En octobre 2023 étaient lancés des États généraux de l’information (EGI), afin d'avancer « des propositions susceptibles de moderniser le cadre légal qui protège la liberté d’opinion et l’indépendance des médias dans notre pays ». Bien que ne faisant pas partie du secteur des médias, le Conseil permanent des écrivains (CPE) y avait vu l'occasion de porter des réformes majeures en faveur des auteurs et du pluralisme. Finalement, l’édition de livre n'a pas été prise en compte par les cinq groupes de travail des EGI...
Le 12/09/2024 à 18:32 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
12/09/2024 à 18:32
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L'objectif de cette quinzaine d'organisations représentant plusieurs dizaines de milliers d'auteurs du livre et de l'image ? Porter des mesures qui préserveraient l'autonomie des auteurs et s'opposeraient aux abus de position dominante dans l'édition.
Suivez mon regard : deux groupes, Hachette et Editis, et en arrière-plan, deux milliardaires, Vincent Bolloré et Daniel Křetínský, qui bâtissent en parallèle des empires éditoriaux et médiatiques, suscitant de vives inquiétudes chez les concurrents, mais également parmi les auteurs, qui redoutent une menace sur la liberté et la diversité éditoriales. Vincent Bolloré, dont les positions idéologiques penchent à droite, on le sait, accompagne ses acquisitions successives de médias – ITélé devenu CNews, Europe 1, et plus récemment Le Journal du Dimanche – d'une ligne conservatrice marquée, qui divise largement.
Afin de justifier leur requête, soit d'intégrer le secteur aux EGI, la CPE avait mis en évidence qu’une part importante de la production littéraire contribue à l’information libre du public. En outre, avec Hachette et Editis, il existe à présent une convergence entre le secteur de l’édition et des médias. L'arrivée prochaine de Réel TV, portée par CMI France, ne fait que valider cette analyse.
Parmi les mesures proposées, la création d’une « clause de conscience ». Pratiquement, il aurait fallu inclure le secteur de l'édition dans la législation limitant la concentration des médias. La loi relative à la liberté de communication de 1986, dite loi Léotard, impose notamment des restrictions à la propriété croisée des médias : une entreprise de télévision ne peut pas détenir plus qu’un certain pourcentage d’une entreprise de radio, et inversement. L'objectif de cette loi est d'assurer la diversité des sources d’information pour les citoyens et d'éviter des situations de monopole pouvant nuire au débat démocratique.
C’est l’Arcom, anciennement le CSA, qui est chargée de son application. Elle veille à la diversité des opérateurs et à une répartition équitable des fréquences. Par exemple, une même personne ou entreprise ne peut pas posséder des chaînes de télévision cumulant plus qu’un certain pourcentage de l’audience nationale. De même, un opérateur ne peut détenir plus de sept licences de radio FM dans une même zone ou plus de trois licences si cela couvre une population de plus de 150 millions de personnes.
Des dispositions existent également pour empêcher qu’une même entité contrôle simultanément un quotidien de presse régionale, une chaîne de télévision et une station de radio couvrant le même périmètre local. L’émergence des médias numériques et des plateformes en ligne a conduit certains observateurs à plaider pour une réforme de cette loi, jugée trop ancrée dans le contexte des années 1980-1990, voire des années 2000.
Une autre revendication, dont bénéficient déjà les journalistes, concerne l’adaptation des spécificités du contrat d’édition. Il s’agirait d’introduire un droit de résiliation pour les auteurs en cas de changement d’actionnariat, notamment si le nouvel actionnaire adopte des orientations idéologiques contraires à leurs convictions. Le statut de journaliste professionnel, instauré par la loi Brachard en 1935, inclut une clause de conscience et une clause de cession. Ces mécanismes limitent – dans une certaine mesure – l'influence des propriétaires des journaux sur la ligne éditoriale et la rédaction.
En ce qui concerne le contrat d’édition, qui couvre la cession des droits, la durée, les conditions de rupture, les droits moraux, et les modalités de cession à des tiers, il est impossible, en l'état, d'appliquer directement la clause de conscience des journalistes à ce secteur. Cependant, l'idée serait de s'en inspirer et de l'adapter aux spécificités des auteurs.
En août 2023, le Syndicat national du livre et de l’édition (SNLE-CFDT), qui représente les salariés du secteur, avait également profité des premières requêtes adressées par la CFDT Journalistes à Rima Abdul-Malak, alors ministre de la Culture, Bruno Lasserre, président des États généraux, et le regretté Christophe Deloire, délégué général, pour ajouter une demande spécifique : « La création d’un statut d’éditeur de livres professionnel, aligné sur celui de journaliste professionnel, afin de garantir l’indépendance de ce métier. »
Le statut d'éditeur de livres professionnel proposé par la CFDT aurait inclus, lui aussi, une clause de cession. Celle-ci aurait permis à un salarié d’une structure de la quitter en cas de revente, tout en bénéficiant d'indemnités de licenciement. En résumé, cela aurait donné la possibilité de ne pas travailler pour un employeur dont on ne partage pas les convictions ou la vision.
Contacté par ActuaLitté, SNLE-CFDT réagit à la non prise en compte du secteur du livre par les groupes de travail des EGI : « Le problème est assez simple puisque les EGI ont refusé d’intégrer l’édition de livre dans le périmètre de la réflexion, contrairement à notre demande. Donc, nous pensons qu’il s’agit d’une occasion manquée au moment où le livre attire la convoitise des grands groupes de média, qui n’hésitent pas à se comporter avec certaines maisons (Plon, Fayard) comme avec les journaux d’information sur lesquels ils mettent la main. »
La SGDL nous explique de son côté avoir fait connaître aux autorités publiques son étonnement, quant au choix d'exclure la question de la concentration dans le secteur du livre du périmètre des discussions. Elle a transmis aux organisateurs des EGI les éléments qu'elle aurait souhaité voir pris en compte dans les débats.
Le rapport, rendu public ce 12 septembre, est en effet formel : « Toute information est donc diffusée par un média dont elle est indissociable, mais tout média n’a pas nécessairement vocation à diffuser exclusivement des informations. Ainsi à l’intérieur des médias ainsi définis, de manière très large, tous n’entrent pas dans le champ de la réflexion du groupe de travail n°5 des États généraux de l’information. Le cinéma, le livre, les jeux vidéo, les services audiovisuels à la demande, sont des médias qui n’entrent pas directement dans notre périmètre. » Cette citation, tirée d'un groupe de travail, a visiblement été la règle pour tous les EGI.
Lors du lancement des États généraux de l'information, Christophe Deloire, alors secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), avait déclaré : « Notre objectif, c’est d’aboutir à un plan d’action pour la France sur toutes les questions relatives à l’espace informationnel. » Il avait identifié dix priorités, notamment la protection du secret des sources et la modernisation des règles de pluralisme et de concentration des médias.
Près d’un an plus tard, après la mort de ce dernier en juin et la démission de Bruno Lasserre en janvier, qui faisait face à un procès pour complicité de harcèlement moral, Bruno Patino, président d'Arte, a pris la direction du comité de pilotage.
Le rapport final propose deux recommandations et quinze mesures. Bruno Patino, lors de sa présentation, a revendiqué un « équilibre entre la liberté de s’informer et celle d’entreprendre ». Les propositions s’appuient sur des lois existantes, comme la loi Pacte et la loi Bloche, et privilégient des suggestions plutôt que des mesures contraignantes. En matière de concentration des médias, le rapport propose une régulation basée sur l’influence et la diversité des contenus.
Plus précisément, la mise en place de comités d’éthique et une consultation des rédactions lors de la nomination d’un nouveau directeur, ont été avancés, sans droit de veto pour les journalistes. Concernant la concentration des médias, une nouvelle régulation basée sur le « pouvoir d’influence » des médias est suggérée. Le rapport recommande encore, entre autres, une contribution obligatoire des plateformes numériques et met l’accent sur l'éducation aux médias pour lutter contre la désinformation.
Si Thibaut Bruttin de RSF salue un modèle « ambitieux », des critiques émergent déjà, notamment de la présidente de Mediapart, Carine Fouteau, qui dénonce des propositions « d’une fadeur extrême ».
Ci-dessous, une synthèse des propositions des EGI :
Crédits photo : Domaine public (Pexels)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
1 Commentaire
andré droulin
13/09/2024 à 13:03
Heureusement Éric Neaulleau va nous sortir de ce bourbier mon commandant !