Pierre Christin, scénariste de bande dessinée, écrivain et grand voyageur, s'est éteint à l'âge de 86 ans. Auteur prolifique, il a marqué l'histoire de la BD par ses œuvres majeures, dont la série Valérian, et sa volonté d'aborder des sujets de société. Sa disparition laissera un vide immense dans le monde de la bande dessinée, selon son éditeur Dargaud, qui lui rend hommage.
Il a été scénariste de bande dessinée – sans conteste l’un des plus grands –, écrivain, universitaire et professeur : Pierre Christin s’est éteint à l’âge de 86 ans, ce jeudi 3 octobre, laissant derrière lui une œuvre considérable.
Pierre Christin est né en 1938 dans la banlieue parisienne. Enfant, il est passionné par les numéros de Détective et les couvertures illustrées de Radar. Après avoir modestement commencé ses études dans un cours complémentaire, il étudie à la Sorbonne puis à Sciences po Paris. Il soutient une thèse de doctorat en 1963 sur « le fait divers, littérature du pauvre ».
Dans les années 1960, entre ses activités de pianiste de jazz et ses premiers travaux de journalisme, de traduction et d’écriture, il part à la découverte de l’Ouest américain. Là-bas, il s’enthousiasme aussi bien pour la vie dans les ranchs et les autoroutes urbaines que pour la science-fiction, le polar et la musique noire, qui est alors à son apogée. Il devient même professeur à l’université de Salt Lake City en enseignant la littérature française.
En 1967, il signe, avec Jean-Claude Mézières, la première aventure de Valérian, sans imaginer un instant la longévité future de son héros. Traduite en une vingtaine de langues, Valérian fut rapidement considérée comme une série d’avant-garde et a inspiré de nombreux auteurs et des réalisateurs dont George Lucas et, bien entendu, Luc Besson qui a réalisé une adaptation au cinéma en juillet 2017 : Valérian et la Cité des mille planètes.
Ce chef-d’œuvre de la bande dessinée est devenu une référence absolue dans le genre. En 1968, il est nommé à l’université de Bordeaux où il crée en compagnie de Robert Escarpit l’IUT de journalisme, dont il est toujours resté l’un des animateurs : de nombreux étudiants devenus journalistes ont été formés au métier par Pierre Christin.
Il rejoint assez vite le magazine Pilote dans lequel, grâce à René Goscinny et Jean-Michel Charlier puis Guy Vidal, il deviendra un véritable pilier. Dans les années 1970-1980, il écrit pour Jacques Tardi (dont c’est le premier album, avec Rumeurs sur le Rouergue), François Boucq, Jean Vern et bien d’autres – une soixantaine d’albums dans lesquels il s’essaie à tous les genres. Il réserve cependant son versant optimiste – voire utopiste – à son vieil ami Jean-Claude Mézières dont il apprécie la clarté narrative et l’humour réjouissant.
Les sujets plus graves, nourris par des enquêtes dans ce qui est encore à l’époque le bloc communiste, il les traite avec Enki Bilal, dans des albums devenus de grands classiques de la bande dessinée politique, comme Les Phalanges de l’Ordre noir (Dargaud, 1979) ou Partie de chasse (Dargaud, 1983) mais aussi Le Vaisseau de pierre (1976), La Croisière des oubliés (1975) ou La Ville qui n’existait pas (1977) dans la fameuse collection « Histoires Fantastiques » éditée par Dargaud. Pour toute une génération d’auteurs et de lecteurs, ces albums sont considérés comme majeurs.
Avec Annie Goetzinger, il exprime une tout autre sensibilité dans des portraits de femmes, des intrigues intimistes, à l’image de La Demoiselle de la Légion d’honneur (Dargaud, 1980) ou de Paquebot (Dargaud, 1999). Il se lancera d’ailleurs, en 2001, toujours en compagnie d’Annie Goetzinger, dans la série L’Agence Hardy, un polar parisien des années 1950 teinté d’une forme de féminisme.
Grand voyageur, il fait un premier tour du globe par l’hémisphère Nord en 1992. Un périple qu’il raconte dans L’Homme qui fait le tour du Monde (Dargaud, 1994), mis en images par Max Cabanes et Philippe Aymond. Il renouvelle l’expérience en 1999, en passant cette fois par l’hémisphère Sud. Mais, souvent, ses balades ne le conduisent pas plus loin que
Paris : tour de la ville en suivant les rails abandonnés de la petite ceinture (La Voyageuse de petite ceinture [Dargaud, 1985], avec Annie Goetzinger), ou de la petite couronne, en vélo (La Bonne Vie [tome 5 des « Correspondances », Dargaud, 1999], avec Max Cabanes).
Sans jamais oublier la bande dessinée, Christin s’essaie à d’autres formes d’écriture. Dans ses romans, il évoque aussi bien l’aventure citadine (ZAC et Rendez-vous en ville) que les plongées au fond du terroir français (L’Or du zinc). Avec la collection « Les Correspondances de Pierre Christin » (Dargaud, 1997-2002), il explore d’autres rapports entre texte et dessin. Pour ces albums, il travaille, entre autres, avec Patrick Lesueur, Jacques Ferrandez, Jean-Claude Denis, Alexis Lemoine et Enki Bilal. Une intégrale paraît en 2009 (Dargaud).
En 2006, il signe avec le talentueux André Juillard le premier volume de la saga Léna (Dargaud) dont le troisième tome sort en 2020.
En 2019, sort le deuxième tome du hors-série L’Avenir est avancé, dans lequel Mézières et Christin revisitent en compagnie de Valérian et Laureline certains épisodes mythiques de la plus célèbre des séries de SF française.
Plus récemment il écrit une biographie de George Orwell (Dargaud, 2019) en compagnie de Sébastien Verdier et avec la participation d’auteurs de renom tels que André Juillard, Manu Larcenet, Olivier Balez, Blutch, Juanjo Guarnido et Enki Bilal. Cet ouvrage est par ailleurs publié dans de nombreux pays.
Il remporte le prix Goscinny 2019, décerné par le festival international de la bande dessinée d’Angoulême, pour l’ensemble de son œuvre à l’occasion de la parution de son album autobiographique Est/Ouest (Dupuis, 2018) mis en images par Philippe Aymond. Lors de la remise des prix au théâtre d’Angoulême, il est salué par une longue et vibrante standing ovation.
L’année suivante, une exposition lui sera consacrée au festival et une monographie sera publiée à cette occasion chez Caurette.
En 2022 il replonge dans l’aventure Valérian en écrivant lui-même un album de Valérian vu par, dessiné par Virginie Augustin, autour d’une réflexion pleine d’humour sur la création... La même année, le 23 janvier, son ami d’enfance et vieux compagnon de route, Jean-Claude Mézières, meurt à l’âge de 84 ans. Cette disparition, puis celle d’André Juillard le 31 juillet
2024, affecteront particulièrement Pierre Christin, lui-même diminué par différents problèmes de santé qui ne lui permettaient plus d’écrire seul.
D’une curiosité insatiable, il écrit alors avec l’aide de la jeune scénariste Stella Lory, un scénario intitulé L’Île des riches, un récit complet qui met en scène un pseudo paradis situé sur une île isolée sur laquelle vivent des ultras riches décidés à se mettre à l’abri d’un monde en déliquescence... Dargaud lui propose le dessinateur Titwane qui travaille actuellement sur cet album prévu en 2026. Toujours chez Dargaud, sa maison de coeur, il signe en 2024 un projet avec la scénariste Loo Hui Phang (elle-même récompensée par le prix René Goscinny en 2021). Les deux scénaristes se retrouvaient régulièrement chez Pierre et travaillaient ensemble sur ce récit d’anticipation qui sera l’ultime album signé Christin.
Pierre Christin est non seulement considéré comme un scénariste majeur de l’histoire de la bande dessinée, à la fois par la richesse de son œuvre qui ne s’est pas limitée à la série Valérian, mais aussi par sa volonté d’aborder des sujets de société. Progressiste, il est l’un des premiers à oser mettre en avant un personnage féminin (Laureline) comme une héroïne forte.
Dans la plupart de ses scénarii, Christin a souvent posé un regard critique sur notre société et ses dérives, sans jamais tomber dans une vision caricaturale.
C’était un grand voyageur, observateur assidu de notre monde, un homme cultivé, curieux, aimant débattre, souvent avec éloquence. Il a laissé un souvenir indélébile pour toutes celles et ceux qui, chez Dargaud (son autre famille...), des années durant, l’ont accompagné avec passion.
Sa disparition représente une perte inestimable pour notre métier qu’il aura pleinement contribué à faire grandir, au même titre qu’un René Goscinny. Considérant que pour vivre heureux, il faut vivre beaucoup, mais caché, il aurait aimé avoir cent vies, dans cent villes et presque autant d’identités...
Nous pensons particulièrement à sa femme Florence, sa fille Angèle, son fils Olivier et ses petits-enfants ainsi qu’à ses nombreux amis.
Crédits photo : © Dargaud
Par Auteur invité
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