L’Observatoire ADAGP-SGDL 2024 s’est penché sur l’impact des intelligences artificielles génératives (IAG) sur les artistes-auteurs. L’enquête révèle que 60 % des créateurs voient les IAG comme une menace pour leur activité, notamment dans l’illustration, la bande dessinée et la traduction. Elle souligne également le rejet majoritaire de l’exploitation des œuvres par l’IA et la demande pour un label distinguant la création humaine de celle produite par des machines.
Le 27/09/2024 à 17:42 par Hocine Bouhadjera
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27/09/2024 à 17:42
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L'ADAGP et la Société des Gens de Lettres (SGDL) ont créé un observatoire pour étudier la situation des artistes-auteurs des arts visuels et de l'écrit. Après une première enquête en 2023 sur leur rémunération, l'édition 2024 s'est concentrée sur l'impact des intelligences artificielles génératives (IAG) sur leur activité et leurs revenus.
Les résultats de l’Observatoire proviennent d’une enquête menée du 26 mai au 24 juin 2024 par l’ADAGP et la SGDL, basée sur un questionnaire en ligne auquel ont répondu 1614 artistes-auteurs dans les domaines de l’écrit et des arts visuels. Les participants couvrent toutes les disciplines des arts visuels et tous les domaines éditoriaux des auteurs de l’écrit.
L'enquête évalue le niveau d'information des artistes sur les IAG, leur utilisation, les opportunités ou menaces perçues, leur consentement à l'utilisation de leurs œuvres par l'IA et l'impact sur leurs conditions de création et rémunération.
Pour les arts visuels, près de la moitié des répondants sont issus des beaux-arts, un chiffre inférieur aux 60 % des membres de l’ADAGP. Les dessinateurs, illustrateurs jeunesse et auteurs de bande dessinée sont surreprésentés (25 % contre 15 % des membres), probablement en raison de leur réactivité sur les réseaux sociaux et d’un intérêt accru pour l’IA, précise l'étude.
Pour les auteurs de l'écrit, la répartition par secteur éditorial est globalement similaire aux tendances nationales, bien que les auteurs de romans, de littérature jeunesse et de poésie soient surreprésentés, reflétant la composition des membres de la SGDL sollicités pour l’enquête. Enfin, il est à noter que parmi les auteurs du livre ayant participé, 30 % sont traducteurs.
L'émergence des outils d'IA générative, capables de produire images et textes en grande quantité, représente à la fois une opportunité et une menace pour les artistes-auteurs. L’enquête menée par l’ADAGP et la SGDL révèle une inquiétude grandissante chez ces créateurs, surtout les illustrateurs, auteurs de bande dessinée et traducteurs, dont l'activité est déjà concurrencée par les IA.
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La majorité se prononce pour un label distinguant l'utilisation de l'IA dans les œuvres et s'oppose à l'exploitation de leurs créations par ces technologies, 65 % refusant même en cas de rémunération.
Les IA génératives créent des contenus (textes, images, vidéos, musiques) à partir de bases de données soigneusement constituées, se distinguant des IA classiques axées sur des tâches spécifiques. L'arrivée de ChatGPT en 2022 a mis ces IA au cœur des débats, en raison de leur potentiel impact sur la création artistique, la fiabilité de l’information, et l'économie des industries culturelles, notamment lorsqu'elles utilisent des œuvres sans le consentement des auteurs.
Pour 60 % des artistes-auteurs interrogés, qu'ils appartiennent aux secteurs des arts visuels ou de l'écrit, l’essor des IA génératives constitue une menace pour leur activité professionnelle.
Dans le domaine des arts visuels, les opinions divergent : 22 % des photographes et 27 % des plasticiens perçoivent les IA génératives comme une opportunité, contre seulement 9 % des illustrateurs et auteurs de bande dessinée. Cette différence s'accompagne d'un niveau d'inquiétude variable : 52 % des plasticiens et 60 % des photographes se disent préoccupés, mais ce chiffre grimpe à 78 % chez les illustrateurs et auteurs de bande dessinée, dont le domaine est directement affecté par la concurrence des images produites massivement par les IA depuis plus d'un an.
Du côté des auteurs de l'écrit, l’inquiétude est légèrement plus marquée que chez les artistes visuels (+3 points). Parmi eux, les traducteurs sont particulièrement préoccupés : 79 % estiment que l'IA représente une menace pour leur activité, contre 56 % des auteurs non traducteurs (+24 points).
Seuls 11 % des traducteurs voient dans l’IA une opportunité pour compléter leurs compétences professionnelles, tandis que 18 % des auteurs non traducteurs partagent cet avis. Cette réticence s'explique par le développement rapide, ces deux dernières années, des outils d’IA générative appliqués d’abord à la traduction technique, puis à la traduction littéraire, menaçant potentiellement de remplacer partiellement ou totalement les activités de traduction.
Les artistes visuels sont davantage enclins à utiliser les réseaux sociaux pour s'informer (48 %), comparativement aux auteurs de l'écrit (33 %). En revanche, ces derniers privilégient la presse comme source d’information (72 % contre 57 % chez les artistes visuels).
Plus de 40 % des artistes-auteurs ont déjà eu recours à un logiciel d'IA générative dans le cadre professionnel. Cette technologie, bien que récente, s'ancre déjà dans les pratiques de certains créateurs, deux ans seulement après son émergence.
Dans les arts visuels, les artistes des beaux-arts et les photographes utilisent les logiciels d’IA de manière plus régulière que les illustrateurs et auteurs de bande dessinée. Dans ce dernier groupe, seuls 30 % ont intégré l’IA dans leur pratique professionnelle. Parmi les artistes visuels, 54 % ont utilisé l’IA pour générer du texte, 47 % pour la recherche, 41 % pour la traduction, et 46 % pour créer des illustrations ou des images.
Chez les auteurs de l'écrit, 52 % ont utilisé l’IA pour effectuer des recherches, 39 % pour traduire des textes, et 33 % pour générer des contenus textuels.
Actuellement, les diffuseurs interviennent peu auprès des artistes-auteurs pour recommander ou interdire l’utilisation des outils d’IA générative, tant dans le domaine des arts visuels que de l’écrit. Cependant, certains artistes indiquent que l’interdiction de l’IA a été formellement stipulée dans leurs contrats, notamment pour des travaux de traduction ou des commandes d’illustrations.
Concernant la question d'un label reconnaissable par le public pour indiquer l'utilisation de l’IA dans une création textuelle, artistique ou de design, l’idée remporte un large soutien de la part des artistes-auteurs, toutes disciplines confondues. Une différence de 7 points se dégage toutefois entre les auteurs de l’écrit et ceux de l’image.
Dans les arts visuels, les artistes sont divisés : 54 % souhaitent recevoir une formation sur l'IA, contre 46 % qui n'en voient pas l'intérêt. Les illustrateurs et auteurs de bande dessinée sont les moins enclins à vouloir bénéficier de cette formation (51 %). Les auteurs de l’écrit, quant à eux, sont également partagés, mais avec une tendance opposée : 53 % ne ressentent pas le besoin de se former à l'utilisation de ces outils, tandis que 47 % s'y montrent intéressés.
Avec l'émergence du « Big Data » dans les années 1990, la recherche manuelle d’informations est devenue de plus en plus complexe en raison du volume et de la variété des données disponibles. Pour automatiser ce processus, les acteurs technologiques ont développé des outils de « fouille de données », ou Data Mining, une discipline à l’intersection de la statistique, de l’informatique et, plus récemment, de l’intelligence artificielle.
La fouille de données consiste à analyser automatiquement des textes, des images et des données numériques pour en extraire des informations, comme des tendances, des constantes et des corrélations. Elle est largement utilisée dans de nombreux secteurs tels que la recherche, le marketing, la santé, le développement de produits, ou encore l’éducation.
Cette technique est également centrale dans l'entraînement des systèmes d'IA générative, qui s'appuient sur leur capacité à traiter, qualifier et organiser des corpus de textes, d'images et de données, afin de générer de nouveaux contenus en réponse à des commandes spécifiques (« prompts »).
Près des deux tiers des artistes-auteurs s’opposent à l’utilisation de leurs œuvres pour l'entraînement des IA génératives. Cependant, 34 % y sont favorables, à condition qu'ils soient rémunérés. Ce ratio est similaire dans les secteurs de l’écrit et des arts visuels.
À l’inverse, une infime minorité, seulement 1 %, accepte que leurs œuvres soient utilisées sans compensation financière.
Près de 30 % des artistes-auteurs ont déjà exprimé leur opposition à l'exploitation de leurs œuvres par les logiciels d'IA. Si l'on inclut ceux qui envisagent de s'y opposer, ce chiffre dépasse les 90 %, démontrant clairement la volonté des artistes de protéger leurs créations dans l’univers numérique. Seuls 9 % des répondants n’ont pas encore prévu de s'y opposer.
La majorité des artistes-auteurs (56 %) souligne toutefois un manque d’information sur les moyens légaux de s'opposer à l'utilisation de leurs œuvres dans le cadre des opérations de fouille de données en ligne. Les auteurs de l’écrit sont globalement moins bien informés que les artistes des arts visuels : ils sont 11 points de moins à s'être déjà opposés à l'utilisation de leurs œuvres et 12 points de plus à vouloir le faire sans savoir comment procéder.
Cette situation s'explique par l’absence de solutions techniques simples et efficaces permettant aux auteurs de manifester leur droit d'opposition (« opt out ») à l'utilisation commerciale de leurs œuvres par les IA.
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Face à ce défi, la SGDL travaille actuellement sur le développement d'une plateforme qui offrira prochainement à tous les auteurs de livres la possibilité d’exercer gratuitement et facilement leur droit d’opposition. Cette plateforme permettra également d’informer les acteurs technologiques de l’interdiction d’inclure ces œuvres dans les corpus utilisés pour développer ou entraîner des modèles d’IA à des fins commerciales.
Le décret du 23 juin 2022, modifiant le Code de la propriété intellectuelle et complétant la transposition de la directive européenne de 2019 sur le droit d'auteur, stipule que les titulaires de droits peuvent s’opposer à l'utilisation de leurs œuvres dans le cadre de fouilles de textes et de données (data mining) à des fins commerciales, comme c'est le cas pour les outils d’IA générative. Cette opposition peut se manifester par tout moyen, sans avoir à être justifiée.
Toutefois, jusqu'à présent, aucun outil n’existait pour permettre aux auteurs d'exercer ce droit d'opposition (« opt-out ») de manière simple et efficace. La SGDL a donc développé une solution technique, grâce à laquelle tous les auteurs de livres, après vérification de leur identité, pourront s’opposer gratuitement et facilement à l'utilisation de leurs œuvres par des IA ou dans le cadre d'opérations de fouille de données à des fins commerciales. Ce service fournira, en temps réel, la liste des œuvres pour lesquelles les auteurs ont exprimé leur droit d'opposition, à l'attention de tous les acteurs susceptibles de constituer des corpus de livres.
Ce service sera accessible début 2025 sur le portail « Hugo » de la SGDL. Actuellement, ce portail permet déjà aux auteurs, non seulement du livre mais aussi d’autres secteurs (textes, images, vidéos, musique, créations multimédias, etc.), d’enregistrer et de déposer leurs œuvres. Cela leur assure une protection juridique contre la contrefaçon et toute utilisation non autorisée, en délivrant à l'auteur une preuve d'antériorité et de paternité juridiquement opposable. « Hugo » sert également de coffre-fort numérique, garantissant aux créateurs un espace sécurisé pour conserver les fichiers numériques de leurs œuvres ainsi que les différentes versions de leurs manuscrits ou projets.
La plupart des artistes-auteurs n'ont pas été informés de la politique de leurs diffuseurs concernant l'utilisation de leurs œuvres par les systèmes d’IA. Ils n’ont pas été consultés, n'ont pas eu l'occasion de s'opposer, ni de demander une rémunération. Ce constat est partagé par l’écrasante majorité des artistes, qu'ils soient des arts visuels ou de l'écrit, toutes disciplines confondues.
Seulement 8 % des artistes-auteurs interrogés ont connaissance de clauses spécifiques liées au consentement pour l'utilisation de leurs œuvres par les IA génératives. De plus, 82 % des répondants n'ont pas observé d'impact significatif des IA génératives sur leur activité de création.
Toutefois, 16 % rapportent une baisse de leur activité, qu’ils attribuent à la concurrence des IA. À l’inverse, seulement 2 % estiment que les outils d’IA générative ont eu un effet positif, leur permettant d'augmenter leur rythme et leur volume de production créative. Ces tendances se retrouvent de manière similaire dans toutes les disciplines artistiques des arts visuels (illustration, bande dessinée, photographie, beaux-arts, design, etc.).
Dans le secteur de l’écrit, l’impact est particulièrement marqué chez les traducteurs : 26 % d'entre eux déclarent une réduction de leur activité en raison du recours croissant aux outils d'IA par certains diffuseurs ou commanditaires de travaux de traduction.
Dans 90 % des cas, les artistes-auteurs n'ont pas remarqué de changement dans les demandes de leurs diffuseurs lié à l’utilisation des IA génératives. Cependant, 10 % des artistes signalent une évolution affectant leurs conditions de travail ou leur rémunération.
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Parmi ceux-ci, 45 % indiquent que l'utilisation de l'IA générative a eu un impact sur leurs rémunérations. Par ailleurs, 28 % constatent qu’ils ont dû présenter davantage d’avant-projets pour obtenir l’approbation du diffuseur, et 27 % notent une réduction des délais de livraison imposés pour leurs projets éditoriaux ou artistiques.
crédits photo : Salman Hossain Saif/Unsplash
1 Commentaire
JP
28/09/2024 à 12:54
La lenteur des réactions face à la rapidité de la technologie va encore coûter cher aux artistes. Pour bien les connaître, les contrats d'édition et de traduction aux USA ont depuis un moment de nombreuses clauses concernant l'IA pour limiter ses ravages. En France, on observe et on réfléchit...