Avec un déficit public atteignant 4,9 % de son PIB et une dette publique équivalente à 56 % de ce dernier en 2023, la Slovaquie affiche des finances en berne. À la recherche de solutions pour revenir à l'équilibre, le ministre des Finances Ladislav Kamenický a suggéré une hausse de la TVA sur les livres, de 10 à 23 %, provoquant une levée de boucliers inédite.
Le 23/09/2024 à 11:44 par Antoine Oury
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23/09/2024 à 11:44
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Le ministre des Finances Ladislav Kamenický ne s'en sort pas. Depuis bientôt une semaine, sa déclaration sur les livres, des biens « qui relèvent des catégories les plus aisées de la population » selon lui, le poursuit. Il est accusé par l'opposition, par les professionnels du secteur et même par le président de la République de négliger l'accès à la culture et à l'éducation au profit de l'équilibre économique.
Confrontée à une situation économique très délicate, la Slovaquie fait l'objet d'une procédure de la Commission européenne pour déficit public excessif — au même titre que la France. Le ministère des Finances a donc planché sur une série de mesures pour retrouver l'équilibre, dont la hausse de la taxe sur la valeur ajoutée appliquée aux livres, de 10 à 23 %.
Dans un premier temps, les explications de Ladislav Kamenický ont plus choqué que la proposition elle-même. Le 17 septembre dernier, lors d'une conférence de presse, il a justifié une hausse de la TVA sur le livre en soulignant que ces biens étaient surtout par les catégories sociales les plus aisées de la population.
Face au tollé suscité par son analyse, Kamenický a tenté de sauver les meubles, sans vraiment revenir sur un postulat quelque peu contestable. « J'ai indiqué que les données montraient que les individus ayant les plus hauts revenus dépensaient plus d'argent pour s'acheter des livres. Je n'ai jamais dit que les personnes avec des revenus plus faibles n'avaient pas besoin de livres », a-t-il lancé, rapporte l'agence TASR.
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Une telle hausse de la TVA ferait de la Slovaquie le deuxième pays avec la taxe la plus importante sur le livre, juste derrière le Danemark, qui lui applique un taux de 25 %. Mais, dans le pays scandinave, le pouvoir d'achat n'a rien à voir avec celui des Slovaques, soulignent les détracteurs du gouvernement de Robert Fico.
Le manque de crédibilité de l'analyse du ministre des Finances a été renforcé par l'évocation de données traitées par l'Inštitút finančnej politiky (Institut d'études financières), une agence d'analyse au service du ministère. Or, comme l'a révélé Aktuality, les informations collectées sur le sujet sont en cours d’étude par ces services...
Parmi les sources citées par Ladislav Kamenický, un document de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en 2014, intitulé The Distributional Effects of Consumption Taxes in OECD Countries (Effets redistributifs des impôts sur la consommation dans les pays de l'OCDE).
Cette étude note en effet que, en Estonie, « les ménages qui dépensent le moins n'achètent presque pas de livres ». Un constat effectué dans le cadre d'un travail consacré aux effets redistributifs, afin d'optimiser l'équité sociale au sein d'une société, et pas vraiment dans une logique de redressement des finances publiques...
Par ailleurs, l'opposition au gouvernement de Robert Fico n'a pas manqué de relever la contradiction : le ministère des Finances note que les citoyens aux revenus les plus faibles ont un accès réduit aux livres, tout en suggérant une mesure fiscale dont le premier effet sera d'augmenter considérablement le prix des ouvrages.
Ladislav Kamenický avait toutefois précisé que sa proposition ne concernait pas les manuels scolaires, pour lesquels le taux de TVA serait même réduit, passant de 10 à 5 %. Et d'autres biens verraient leurs taxes diminuer, notamment la nourriture (de 10 à 5 %, ou de 20 à 19 % selon le taux appliqué actuellement).
Proche allié de Robert Fico, le président de la République slovaque Peter Pellegrini n'a pas hésité, pour autant, à prendre ses distances avec la proposition du ministre de Finances. D'une manière tout sauf subtile, d'ailleurs, en posant avec un livre ouvert entre les mains, pour une publication sur le réseau social Facebook.
« [R]ien ne peut remplacer le sentiment d'entrer dans une bibliothèque, d'y choisir un livre, de respirer son parfum et d'apprécier son texte ou d'apprendre quelque chose », a souligné le chef d'État. « Un État qui prête attention aux conditions sociales devrait proposer un cadre dans lequel l'éducation, y compris par l'intermédiaire des livres, soit aussi accessible que possible et que tout le monde ait les mêmes chances de réussite dans la vie. »
Juraj Heger, à la tête de l'Association des éditeurs et des libraires slovaques, a avancé auprès du Guardian qu'une telle mesure aurait des effets dévastateurs pour la chaine du livre : « Le marché est petit en Slovaquie, tout petit, avec un chiffre d'affaires annuel autour des 100 millions €. » À titre de comparaison, il était de 2,9 milliards € pour l'édition française en 2023.
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Une telle hausse « réduirait le nombre d'acheteurs de livres, et le gouvernement ne tirerait qu'une faible somme de cette mesure », assure-t-il au Guardian. Un certain nombre d'éditeurs prorusses, dont les idées correspondent pourtant à celles de Robert Fico et de son gouvernement, ont aussi pointé « la fourberie et la petitesse » de la proposition.
Autres victimes collatérales, les bibliothèques : Tomáš Štefek, directeur du réseau des établissements de Bratislava, assure qu'une hausse des prix des ouvrages limiterait les possibilités d'acquisition. « Ces cinq dernières années, nos budgets pour les collections ont légèrement augmenté, mais nous achetons de moins en moins de titres, car leurs prix sont en hausse, même sans hausse de la TVA », explique-t-il auprès de SME.
Par ailleurs, la tendance à l'austérité du gouvernement laisse craindre un coup de rabot sur les subventions de l'État, contraignant un peu plus les budgets.
Certains Slovaques, face à la polémique, préfèrent considérer la proposition saugrenue avec humour. L'acteur et animateur Štefan Martinovič l'a ainsi tourné en dérision en posant devant sa bibliothèque au son de « Money Money Money », du groupe ABBA...
Si le gouvernement slovaque n'abandonne pas cette hausse de la TVA sur le livre, il faudra encore la faire adopter par le Parlement. Ce dernier compte 150 membres, dont 79 membres de la coalition gouvernementale. L'écart est donc serré avec l'opposition (71 membres), d'autant que la proposition est loin de faire l'unanimité.
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La distance prise par le président de la République pourrait priver le SMER-SD (parti de Robert Fico) d'une bonne part de ses soutiens, tandis que Roman Michelko, membre du troisième parti de la coalition (SNS, extrême droite) et président du comité parlementaire de la Culture et des Médias, l'a publiquement critiqué en la comparant à une prise de contrôle digne de l'ère communiste.
Enfin, en cas d'adoption, la loi devrait encore être signée par le président de la République Peter Pellegrini, qui pourrait facilement s'y opposer et ainsi redorer son image auprès de la population, au passage...
Photographie : Des livres slovaques (illustration, Bratislavský kraj (BSK), CC BY 2.0)
6 Commentaires
Jacline Rodrigues
23/09/2024 à 12:44
Je n'aime pas les brocolis. Je n'en mange jamais. Il y a longtemps le gouvernement avait baissé la TVA sur les brocolis. Il paraît que c'est sain. Il voulait mettre les brocolis au menu de toute la population. Peine perdue pour moi. De toutes façons, il n'y a que les gens riches qui en mangent.
Moi, je préfère que le prix des patates diminue.
C'est comme les musées. C'est gratuit un dimanche par mois. Mais qui paie cette gratuité ? Je préférerais que ce soit EDF ou Intermarché qui fassent ça.
Necroko
24/09/2024 à 02:50
🤦♂️ 100 millions à peine et il compte sur ça pour redresser les finances 🤦♂️une petite dizaine de millions au plus ; les politiques sont de pire en pire (de plus en plus cons).
Ulrich
24/09/2024 à 10:48
La Slovénie est un tout petit pays de 2 millions d'hab. Son déficit public est de 1,5 milliard. Donc 100 millions ça n'est pas rien.
Ma critique, ma seule critique, je l'adresse à ceux qui croient à l'efficacité ou à la vertu morale des taxes pigouviennes ou comportementales. Ceux qui pensent que de fortes taxes sur le tabac vont en réduire drastiquement la consommation. Ou à l'inverse que la réduction des taxes sur le livre va engendrer de nouveaux lecteurs par millions. L'Etat adore ce genre de taxes car ainsi il entend prouver son utilité et son éthique : il ne s'agit pas seulement de remplir les caisses, mais d'agir pour le bien de ses citoyens, même contre leur gré.
C'est évidemment plus complexe que ça. Dans une certaine mesure, le producteur peut baisser sa marge pour compenser la hausse des taxes - il se rattrapera au final sur le volume de ventes. Un prix élevé peut au contraire attirer le consommateur qui y verra un produit de luxe. Cela peut favoriser la contrebande, donc le recours à des produits encore pires et le développement des mafias. Cela encourage le paternalisme étatique et donc la déresponsabilisation citoyenne. Le système est passablement hypocrite et paradoxal : taxer fort, c'est éliminer le vice mais supprimer des recettes ! Etc.
Le monde de la culture pousse des cris orfraie sur le cas slovène. Mais est-on sûr que l'appétence pour la lecture est inversement proportionnelle à la taxe sur le livre ? Trop simple, non, surtout à une époque où la lecture est une activité souvent gratuite (bibliothèques, livres tombés dans le domaine public, boîtes à livres...) ?
PS : Je note au passage, très amusé, que cette mesure a été proposée par un gouvernement de (centre)gauche et critiquée par l'extrême-droite ! Comme quoi...
doute raisonnable
24/09/2024 à 22:56
Il s'agit de la Slovaquie, 5 millions d'habitants.
Merci de corriger. C'est toujours infligeant de lire autant d'inattention.
Imaginez l'article consacré à la France et commenté comme s'il s'agissait de Finlande sous prétexte de la même majuscule.
Ulrich
26/09/2024 à 01:48
Autant pour moi. Je reprends :
"La Slovaquie est un tout petit pays de 5 millions d'hab. Son déficit public est de 4 milliard. Donc 100 millions ça n'est pas rien."
Le reste sans changement.
Necroko
27/09/2024 à 05:30
100 millions c'est le chiffre d'affaire du secteur ; la hausse de la TVA rapporterait 10-20 millions.