraient que l'instauration des frais de port plancher de 3 € aurait conduit à une réduction des achats de livres et à une baisse de leur pratique de la lecture. De nouvelles pratiques de consommation se populariseraient, comme l'achat dans des points de vente physiques (64 % le font plus fréquemment), le prêt de livres entre proches (56 %) ou encore l'emprunt auprès d'une bibliothèque (51 %).
La question centrale à laquelle tente de répondre l'étude de l'IFOP commandée par Amazon est la suivante : les frais de port à 3 € obligatoires ont-ils redirigé une partie de la clientèle vers la librairie, comme le souhaitait le législateur ? 26 % des répondants indiquent se tourner vers la librairie indépendante, comme au moment de la précédente étude sur le sujet, en avril dernier.
Les hyper et supermarchés, pour leur part, seraient en fort recul, avec 25 % des répondants qui les fréquenteraient, contre 41 % quelques mois plus tôt. Les grandes enseignes de produits culturels, comme Fnac et Cultura, s'en sortent en tête, avec 36 %, contre 22 % en avril dernier.
Une répartition qui correspond plus ou moins au partage actuel du marché du livre : selon le ministère de la Culture, les grandes surfaces culturelles en couvrent 28,4 % en 2023, devant les librairies, avec 23,3 %, et les sites internet (22,2 %). Les grandes surfaces non spécialisées, elles, pointent à 18,1 %.
Amazon met en avant, dans sa communication, un recours massif aux hyper/supermarchés, grandes enseignes culturelles et maisons de la presse pour les achats de livres (70 %), contre 26 % pour les librairies indépendantes.
Mais la répartition sur le territoire comme le nombre d'enseignes pèsent sans doute sur ce choix : en 2023, on comptait 2300 hypermarchés et 5875 supermarchés en France, selon la Fédération du commerce et de la distribution, 227 Fnac, 108 Cultura et une trentaine d'enseignes Gibert Joseph, ainsi que 530 maisons de la presse. Soit un total de 9000 points de vente, pour 3700 librairies indépendantes environ... Amazon deviendrait-il le meilleur défenseur des librairies, en plaidant pour plus d'ouvertures ?
Dans la communication qui accompagne l'étude de l'IFOP, Amazon insiste à nouveau sur les effets jugés délétères des frais de port plancher sur l'accès aux livres et à la lecture. « Dans un pays où plus de 90 % des communes n’ont pas de librairie, instaurer des frais de port obligatoires sur les livres revient à taxer la lecture, en forçant de nombreux Français à choisir entre payer plus ou lire moins. La lecture est une grande cause nationale qui doit mobiliser tous les acteurs, et les politiques publiques culturelles devraient plutôt s’appuyer sur les atouts de l’offre en ligne pour favoriser un accès large à toute la culture, partout en France », déclare ainsi Frédéric Duval, directeur général d’Amazon.fr.
Interrogée, la filiale française de la multinationale n'a pas voulu partager de chiffres concernant la vente d'ouvrages, ni même indiquer une trajectoire des résultats dans ce domaine, en insistant plutôt sur les effets de la loi quant aux pratiques de lecture des Français. La firme encourage par ailleurs les pouvoirs publics à préférer d'autres mesures de soutien à la librairie, comme la mise en place d’un tarif postal dédié.
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Du côté du Syndicat de la librairie française, la loi Darcos, dont l'adoption a été largement soutenue, reste évidemment défendue. « Cette étude, bien qu’elle soit orientée sur de nombreux points, confirme qu’une majorité de lecteurs s’est davantage tournée vers les points de vente physiques, notamment les librairies indépendantes, ce qui était l’objectif de la loi », assure ainsi Guillaume Husson, délégué général de l'organisation.
Les seuls chiffres sur le sujet restent toutefois ceux d'Amazon et de l'IFOP : le ministère de la Culture a promis une évaluation des effets de la législation, mais deux après son entrée en vigueur, donc en fin d'année 2025... Le Syndicat de la librairie française promet néanmoins « d’analyser plus finement l’impact de la loi Darcos » à l'aide de données de l’Observatoire de la librairie, de librairies et d'autres circuits de vente, hors Amazon.
La publication des résultats interviendra une fois la collecte terminée auprès de tous les participants. « Pour l’heure, les premières remontées montrent une légère baisse des expéditions de livres au domicile des clients, compensée par une hausse plus significative du “cliqué et retiré” », détaille Guillaume Husson.
La lutte d'Amazon contre le tarif minimum des frais de port ne date pas d'hier. La multinationale s'était exprimée, par l'intermédiaire de son directeur général Frédéric Duval, avec une tribune publiée en 2021. Celle-ci assurait que les habitants des zones rurales seraient particulièrement pénalisés par la mesure, en citant déjà des données de l'IFOP.
Rappelons que la multinationale américaine avait saisi le Conseil d'État en juin 2023 pour « excès de pouvoir », mais l'institution n'a toujours pas rendu son avis sur le sujet, se contentant de renvoyer vers la Cour de Justice de l'Union européenne. Amazon s'était aussi appuyé sur l'avis circonstancié de la Commission européenne, qui remonte à février 2023 : elle y dénonçait une dérogation injustifiée à la législation applicable, l’absence de démonstration de l’adéquation et de la proportionnalité de la mesure proposée, ainsi que le fait qu’aucune option alternative n’ait été évaluée...
Alors qu'une possible taxe sur les ventes de livres d'occasion se profile, suggérée par Emmanuel Macron en avril dernier afin de soutenir la filière du livre, Amazon et l'IFOP anticipent avec une série de questions sur le sujet - Amazon proposant sur sa plateforme des ouvrages d'occasion, via sa marketplace et des vendeurs tiers.
On découvre ainsi, sans trop de surprise, que 92 % des acheteurs de livres d'occasion les privilégient pour « réaliser des économies », mais aussi pour acheter plus d'ouvrages et ainsi lire plus. Entre neuf et occasion, 81 % des répondants choisissent le second, et 80 % assurent que la seconde main les intéresse aussi pour ses vertus écologiques.
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74 % recherchent d'abord un titre en occasion avant de l'acheter éventuellement en neuf. 71 % s'appuient sur le réseau physique (librairie, vide-greniers, bouquineries...), contre 55 % qui se tournent essentiellement vers internet.
Ici aussi, l'idée d'une taxe est plutôt mal reçue, puisque 33 % des répondants s'y disent favorables, contre 67 % qui y sont opposés. Dans le détail, en cas de mise en œuvre de cette mesure, les bibliothèques, médiathèques et proches deviendraient de plus grands fournisseurs de livres, pour 68 % des répondants. 49 % assurent que leurs achats de livres d'occasion baisseraient en conséquence, tout comme leur pratique de la lecture.
Photographie : illustration, Province of British Columbia, CC BY-NC-ND 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
9 Commentaires
Gaucho Marx
07/10/2024 à 13:21
Sans surprise, nous faisons face à un "effet cobra".
"L'effet cobra est un phénomène indésiré qui se produit lorsqu'une tentative de résolution d'un problème a pour effet pervers une aggravation de ce même problème".
Gwen
08/10/2024 à 10:34
Justement, pour le gouvernement, c'est un succès, car il y a moins de livres vendus par Amazon. Si le dommage collatéral est qu'il y a moins de livres vendus tout court, ils ne s'en préoccupent pas, car l'objectif est atteint : réduire les ventes d'Amazon.
R. Raynal
07/10/2024 à 18:40
Un problème ? Une taxe !
deux maux :
- Le boulot des libraires n'est pas de vendre en ligne. À l'arrivée du net, ils se sont tapés sur le ventre (avec les éditeurs) pour dire que cela ne marcherai jamais. Ils paient les conséquences de leur immobilisme.
— La "loi Darcos" pénalise et taxe les auteur auto-édités (ces horribles plumitifs qui ne se prosternent pas aux pieds des saints éditeurs), car leurs livres se retrouvent taxés alors qu'ils ne sont pas vendus en librairie... Et comme souvent leurs livres sont moins chers que ceux des éditeurs, cette taxe augmente leurs tarifs de façon délirante... Quelques exemples : un recueil de nouvelles à 5€ passe à 8 € : merci M. Darcos et le SNE : + 60 % !!! Un roman passe de 10 à 13 € : + 30 % ! "légère" inflation !
Facétieux
08/10/2024 à 15:04
Ouin ! Ouin ! fait l'auteur autoédité, prompt à défendre le géant du commerce en ligne, champion de l'évasion fiscale, destructeur d'emplois et de tissu social, pollueur en chef ultracapitaliste, pourvu que ledit auteur autoédité puisse continuer à vendre 3 € de moins ses textes dont aucun éditeur n'a voulu.
Admettez que c'est tout de même croustillant de défendre Jeff Bezos et ses actionnaires multimilliardaires au nom des petits artisans du livre. Tenez, je verse une larme.
Sinon, vous qui crachez sur les libraires et les éditeurs, n'avez-vous jamais pensé à vous faire vous-même libraire, avec toute une association d'autres auto-édités ? Peut-être que lorsque vous connaitrez ce métier, ses contraintes, sa beauté, sa part d'ingratitude, vous serez moins prompt à souhaiter la mort de la librairie française.
Oh, et pour finir, cher monsieur. Toute activité professionnelle, quelle qu'elle soit, est soumise à des taxes et impôts. Vous voulez être un auteur professionnel ? Grand bien vous fasse, mais acceptez les règles du jeu. Ou alors, ne jouez pas.
Cordialement.
R. Raynal
09/10/2024 à 18:01
Tiens, voici donc, comme prévu le Kamarade libraire (ou ex-libraire ayant fait faillite ?) qui vient, anonyme, vomir sa bile anticapitaliste depuis un improbable kolkhoze, sans doute avec un ordinateur à lampes sous système d’exploitation made in USSR.
Inutile en effet de camoufler votre détestation derrière des oripeaux écologistes ou fiscaux, vous êtes reconnaissable au premier coup d’oeil, pratiquant l’attaque comme un bon petit soldat du parti (« d’où parles-tu, kamarade ? » ). Ainsi, dès la troisième ligne de votre courageuse diatribe à la morale binaire, vient poindre l’attaque « ad hominem » telle qu’on l’enseigne dans les cellules du parti. « vendre 3 € de moins ses textes dont aucun éditeur n'a voulu. » Dites-vous… Je me vois donc contraint de vous inonder de ma lucidité prolétarienne : non seulement mes textes ont été édités, mais j’ai même pu choisir entre les propositions de plusieurs « petits » éditeurs (et même des moyens). Le choix, un concept qui vous pose problème, ô admirateur des monopoles, qui n’ose pas dire que son désir secret est que les librairies soient les seuls à pouvoir vendre des livres. J’ai choisi la liberté (cette expression doit vous rappeler quelque chose, hein, cher ancien des Lettres Françaises), celle qui consiste à ne pas dépendre de l’imprimatur d’un éditeur de copains membre de cercles (et de ronds) où l’on doit se faire introduire ; ni de l’arbitraire d’un pousseur de carton qui se prend pour le dernier bastion de la culture, enfin, de la Khulture, la seule, la vrai, celle qui ne trouve rien à redire lorsque les grands éditeurs vendent aussi via Leclerc ou Auchan, et même grâce au diable Amazon (vade retro), et se garde bien, alors, de les boycotter dans ses officines. On remarquera aussi que le libraire qui fustige la grand Capital trouve cohérent de réclamer 35 % de marge, en trouvant parfaitement normal que l’auteur, ce Koulak, se contente de ses 8%.
Par une étrange conversion à l’hydre (ultra, forcément ultra, voire hyper) capitaliste, voilà que par la suite vous me proposez d’ouvrir un commerce ! Non, je ne désire pas être libraire. Je ne vends pas des livres, je les écris. Et il y en a même, horresco referens, que je donne (comme mes manuels scolaires, téléchargés plus de 100000 fois chacun, ou universitaires). Mince, voilà votre argumentation aussi solide que les convictions d’un politicien.
Rions encore un peu. Où donc, dans quelle boule de cristal, dans quel Marx de café avez-vous lu que je désirais être un auteur professionnel ? Comme la majorité écrasante des plumitifs de France, j’ai heureusement un autre métier, et ne désire surtout pas vivre de ma plume. Par contre, je n’admets pas que ma poignée de lecteurs hésite à se procurer mes ouvrages (certes dispensables) à cause d’une taxe réclamée par ceux dont la réflexion ne semble pas être la qualité première. En faut-il une preuve ? Lorsque l’on se pique d’être cordial (« sincère, qui agit à coeur ouvert, nous dit le Larousse ») peut-être faudrait-il faire preuve de l’once de courage nécessaire à se présenter sous son nom (ad hominem, je sais faire aussi).
Simon
09/10/2024 à 23:39
Bonjour Monsieur Raynal,
Oui enfin, si comme plumitif, vous ne vivez pas de votre plume, le libraire vit de son travail (lui, ses collègues et son commerce). En admettant qu’un libraire prenne 35% (ça arrive, mais contrairement à la diffamation propagée par Amazon, la remise libraire oscille plutôt entre 30% et 32%) sur un de vos livres (celui à 5€, disons), il gagne 1,75€ lorsqu’il le vend; dont une partie servira à payer ses charges (loyer, factures courantes, factures fournisseurs, impôts…) et le salaire de ses salariés. Au final, pas de koi se payer un p’tit kawa pour rassasier son gosier prolétarien.
En plus des 0,99€ de frais fixes par article proposé et des 15% du prix de vente total, je serais curieux de savoir combien la plateforme vous coûte en frais de gestion et d'expédition. Simple curiosité.
Simon
10/10/2024 à 13:34
Et puis allons, revenons à des ordres de grandeur plus décents et des arguments de moins mauvaise foi. Comparer un commerce de proximité dont le capital (oui, oui, j'ai dit Kapital) est détenu par un ou des particuliers (uniquement dans le cas des librairies indépendantes) à un mastodonte présent dans plusieurs pays, détenu par Jeff Bezos certes, mais aussi BlackRock, The Vanguard group, JP Morgan... Si effectivement les petits commerces souhaitent qu’il y ait suffisamment de clients dans leur boutique pour la faire fonctionner et payer convenablement leurs salariés, ils n’ont ni les moyens financiers, ni le temps, ni même la mégalomanie, d’être des monopoles. Soyons sérieux.
Amélie
09/10/2024 à 13:28
Pourquoi accuser toujours Amazon, ils n'étaient pas les seuls à proposer les frais de port à 0,01 € (et non 0,1 € comme écrit dans l'article,), il y avait d'autres librairies comme Lireka. Maintenant on se retrouve taxé de 3 € supplémentaires si on n'habite pas en ville. Payer un livre neuf à 23 € parce qu'il est en grand format, cela fait réfléchir, alors si en plus il faut ajouter cette taxe déguisée...
Al
11/10/2024 à 10:56
Les gagnants sont surtout le livre numérique et le livre d'occasion. Je n'ai pas l'impression que les libraires sont les grands gagnants de cette augmentation des frais de port.