Émile Lansman est « entremetteur culturel et consultant en théâtre jeunes publics ». Mais il officie également en tant qu'éditeur théâtral honoraire et fondateur de Lansman Éditeur. A ce titre, il adresse à ActuaLitté un texte quelque peu alarmiste.
Le 16/09/2024 à 14:48 par Auteur invité
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Publié le :
16/09/2024 à 14:48
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Depuis quelque temps circulent des rumeurs sur la possible dissolution de l’association sans but lucratif Émile & Cie qui gère depuis 2012 les publications du label Lansman Éditeur. Je tiens, en cette rentrée de septembre, à confirmer que, aussi triste et inattendue qu’elle puisse paraître, l’information est exacte.
La « niche éditoriale » du théâtre contemporain a, de tous temps, été considérée comme difficile et non rentable. Pour preuve, les « majors » de l’édition francophone, à de rares exceptions près, l’ont complètement abandonnée depuis les années 70. Positionné entre littérature et théâtre et victime de nombreux préjugés selon lesquels « le théâtre ne se lit pas », ce créneau ne bénéficie pas non plus, en France et en Belgique pour des raisons trop longues à expliquer ici, des justes retours financiers liés à la représentation sur scène des textes publiés.
Depuis 1989, Lansman Éditeur (d’abord sous statut d’indépendant en fonction accessoire puis sous couvert de cette association sans but lucratif) a bravé ces préjugés et réussi son pari en publiant 1425 livres, soit environ 3250 pièces écrites par plus de 400 auteur(e)s d’un peu partout en Francophonie, en consacrant une place importante au théâtre à lire et à jouer par et pour les jeunes. J'ai ainsi personnellement le sentiment d'avoir, depuis 35 ans et avec d'autres, favorisé l'image positive de la création wallonne et bruxelloise, et plus largement francophone.
Basée sur la conjonction du travail de quelques permanents et de bénévoles, la réussite internationale rapide de la maison repose évidemment sur les contacts que j'ai pu établir dans le cadre de mes propres fonctions professionnelles et missions au sein des mouvances théâtrales et littéraires.
Mais aussi sur la recherche permanente d'un équilibre (toujours précaire) entre l'ambition du projet et les moyens financiers disponibles basés sur les ventes d'ouvrages (surtout en France), les partenariats culturels et artistiques, quelques apports occasionnels publics et privés (notamment l'AWEX et WBI, la Province de Hainaut, le CED- WB, la SSA en Suisse, le CNL et Beaumarchais/SACD en France) et surtout la subvention récurrente accordée par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le cadre de conventions pluriannuelles successives.
En 2021 et 2022, nous avons bénéficié d'aides complémentaires des pouvoirs publics pour faire face aux conséquences désastreuses de l'épidémie de COVID, des hausses de prix de tous types et surtout de l'indexation (légitime) des salaires. Merci ! En 2023, et même si ces augmentations étaient irréversibles, nous en sommes revenus au montant normal de la subvention de base (75.000 €), devant puiser dans nos « provisions ciblées » pour combler le déficit.
En 2024, une nouvelle convention de 5 ans était prévue et, naïvement, nous pensions que nous pourrions bénéficier d'une progression générale de 15 % annoncée publiquement par la ministre en fonction. Nous avons donc élaboré et adopté, au dernier trimestre 2023, un programme éditorial en conséquence, prudent mais généreux envers de nouveaux auteurs (entre autres belges) afin de le mettre en chantier dès janvier 2024.
Hélas, fin mars, il nous a été annoncé (avec effet rétroactif donc) que notre subvention serait réduite de 20 % par rapport au montant de base de la précédente convention (sans tenir compte de la forte évolution de l'index), soit une aide INFÉRIEURE à ce que nous recevions déjà en 2017 ou, de manière plus édifiante encore, représentant une baisse de près de 40 % par rapport à l'année 2022 et ses apports complémentaires. Le tout assorti d'obligations en progression entre autres quant au nombre minimal de titres par an et au versement d'à-valoir aux auteurs, obligation ni légale ni généralisée dans le milieu de l'édition théâtrale.
À la suite de quoi, malgré toute la bonne volonté de l'équipe et de notre organe d'administration, nous ne sommes pas parvenus à établir en mai un budget équilibré pour l'année 2024. Même en limitant au maximum les dépenses (celles maintenues sont incompressibles) et en récupérant nos dernières provisions (renonçant du même coup par exemple à la modernisation de notre site pourtant essentielle).
Il nous manque 25.000 € pour boucler ce budget. Et les perspectives pour les prochaines années sont encore plus pessimistes car toute diminution de dépenses entraînera automatiquement l'équivalent en recettes. Sans parler de l'impossibilité matérielle de réduire l'équipe (moins de deux temps pleins) compte tenu de la législation en matière de préavis mais aussi du sabordage à moyen terme qu'entraînerait cette décision.
Conséquence de ce déséquilibre budgétaire : si nous devons cesser nos activités au 31 décembre 2024, ce sont plus de 400 auteurs qui verront tout ou partie de leurs œuvres non disponibles sans perspective sérieuse de les voir reparaître ailleurs dans la plupart des cas.
C'est un patrimoine collectif et individuel qui disparaîtra, un patrimoine dont la gestion au quotidien est de plus en plus exigeante en temps, en énergie et en argent, ne fût-ce que pour le stockage et les réimpressions. En effet, les livres de théâtre ont une durée de vie bien plus longue que pour d'autres genres littéraires (hors des gros succès commerciaux) ; plus de 1200 titres sont encore actifs aujourd'hui dans notre catalogue et des ouvrages publiés il y a 30 ans se vendent encore, certes de manière homéopathique, dans l'attente d'un regain d'intérêt par la création d'une nouvelle version... qui ne voit en général le jour que parce que l'édition du texte a permis sa pérennisation.
Or, dans le calcul des subventions, on ne tient compte que des nouveautés, ce qui est profondément injuste. Nos édiles et leurs services administratifs sont-ils conscients que leur décision (quels que soient le cadre et les règlements qui la justifient et que nous actons) va, en l'état, rayer d'un trait une importante part des titres disponibles en français d'auteurs comme Jean Louvet, Éric Durnez, Céline Delbecq, Thierry Debroux, Paul Emond, Jean-Pierre Dopagne (pour ne citer que quelques Belges) ? Mais aussi notamment du Prix Nobel chinois Gao Xingjian (que nous étions les premiers à publier en Occident) ou de Sony Labou Tansi, auteur majeur et référentiel de l'Histoire de l'écriture dramatique francophone (africaine) ?
J'ajouterai encore un détail non négligeable : après 35 ans de bénévolat à la tête de ce projet conçu avec feu mon épouse Annick (je fêterai discrètement - seul s'il le faut - l'anniversaire en novembre, quoi qu'il arrive d'ici là), j'avais décidé de prendre du recul fin 2024 : plus de 1400 ouvrages passés par mon ordinateur pour leur mise en page en complicité avec les auteurs, cela me semble un bilan « respectable ». J'en avais fait l'annonce à l'équipe.
Hélas, pas de salaire (c'est la définition du bénévolat) à transmettre, donc cette équipe savait depuis l'an dernier qu'elle devrait prendre seule le relais ; elle était prête à tenter de relever le défi (avec mon soutien quelque temps encore et celui d'autres bénévoles). Mais nous ne pouvions deviner, ensemble, que ce serait dans de telles circonstances qui ne faciliteront rien.
Voilà. La balle n'est plus dans mon camp et, d'une certaine manière, la suite ne m'appartient plus. Elle relève dorénavant d'une éventuelle révision à la hausse de notre convention avec la Fédération Wallonie- Bruxelles, mais aussi d'autres soutiens qui pourraient être accordés à l'association.
Merci à ceux et celles qui, en concertation avec notre équipe*, tenteront de faire entendre leur voix et d'agir pour trouver rapidement des solutions qui permettraient de maintenir le cap. Car il ne s'agit certainement pas de « sauver le soldat Émile ». J'ai fait mon temps et j'ai apprécié les signes de reconnaissance reçus au cours de mon parcours. Je continuerai d'ailleurs à titre individuel à répondre aux sollicitations d'interventions de tout type, comme je le fais depuis plus de 50 ans.
Ce dont il est question, c'est de sauver (ou non) de la déchetterie des œuvres constituant un patrimoine culturel international d'auteurs décédés, encore vivants au parcours reconnu, ou au contraire venant récemment d'apporter leurs premières pierres à l'édifice. Une catégorie à laquelle je tiens particulièrement puisque notre politique a toujours fait la part belle (et c'est encore le cas en 2024) aux « premières impressions ».
*Pour prendre contact : emile.et.cie@gmail.com + en CC info.lansman@gmail.com
Émile Lansman
Crédits photo : Lansman Éditeur
6 Commentaires
Hélène J.
17/09/2024 à 11:10
Bonjour,
L'IMEC (Institut Mémoires de l'édition contemporaine) pourrait-il apporter son aide ?
https://www.imec-archives.com/
Lansman Editeur
17/09/2024 à 15:35
Merci. Je vais me renseigner.
Bien à vous
Edco
17/09/2024 à 12:43
Lancez une cagnotte en ligne relayée,...
Lansman Editeur
17/09/2024 à 15:39
Bonjour.
Nous y avons pensé mais il nous semble que toutes les autres options doivent être épuisées pour décider de "mendier" notre survie. D'autant qu'il s'agira d'un coup unique qui ne règle rien pour les prochaines années. De toute façon, on peut déjà nous aider en achetant nos ouvrages. Certaines bibliothèques et écoles sont déjà passés à l'acte, de même que des particuliers. Directement via notre site : https://lansman.org/editions/actualite.php?session=&actu=398.
Car oui, hélas, notre distributeur en France Dod&Cie a aussi été piraté, de qui n'arranger rien !
Merci et bien à vous.
L'équipe
Edco
17/09/2024 à 17:38
Oui , bien sûr , mais chaque année , bon nombre de gens donnent à la Fondation de patrimoine, et donc cela en fait partie en somme.
Pas de scrupule à ..... solliciter ( pas mendier.....) 🤔 Bien à vous
EDOUARD VANDEWALLE
22/09/2024 à 18:24
C'est tout simplement honteux. Ce pays n'a jamais reconnu la culture vivante, les théâtres lourdement subventionnés vont faire leur marché à Paris ou ailleurs, nos comédiens survivent grâce au chômage tandis qu'on achète nos oeuvres d'art à l'étranger (Arne Quinze) dont on vient de démolir le bric à brac de Mons, acquis pour flatter l'ego d'une ordure politique.
Léopold II avait raison quand, parlant de la Belgique, il disait 'petit pays, petites gens, petites idées'.
Ce pays m'a toujours dégouté par sa bassesse, enracinée dans le petit, le mesquin, l'égoïsme...je suis gêné d'être belge quand je lis cela.