Olivier Guez nous conte l'Histoire extraordinaire de la naissance d'un pays et du Moyen-Orient moderne à travers le destin exceptionnel d'une femme, Gertrude Bell, une sorte de Lawrence d'Arabie au féminin. Passionnant !
Le 22/09/2024 à 10:47 par Bruno Ménétrier
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Publié le :
22/09/2024 à 10:47
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Olivier Guez s’était fait connaître avec un livre (prix Renaudot 2018) sur la fin de Josef Mengele.
Il nous transporte ici à une période mal connue (le début du siècle dernier, l’entre-deux-guerres) dans un Moyen-Orient dont on parle beaucoup, mais que l’on ne connaît pas si bien que cela, il nous invite à suivre la trace d’une totale inconnue (qui donc avait entendu parler de cette Gertrude Bell !?) : alors avec un tel carnet de route, on ne peut que répondre à son invitation et monter à bord du premier vapeur en partance pour la Mésopotamie.
On est nombreux à avoir manqué le biopic de Werner Herzog, « La reine du désert » avec Nicole Kidman (2015), et on n’a donc absolument aucune idée de qui peut bien être cette Gertrude Bell, née vingt ans avant Lawrence d’Arabie qu’elle croisa à de nombreuses reprises : et pour cause, ils faisaient le même boulot pour l’Empire britannique (dans l’administration civile).
Fille de (très) bonne famille elle fut voyageuse, alpiniste, archéologue, espionne et diplomate. Une femme élevée dans la plus stricte tradition victorienne, une femme aux amours tourmentées, qui n’aura pas eu d’enfants, mais qui fut la sage-femme qui donna naissance à un pays : l’Irak.
On est toujours avide de ces romans qui savent mêler grande et petite H/histoire, qui nous font découvrir des personnages surprenants, qui nous font voyager dans le temps et l’espace vers des périodes ou des contrées étonnantes, qui nous éclairent des pans entiers de l’Histoire et de la géopolitique, bref des romans qui nous donnent l’illusion d’être un peu plus intelligents en refermant le bouquin.
On apprécie qu’Olivier Guez nous brosse un tableau panoramique de cette époque et de cette région mal connues. Le débarquement américain de plusieurs millions d’hommes qui mit fin à la terrible guerre, l’accord franco-anglais (l’accord secret Sykes-Picot) pour dépecer l’Empire ottoman défait, la création de la SDN et la venue du président US Woodrow Wilson à la Conférence de la Paix de Paris de 1920, et bien sûr la géopolitique britannique au Moyen-Orient, les rivalités entre chiites et sunnites, les dynasties hachémite et wahhabite, les débuts du sionisme en Palestine, les premières batailles pour le pétrole, le sort des Kurdes et pour finir, la transformation de cette Mésopotamie en état souverain : l’Irak. Ouf !
Et puis il y a ce portrait en profondeur d’une femme, pur produit de son temps et de son pays.
Si Miss Bell n’a pas que des qualités (« les hommes craignaient son impertinence ou se moquaient de son snobisme et de son arrogance »), et même si elle ne fait que mettre en musique les objectifs de l’impérialisme anglais (« les Kurdes n’auront ni État ni autonomie au sein de la nation irakienne »), on finit par se prendre, sinon de sympathie, tout au moins d’empathie pour cette femme au destin exceptionnel.
Une femme intelligente, une « reine sans couronne » qui arrivera à ses fins, du moins en politique.
Si tout le monde connaît le très charismatique Lawrence d’Arabie alias Sir Thomas Edward Lawrence, parti en plein désert chevaucher aux côtés des Bédouins, tout le monde ou presque ignore qui fut Gertrude Margaret Lowthian Bell : elle était son aînée de vingt ans et aurait pu lui être comme une tante.
Leurs routes se sont croisées à plusieurs reprises, eux qui partageaient la même obsession pour le Moyen-Orient, la même passion pour l’histoire et l’archéologie, la même volonté de consolider l’Empire…
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Français et Britanniques s’entendent pour dépecer l’Empire ottoman vaincu après avoir choisi le côté obscur. Si les premiers récupèrent des mandats sur le Liban et une partie de la Syrie, les seconds occupèrent ce qu’on appelait encore la Mésopotamie, littéralement le pays entre les fleuves (le Tigre et l’Euphrate), de Bassora à Mossoul via Bagdad.
Dans la logique de l’Empire, c’est l’armée des Indes qui est chargée de « pacifier » la région : des milliers de cipayes débarquent à Bassora et c’est la doctrine « anglo-indienne » que l’Empire colonial veut appliquer dans la région.
« [...] Comme aux Indes, il fallait un arbitre pour faire cohabiter ces peuples et ces provinces disparates. [...] “Nous sommes vraiment un peuple remarquable. Nous sauvons de la destruction des nations opprimées, et nous leur donnons sans compter, améliorons laborieusement leurs conditions sanitaires, et éduquons leurs enfants, en respectant leur foi… Il en va ainsi sous le drapeau britannique. Ne me demandez pas pourquoi”, écrit Gertrude à ses parents. »
Dans le même temps, les agents de renseignements de ce que les Britanniques appellent à l’époque le Bureau arabe, ou le Bureau du Caire, l’entendent autrement : ils veulent miser sur les Arabes et instrumentaliser les Bédouins pour bouter les turcs hors du Moyen-Orient. C’est le rôle diplomatique dévolu à Gertrude Bell puis à Thomas Edward Lawrence pour mobiliser les tribus des Bédouins, principalement autour du roi Hussein ben Ali, roi du Hedjaz et Grand Chérif de la Mecque.
Mais après la Grande Guerre, la Grande-Bretagne est exsangue et n’a plus les moyens de ses ambitions coloniales : cela causera la fin du rêve britannique aux Indes (comme on l’a lu dans le bouquin de Dominique Lapierre et Larry Collins : Cette nuit la liberté), mais on demande également à Winston Churchill une solution « à moindre coût » pour la Mésopotamie. Le trône d’Irak est alors proposé à Fayçal, l’un des fils du Grand Chérif Hussein ben Ali.
C’est une véritable biographie de Miss Gertrude Bell que nous propose Olivier Guez. Le bouquin alterne les chapitres (selon des rythmes chronologiques différents).
Tantôt des chapitres sur la vie intime de Gertrude et ses amours hésitantes ou contrariées : c’est une jeune femme de bonne famille (de très bonne famille : les Bell sont de riches industriels, des « maîtres des forges ») éduquée dans la plus stricte tradition victorienne.
Un carcan qu’elle cherche sans doute à fuir dans ses voyages orientaux, ses fouilles archéologiques ou ses ascensions (les Alpes suisses ont même un sommet à son nom : le GertrudSpitze).
Une femme au destin exceptionnel qui n’avait pourtant pas que des qualités !
Et tantôt des chapitres (ceux que l’on préfère) sur l’activisme géopolitique de Miss Bell en Mésopotamie au service de la Couronne impériale, région où elle conduira la diplomatie britannique pour y créer, excusez du peu, ce qu’on appelle aujourd’hui l’Irak.
Les plus attentifs auront noté au passage que, business as usual, la diplomatie britannique n’a pas fait dans la dentelle anglaise.
« [...] Londres penchait initialement pour un Kurdistan indépendant, mais les deux administrateurs ont su convaincre leurs interlocuteurs : le pétrole du nord est indispensable à l’empire ; les montagnes kurdes seront précieuses pour défendre les plaines du centre et du sud. [...] Les vues de Gertrude l’emporteront. Les Kurdes n’auront ni État ni autonomie au sein de la nation irakienne. »
Mais sic transit gloria mundi. La famille Bell est en faillite en Angleterre et à Bagdad, Gertrude a pris trop de place, « elle sait trop de choses et connaît trop de monde ».
« [...] Gertrude et Lawrence s’approprièrent ingénument des choses qui ne leur étaient pas dues, des entreprises politiques dont ils n’étaient que les exécutants. [...] Gertrude et Lawrence s’étaient livrés au Grand Jeu. Il les avait éloignés du réel, de leur naissance, de leur milieu, de leur identité : de la condition humaine, qui les incommodait. »
Une page de l’Histoire doit être tournée et, tout comme Lawrence d’Arabie, elle sera mise à l’écart. Avant de s’éteindre à Bagdad le 12 juillet 1926, Miss Bell conclura : « Je ne me mêlerai plus jamais de fabriquer des rois. C’est trop fatigant ».
Paru le 14/08/2024
409 pages
Grasset & Fasquelle
23,00 €
1 Commentaire
Suzana
24/09/2024 à 12:41
Ler os Sete Pilares da Sabedoria de TEL, amigo de GB.