#Livresdanslaboucle2024 — Il y a la Maison Victor Hugo de Paris, occupé par le maître de 1832 à 1848, il y la Hauteville House, maison d’exil de l'auteur sur l'île anglo-normande de Guernesey, mais connaissez-vous sa maison natale ? Elle est située 140 Grande Rue, à Besançon, à quelques encablures de la Cathédrale Saint-Jean et de l'ancienne citadelle.
Le 20/09/2024 à 17:58 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
20/09/2024 à 17:58
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Alors dans Besançon, vieille ville espagnole jetée comme la graine au gré de l'air qui vole, naquit d'un sang breton et lorrain à la fois un enfant sans couleur, sans regard et sans voix.
- Victor Hugo, Ce siècle avait deux ans, Les Feuilles d'automne, 1831
En 1801, Léopold Hugo, alors chef de bataillon, rejoint avec sa famille la 20e demi-brigade stationnée à Besançon. Avec lui, sa femme enceinte, Sophie Trébuchet, et leurs deux fils, Abel et Eugène. Victor Hugo voit le jour le 26 février 1802 à 22h30, sous les auspices de son parrain, le général Victor Fanneau de Lahorie, et de sa marraine, la locale Marie-Anne Delélée.
À peine six semaines plus tard, les Hugo se voient contraints de quitter Besançon précipitamment, suite à un conflit entre Léopold et son supérieur. La famille se dirige alors vers Marseille. L'acte de naissance de Victor ne spécifiant pas d'adresse, le lieu exact de sa naissance est resté longtemps sujet à controverse. En 1845, le jeune Gustave Flaubert, visitant la prétendue maison natale de l'écrivain déjà renommé, en offre une description précise dans ses Carnets de voyage, la situant au n° 140 du rond de Saint-Quentin, aujourd'hui Grande Rue.
L'intérieur de cette demeure en 1802 étant peu documenté, aucune reconstitution fidèle n'a été tentée. Seul un fragment de papier peint, retrouvé parmi les collections de la Maison Victor Hugo à Paris et supposé provenir de cette résidence, orne aujourd'hui les murs de l'alcôve reconstituée, témoignant d'une époque révolue.
Si le grand écrivain et homme politique français a donc, certes, quitté la ville à l'âge de six semaines, et n’y est jamais retourné, il signait ses premières odes « Victor Hugo de Besançon ». Cette connexion se reflète dans ses œuvres à travers les origines de certains personnages et de nombreuses références directes : Besançon est mentionnée dans Les Feuilles d'automne et La Légende des siècles, les fruitières de Pontarlier figurent dans Les Misérables, et il cite « Et toute la Comté » dans le discours célèbre de Ruy Blas aux ministres.
En outre, Victor Hugo, bien que revendiquant parfois ses racines franc-comtoises grâce à sa grand-mère paternelle née à Dole, se sentait surtout bisontin à travers son ami et compatriote Charles Nodier, qui est né dans la maison d'en face et l'a introduit dans le premier cénacle romantique. Au sein de ce groupe, il fréquente également l'érudit bibliothécaire Charles Weiss et le député du Doubs Émonin, participe à plusieurs dîners avec des personnalités franc-comtoises et est finalement élu membre associé de l'Académie de Besançon.
Dans sa correspondance, Victor Hugo échange avec plusieurs Francs-Comtois, soutenant parfois des figures telles que Jean Petit, le sculpteur bisontin du buste de Nodier, le peintre Gustave Courbet, qui souhaite réaliser son portrait, et Max Buchon, le poète de Salins qui lui envoie ses Poésies comtoises à Guernesey. Toutefois, ses relations avec ses compatriotes, dont certains furent déçus de ne jamais recevoir sa visite, ont été complexes. Nodier et Weiss, ainsi que la majorité du public bisontin, bien que d'abord émerveillés par les œuvres de jeunesse du poète royaliste, ont eu du mal à accepter son virage vers le romantisme à partir des années 1830, particulièrement au théâtre.
Entre Proudhon, qui s'oriente vers l'anarchisme, et Victor Hugo, qui devient républicain, persiste une incompréhension mutuelle entre deux des enfants les plus célèbres de la ville...
Contrairement aux autres "maisons" Victor Hugo, celle de Besançon, ouverte en septembre 2013, ne se veut ni un musée traditionnel ni un lieu de mémoire classique. Sa spécificité ? Mettre en avant les engagements et les luttes de l'écrivain engagé, au regard des combats d'aujourd'hui. L'idée : montrer que les thèmes du grand auteur national sont plus que jamais d'actualité. Dans l'unique lettre envoyée aux habitants de Besançon, en 1880, Victor Hugo se définissait comme « une pierre de la route où marche l'humanité ».
Pour ce faire, la Maison Victor Hugo de Besançon, parrainée par le regretté Robert Badinter, autre humaniste, offre une scénographie qui fait la part belle au multimédia.
Quatre salles, et de nombreuses thématiques : Victor Hugo et la Liberté, la question de l'Enfance, Le Pouvoir, La Justice, La Fraternité, La Misère, Le Monde.. À travers ses oeuvres, ses paroles publiques, ses personnages, ou encore ses engagements politiques, mis en parallèle avec Reporter Sans Frontières, l'Unicef, ATD Quart Monde, et Amnesty International.
Sensible aux mouvements d'émancipation qui marquent le XIXe siècle, Victor Hugo s'est élevé contre le despotisme et a défendu le droit des peuples à l'autodétermination. À travers ses écrits, il soutient les insurrections en Pologne sous joug russe et autrichien, ainsi que celles en Grèce, en Crète et en Serbie, opprimées par l'Empire Ottoman, et à Cuba où l'insurrection fut sévèrement réprimée par les gouverneurs espagnols en 1870.
Il a également apporté son soutien indéfectible à Giuseppe Garibaldi dans sa lutte pour une République italienne et a encouragé les Mexicains à résister contre l'intervention française de Napoléon III en 1863. Consistant dans son opposition à la peine de mort, Hugo a réussi à sauver des condamnés en Belgique, en Irlande, et en Russie. Il a milité pour l'abolition de la peine de mort en Suisse et s'est félicité de son abolition en Colombie en 1863 et au Portugal en 1867.
En 1870, malgré son appel à la fraternité et à la paix face à l'armée allemande approchant de Paris, il ne parvient pas à empêcher la guerre. Il a également dénoncé avec force le pillage et la destruction du Palais d'Été à Pékin par les troupes anglo-françaises en 1860.
Dans son premier roman, Bug-Jargal, écrit à l'âge de 17 ans, il narre la révolte des esclaves à Saint-Domingue en 1791. Proche de Victor Schoelcher, figure clé de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848, il a soutenu les mouvements anti-esclavagistes aux États-Unis, en Espagne, et au Brésil. Toutefois, sa vision reste empreinte des stéréotypes de son époque, particulièrement dans son discours sur l'Afrique en 1879, où il justifie la conquête coloniale au nom de la civilisation occidentale. Néanmoins, les atrocités de la colonisation française en Algérie et le traitement brutal des populations rebelles lui ont ouvert les yeux sur une réalité coloniale plus cruelle que civilisatrice.
Pour l'écrivain, la lutte pour la liberté des peuples transcende les frontières de la France. Il est convaincu que la stabilité de la République est menacée tant qu'elle est entourée d'empires et de monarchies. Il est parmi les premiers à imaginer une union des nations européennes, qu’il nomme « les États-Unis d'Europe ». Il envisage cette union non seulement comme une entité monétaire et culturelle, mais aussi comme un prérequis essentiel à la paix entre les nations, en particulier entre l'Allemagne et la France le long du Rhin.
Le 14 juillet 1870, dans un contexte de fragilité impériale, il manifeste symboliquement son espoir pour cette union en plantant un « chêne des États-Unis d'Europe », dans le jardin de sa maison, celle de son île du bout de la terre de Guernesey...
La maison Victor Hugo de Besançon accueillera ce samedi 21 septembre à 11 heures, une discussion entre les auteurs Sonja Delzongle, Océane Perona et Justin Morin, à l'occasion du Festival Livres dans la Boucle. Le thème ? Enquêtes : Trois sombres univers...
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
DOSSIER - Livres dans la boucle : Besançon au coeur de la rentrée littéraire
1 Commentaire
Boris le facteur 813
21/09/2024 à 16:22
Beau travail, très fouillé et très juste concernant les aspirations politiques du grand Victor.