Martial Cavatz a écrit un premier roman prometteur. Rien d’étonnant à ce que ce premier opus fasse parler de lui. Les caractériels est un roman d’apprentissage abouti. C’est un texte touchant et valeureux au sens le plus noble du terme. Il est sans concession sur la classe populaire et le handicap. Il est pourvu d’une rébellion propre au narrateur, ce qui en fait un texte passionné.
Aucun racolage, aucune exhibition dans cet opus qui narre un parcours difficile, et perturbé. La voix lucide de Martial est haute en couleur et l’individu ne manque pas de tempérament.
Le roman raconte l’enfance d’un enfant né et ayant grandi dans le quartier populaire du 408 à Besançon. Le narrateur/jeune héros vient d’un environnement socioculturel difficile, il ne s’entend pas avec son beau-père : bagarreur, il a très tôt envie d’en découdre, il frôle avec la petite délinquance, ponctue ses phrases de « pute » ou « fils de pute », a honte d’où il vient.
Le quartier, c’est difficile, il y fait ses premières classes. Martial, la cité, il la connaît, elle l’éprouve. Comme les trois barres d’immeubles. Les cages d’escalier sont des repères glauques, des terrains d’expérimentation de la vie, là où on découvre aussi bien l’altérité que la bagarre, là où on apprend à se mesurer aux autres, à en découdre avec le monde adulte vaguement hostile. La cage d’escalier, comme un extérieur nuit en plein jour. La famille finira par déménager et rejoindra un autre quartier où vivent des familles de petites classes moyennes.
« À force de m’y promener, je me suis forcément mis à lire, je parcourais à l’époque les Je bouquine avec passion, mais une certaine inquiétude lorsque je tombais sur plus de deux pages sans illustrations. Ça m’apparaissait alors comme une véritable plongée en apnée. La médiathèque, les livres, ça permettait de fuir une vie où l’on était peu à l’aise. Ce n’était certes qu’une parenthèse, mais, dans une existence qui n’était qu’un flot ininterrompu, ça faisait du bien de mettre un peu de ponctuation. Durant mon enfance et mon adolescence, c’est le seul endroit où j’étais bien, et j’a souvent regretté que les travailleurs sociaux, qui m’obligeaient à faire faire des activités inintéressantes pour moi, ne l’aient pas compris. J’avais ici ma cachette au fond du bois et j’étais certain que personne ne m’y trouverait ne vendrait m’emmerder. On avait même le droit de venir avec ses poux. »
- Extrait des Caractériels
On n’apprend pas de suite que le jeune héros est malvoyant depuis la naissance. Au fur et à mesure que les pages défilent, on appréhende à la fois mieux le parcours abrupt de la scolarisation complexe d’une personne porteuse de handicaps, et la déficience visuelle.
Martial est trimballé et change plusieurs fois d’école avant d’intégrer un établissement spécialisé puis un internat. Au Centre de Diagnostic de traitements et de réadaptation sociale, il est suivi par des éducateurs bienveillants et compétents. Éloigné de son quartier « pauvre » dont il a honte et de sa famille « dysfonctionnelle », il bénéficie d’un encadrement resserré qui le fait progresser et s’émanciper.
La personnalité du jeune « déclassé » est forte, c’est ce qui explique certainement le style alerte et très vif de ce récit, qui est une succession de fragments et de scénettes relatant des anecdotes non dénuées d’humour et d’intérêt.
Ainsi, l’élève va chez la psy, puis chez la psychomotricienne, il tombe amoureux de filles de son âge, puis d’une institutrice, en percute physiquement une autre (institutrice), apprend la poésie, et revient exalté de son entretien avec la Juge pour enfants.. Et ô joie, il ne se sent véritablement bien qu’en médiathèque à lire des livres.
J’ai été touchée par le climat populaire des années 70 dépeint avec tendresse, l’ambiance de certains bureaux de tabac de province où venaient les habitués, l’environnement d’une France périphérique qui rame à la fin du mois quand elle n’est pas carrément occupée à survivre, et les moments privilégiés vécus avec ceux qui partageaient un peu des scènes familiales.
Comment ne pas s’émouvoir des marqueurs de ce temps passé, de ces souvenirs de la jeune enfance téméraire, tourmentée et rocailleuse, comment oublier Popeye, Pinpin, le frère Michel, le Tigre et autres petits noms de ce passé révolu ?
La langue est un mélange de paroles de cet enfant extraverti et de réflexions d’adulte réfléchi. Ce méli-mélo des genres agrémenté de langage parler/oral et de réflexes syntaxiques actuels m’a parfois gêné. Mais qu’importe, le verbe haut et coloré ce jeune Martial alluré et bagarreur allié au talent romanesque indéniable est d’abord ce qui prime.
« L’exercice n’avait rien eu de traumatisant, c’était un peu comme une visite au musée, sans la foule. On ne m’avait montré que les belles choses, pas les cellules, ni les comparutions immédiates où les prolos sont jugés à la chaîne dans un système qui n’a guère le temps de ses soucier de la qualité et des finitions. C’était en quelque sorte une visite pédagogique sans obligations d’en rédiger un résumé à rendre à la maîtresse. J’y avais d’ailleurs appris plein de nouveaux mots. En rentrant à l’école, j’étais impatient de montrer à tous les nouvelles connaissances que j’avais acquises. Il n’a pas fallu attendre longtemps, à peine étais-je de retour que je me suis engueulé avec la prof de sport dans le hall de l’internat, où on enlevait nos chaussures pour mettre nos chaussons. Je me suis alors rendu dans le bureau des éducateurs, j’ai pris l’annuaire, je l’ai ouvert et je lui ai dit que s’il m’emmerdait, je me plaindrais au parquet. Ça l’a fait rire… »
- Extrait des Caractériels
Oui, l’ironie grinçante, la satire, l’examen de cette famille dont on dirait aujourd’hui qu’elle est dysfonctionnelle m’ont permis, grâce à la verve littéraire de l’auteur, de comprendre encore un peu mieux l’accompagnement et l’enseignement donné aux non-voyants et malvoyants au sein des structures institutionnelles.
La fin du livre est magnifique, l’auteur y acte sa rébellion, confesse que l’extérieur lui fait peur, et se demande comment intéresser des gens qui ont l’air tellement mieux que lui.
À n’en pas douter, il faut leur conseiller de lire Les caractériels.
Par Laurence Biava
Contact : laurence.biava@cegetel.net
Paru le 19/08/2024
177 pages
Alma Editeur
18,00 €
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