La journée a été rythmée par les sons du clocher de l’église Saint-Jacques à Illiers-Combray. L’église Saint-Hilaire à Combray de La Recherche du temps perdu. Dans le claironnement des cloches par moments le coq coquelinait.
Le 23/09/2024 à 11:04 par Maria Danthine-Dopjerova
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Publié le :
23/09/2024 à 11:04
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Jusqu’en 1971, le village s’appelait Illiers. Depuis le centenaire de Proust, le village s’appelle Illiers-Combray. Combray est le village, où, jusqu’à l’âge de ses quinze ans, le garçon Marcel Proust avec sa famille venait passer ses vacances de Pâques, et probablement ses vacances d’été également.
La dernière fois qu’il est venu à Combray, c’était en 1886, pour les funérailles de sa tante Léonie, dans sa vie réelle la tante Élisabeth Amiot. C’est justement de Combray que, dans son écriture, émergent beaucoup de souvenirs de sa mémoire involontaire. À cause de ses crises d’asthme, il ne pouvait plus y revenir, mais ne le désirait pas non plus, car comme écrit Roland Barthes dans le livre Marcel Proust, Mélanges : « Ce qui fait qu’en réalité pour écrire avec puissance il vaut mieux se souvenir que venir voir… Il vaut mieux avoir vu que voir ».
Avec l’écoulement du temps, par le filtre de nos souvenirs de l’enfance, tout prend des proportions plus importantes. Ce qui a été une forêt magique dans notre enfance, se transforme, dans le dégrisement de la vie adulte, en une petite allée, une jungle non-explorée devient un jardin banal, les greniers des maisons de nos grands-parents représentaient jadis des mondes à part, les vieux coffres remplis de pacotilles étaient des trésors d’une valeur non inestimée. Une flaque d’eau devant la maison à Charleville d’Arthur Rimbaud a fait la mer qui a nourri la création du Bateau Ivre.
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Marcel Proust a fait du jardin de Monsieur Swan un parc et il a fait d’une petite maison du village de sa tante Léonie la résidence noble avec toutes les habitudes de la vie mondaine, qu’il admirait et qu’il a su si brillamment toucher avec ses phrases interminables, avec chaque nouveau mot ouvrant de nouveaux horizons.
Les souvenirs pêchés dans la maison de la tante Léonie, où les samedis étaient marqués par le rituel des déjeuners avancés dans la petite salle à manger, car Françoise devait aller au marché de Roussainville-le-Pin, avec l’escalier menant dans la chambre de Marcel qu’il devait monter pour aller dormir et attendre le baiser de sa maman, ce petit escalier étroit était jadis un escalier haï et interminable, dans la petite cuisine où Françoise sadiquement laissait la jeune fille peler les asperges dont elle détestait l’odeur.
Si mes parents m’avaient permis, quand je lisais un livre, d’aller visiter la région qu’il décrivait, j’aurais cru faire un pas inestimable dans la conquête de la vérité.
– Marcel Proust, À la recherche du temps perdu (Gallimard, 2019)
Nous avons cette possibilité. Déjà du train arrivant de Chartres à Illiers-Combray, on aperçoit l’église avec son clocher. Le clocher de l’église est visible partout, quand vous marchez dans l’avenue Georges Clemenceau, quand vous longez le collège Marcel Proust, elle pointe au-dessus des vieux murs en briques rouges, couverts de mousse, elle domine les petites maisons en couleurs, vous naviguant vers la place principale du village.
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Sur la place, devant l’église quelques vieilles maisons se serrent les unes contre les autres, avec leurs toits pointus dansants, avec les tuiles brunes, mais, après une pluie de fin d’été, aux nuances dorées, rouge et orange. Dans une de ces vieilles maisons, il y a aujourd’hui le restaurant La Madeleine de Combray, où, dans la cuisine, lors de la préparation des plats, une clochette tinte joyeusement.
Dans un café avec une petite terrasse, d’où on regarde l’entrée de l’église, et le banc sur lequel est assis le petit garçon Marcel en bronze, aux mains fines, avec un grand ruban noué autour du cou, dans un veston, avec fragilité et force, il fait penser au Petit Prince de Saint-d’Exupéry. Le soir, quand il fallait commencer à penser à l’heure du départ du train vers Chartres, je suis entrée une dernière fois dans l’église, je suis restée une dernière fois sur les marches devant son portail.
À LIRE – 83 heures pour lire tout Proust : qui dit mieux ?
Sur le banc, à côté de Marcel aux yeux profonds, un petit garçon aux cheveux décoiffés était assis, souriant, plongé dans la lecture de son livre. Du côté gauche du clocher de l’église, comme les papillotes argentées, est sortie une volée d’oiseaux.
On reconnaissait le clocher de Saint-Hilaire de bien loin, inscrivant sa figure inoubliable à l’horizon où Combray n’apparaissait pas encore ; quand du train qui, la semaine de Pâques, nous amenait de Paris, mon père l’apercevait qui filait tour à tour sur tous les sillons du ciel, faisant courir en tous sens son petit coq de fer, il nous disait : « Allons, prenez les couvertures, on est arrivés. »
– Marcel Proust, À la Recherche du Temps perdu
Dans l’ombre de l’église Saint-Jacques, on entre sur une mosaïque de dalles grise-noire sur le sol, par une vieille porte grinçante en bois, on pénètre dans la pénombre de l’église et on tombe sur le manteau en pierre bleu d’une grande statue, et c’est comme si par cette couleur bleue, toute l’église s’égaillait. On ne voit que le bleu de ce manteau de pierre et après, dans l’émotion vous permettez à votre regard de continuer, en direction des voûtes, de glisser sur les bancs en bois, où pendant les messes de Pâques était jadis assis le petit Proust, sa maman, Françoise, Monsieur Swan, Eulalie.
Votre regard curieux court sur les peintures colorées au plafond, sur les touches d’un bleu qui surprend de nouveau sur chaque détail. La lumière passe par un nombre infini des couleurs dans cette église sombre, elle les illumine comme des bougies, elle en fait un caléidoscope riche, en mouvement permanent.
Je ferme les yeux, le caléidoscope a bougé, je les rouvre et tout est de nouveau différent. La lumière des vitraux descend d’une manière inapercevable, discrètement elle passe par les vitraux sur les murs foncés, et après jaillit aux tons rouge, jaune et vert sur le bois des bancs, rangés en rectangles soignés, sur lesquels on ouvrait les petites portières pour y entrer avec les chansonniers et les livres des prières, où on posait ses genoux endoloris, comme « un instant Mme Sazerat, posant sur le prie-Dieu voisin un paquet tout ficelé de petits fours qu’elle venait de prendre chez le pâtissier d’en face et qu’elle allait rapporter pour le déjeuner » (Marcel Proust, À la Recherche du Temps perdu).
Ses vitraux ne chatoyaient jamais tant que les jours où le soleil se montrait peu, de sorte que, fit-il gris dehors, on était sûr qu’il ferait beau dans l’église — à l’un de ces rares moments où l’église aérée, vacante, plus humaine, luxueuse, avec du soleil sur son riche mobilier, avait l’air presque habitable comme le hall de pierre sculptée et de verre peint, d’un hôtel de style moyen âge…
– Marcel Proust
Le plafond peint est comme une broderie patiemment brodée pendant de longues années. On dirait que le bleu du manteau de la statue a bougé dans le courant d’air de la porte d’église ouverte. Dans cette modeste lumière, dans la pénombre de l’église luit le tissu rouge épais de la chaire. Sur les dalles cassées de l’allée principale, je pense à toutes les mariées et les maris, aux processions des fêtes et comme ils doivent faire attention pour ne pas tomber et ne pas subir la honte qui nourrirait pendant longtemps les langues commères du petit village.
Je m’avançais dans l’église, quand nous gagnions nos chaises, comme dans une vallée visitée par des fées, où le paysan s’émerveille de voir dans un rocher, dans un arbre, dans une mare, la trace palpable de leur passage surnaturel…
– Marcel Proust À la recherche du temps perdu
Tout à l’église est arrondi par le temps, les bords des vieux bancs en bois, les formes des pierres. Le bénitier de l’église avec l’eau bénie, dans laquelle juste les bouts des doigts se plongent, étaient, déjà dans le temps des passages de Marcel Proust, « comme si le doux effleurement des mantes des paysannes entrant à l’église et de leurs doigts timides prenant de l’eau bénite, pouvait, répété pendant des siècles, acquérir une force destructive, infléchir la pierre et l’entailler de sillons comme en trace la roue des carrioles dans la borne contre laquelle elle bute tous les jours. » (Marcel Proust, À la recherche du temps perdu)
Le prêtre allume les bougies et ce même prêtre, quelques minutes plus tard, est assis dans la voiture et me laisse passer quand il sort de la cour de la paroisse. Je marche dans le village aux petites maisons basses, avec les entrées et les escaliers délabrés, sur les enseignes des maisons je lis « chirurgien-dentiste » ou « coiffeur ».
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Le vieux et le très vieux se mélangent avec le plus récent et le très récent et à chaque nouveau pas, une odeur ou un bruit inattendu font ressusciter des moments du passé, de l’enfance, celui de Marcel, mais aussi des enfances de nous tous. Dans les entrées étroites des maisons on répare des escaliers qui risquent de s’écrouler, devant les maisons sont posés des outils, ciment et des échelles, pour que le monde du jadis de Marcel Proust ne disparaisse pas.
À l’habiter, Combray était un peu triste, comme ses rues dont les maisons construites en pierres noirâtres du pays, précédées de degrés extérieurs, coiffés de pignons qui rabattaient l’ombre devant elles, étaient assez obscures pour qu’il fallût dès que le jour commençait à tomber relever les rideaux dans les ‘salles’ ; des rues aux graves noms de saints…
– Marcel Proust
Sur la rose, qui voulait, mais n’avait plus le temps, s’épanouir, se balancent des gouttes de pluie. Le pétale, qui probablement tombera d’ici quelques heures, est fin et léger comme le parfum d’été, transparent, la lumière le traverse et derrière ce pétale fragile, derrière la prairie aux herbes sauvages, pointe, de nouveau le clocher de l’église Saint-Jacques. Ou est-ce l’église Saint-Hilaire ?
Le clocher de l’église est derrière la maison de tante Léonie. Dans la mousse, sur le muret s’est assis le soleil du matin et derrière le muret jette un regard, à Combray toujours omniprésent, le clocher de l’église.
Clocher de Saint-Hilaire, mais si mince, si rose, qu’elle semblait seulement rayée sur le ciel par un ongle qui aurait voulu donner à ce paysage, à ce tableau rien que de nature, cette petite marque d’art, cette unique indication humaine. Quand on se rapprochait et qu’on pouvait apercevoir la tête de la tour carrée et sombre des pierres ; et, par un matin brumeux d’automne, on aurait dit, s’élevant au-dessus du violet orageux des vignobles, une ruine de pourpre presque de la couleur de la vigne vierge.
– Marcel Proust, À la recherche du temps perdu
« Souvent sur la place, quand nous rentrions, ma grand-mère me faisait arrêter pour le regarder » (Marcel Proust). Peut-être le disait-elle à l’endroit où maintenant est assis Marcel Proust en statue. À côté de cette même église, au sommet de laquelle tournait le coq en métal, qui a scandé chaque activité du village de Combray, qui était au courant de tout mouvement, de chaque heure écoulée du village. Dans la maison de tante Léonie, les habitants avaient l’impression que les cloches sonnent sous le toit de leur propre maison.
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Ces sons de cloches qui entrecoupaient les activités de la maison, quand le petit Marcel prenait le sachet de la pharmacie et mettait la dose des feuilles du tilleul sur une assiette pour préparer le thé de sa tante, ou quand tante Léonie demandait à Françoise de lui servir des œufs à la crème sur une assiette plate, car elle aimait lire les écritures sur les assiettes, peut être pendant que les sons des cloches, elle mettait ses lunettes et après avoir lu « Ali-Baba et les quarante voleurs, Aladin ou la Lampe merveilleuse », elle prononçait son fameux : « Très bien, très bien. » L’église, dont la présence dans le paysage de Combray est ressentie même aux endroits d’où on ne peut pas la voir.
C’était lui qui parlait pour elle. Je crois surtout que, confusément, ma grand-mère trouvait au clocher de Combray ce qui pour elle avait le plus de prix au monde, l’air naturel et l’air distingué. Ignorante en architecture, elle disait : « Mes enfants, moquez-vous de moi si vous voulez, il n’est peut-être pas beau dans les règles, mais sa vieille figure bizarre me plaît. Je suis sûre que s’il jouait du piano, il ne jouerait pas sec. »
Et en le regardant, en suivant des yeux la douce tension, l’inclinaison fervente de ses pentes de pierre qui se rapprochaient en s’élevant comme des mains jointes qui prient, elle s’unissait si bien à l’effusion de la flèche, que son regard semblait s’élancer avec elle ; et en même temps elle souriait amicalement aux vieilles pierres usées, dont le couchant n’éclairait plus que la faîte et qui, à partir du moment où elles entraient dans cette zone ensoleillée, adoucies par la lumière, paraissaient tout d’un coup montées bien plus haut, lointaines, comme un chant repris ‘en voix de tête’ une octave au-dessus.
- Marcel Proust, À la recherche du temps perdu
À la fin de la journée, inconsciemment j’ai déjà pris l’habitude de chercher en permanence le clocher de l’église. À chaque pas, j’avais l'impression que je devais apercevoir au moins sa cime et dès que je le voyais, rassurée, mon cœur sursautait de joie.
Crédits image : Maria Danthine / CC-BY-SA
Paru le 07/11/2019
527 pages
Editions Gallimard
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Paru le 22/08/2019
816 pages
Editions Gallimard
7,80 €
11 Commentaires
Brichot
23/09/2024 à 17:30
C'est dommage mais tout est faux dans cet article.
En effet si l'on considère que Combray est Illiers, on se trompe sur toute la Recherche. Si effectivement il y a un constant décalage entre le roman et la réalité des lieux, c'est qu'en " réalité " la plupart des évènements décrits se sont déroulés à Auteuil.
Avec Contre Sainte-Beuve et Jean Santeuil, nous sommes plus près de la biographie. A l'époque la Madeleine du roman n'était encore que du pain grillé.
Maria
24/09/2024 à 09:47
Je vous remercie pour votre commentaire. Effectivement, j'en suis bien consciente que dans l'œuvre de Proust il y a un décalage entre le texte et la réalité, qu'il s'agit d'une mosaïque des endroits et des moments qui ne correspondent pas toujours à la réalité des lieux. Le but de mon article était de mettre en lien mes impressions de Combray, notamment de l'église de Combray avec les textes de la La recherche du temps perdu où Combray est souvent évoqué...Je ne pensais pas de me tromper en disant que la tante Léonie de la Recherche était inspirée par la tante paternelle de Proust, la sœur de son père, Elisabeth Amiot. Le père de Proust est bien né à Combray. L'église Saint-Hilaire de la Recherche était inspirée de l'église de Combray (église Saint-Jacques). Et dans cet article il s'agit de mes impressions du village de Combray et de son église.
Brichot
24/09/2024 à 12:29
Bonjour, ce que je trouve surtout abusif, c'est la façon dont Illiers s'adjuge Marcel Proust afin d'en faire un objet de commerce et ceci sans aucune nuance. Certainement il faut en donner aux touristes (qui ne lisent pas Proust) pour leur argent. J'ai visionné un film de la visite de la maison, le commentaire est consternant. Je pense que votre site devrait être plus réservé au sujet de ce Proustoland.
Neveu
24/09/2024 à 04:55
Ololoooo
Informez-vous d’abord, sur toute la génétique qui a été faite des manuscrits de Proust, pour découvrir ses sources dans la réalité. C’est tout à l’ITEM, avec Nathalie Mauriac. Et dans les archives du Collège de France, avec Antoine Compagnon
nevue
24/09/2024 à 14:38
PS Je suis désolée, il était trop tôt ce matin, mon commentaire est nul et impossible de l'enlever. Désolée -(
Vous avez raison, il EDF njl.
03/10/2024 à 10:31
Effectivement il est nul.
Clovis Nasiala
24/09/2024 à 07:35
Je suis joyeux de voir Marcel, et de lire l'histoire de l'église. Merci beaucoup
Lamine Amar
24/09/2024 à 11:06
Purée les puristes proustiens qui ne jurent que par le sophiste Compagnon et dès qu'on touche à leur petit Marcel se roulent en boule outrée du sacrilège qu'on inflige au GRAND ÉCRIVAIN DE NOTRE PATRIMOINE oulala les pauvres Combray paris la ZAC de bourg en Bresse ça change quoi au final ? Charlus sera toujours Charlus on s'en fout qui il était les bourges restent des bourges
Nathalie
24/09/2024 à 12:20
Très bel article - merci à la journaliste - émaillé de citations très bien choisies.
Je suis retournée à Illiers-Combray cet été : cet article retranscrit ce que l'on y ressent de familier et de réconfortant quand on est amoureux de l'œuvre de Proust.
Maria
24/09/2024 à 13:50
Merci
Bozena
26/09/2024 à 10:17
Merci Maria,
un article agréable à lire qui nous plonge dans l'ambiance "proustienne" et qui nous redonne l'envie de relire les livres de Marcel Proust.