Victime pas vraiment colla†érale, le commissaire Jim Gordon a subi plus qu'à son tour les farces mortelles du Joker. Et le scénariste James Tynion IV, reconnu pour son travail sur Batman et Something is Killing the Children, s'emploie à confronter les deux personnages. Quête morale, horreur psychologique et instincts meurtriers : souriez, le clown est là.
L’histoire se déroule après les événements tragiques de l’attaque de l’Asile d’Arkham orchestrée par le Joker, où une grande partie des criminels et des gardiens trouvent la mort. Jim Gordon, l’ancien commissaire de Gotham, devenu un vétéran désabusé, se retrouve chargé d’une mission particulièrement délicate : traquer le Joker... et l’éliminer pour une somme colossale.
C’est que cet attentat dévastateur contre les pensionnaires de l’asile a rompu une règle absolue entre criminels : pas d’assassinats gratuits. De quoi placer le Clown Prince du Crime en tête de la liste des personnes à abattre.
Gordon, traumatisé par son lien avec le criminel (agression de sa fille, lui-même torturé dans un parc d’attractions, et j’en passe et j’en oublie), mène une chasse qui n’est pas simplement un enchaînement de voyages et de recherches de preuves. Elle s’opère avant tout à travers une introspection psychologique.
Ce choix narratif, mettant Gordon au centre, confère à l’histoire un aspect rare dans les comics de super-vilains. Le policier en quête de rédemption se retrouve en proie avec ses propres démons intérieurs, tandis que ses convictions éthiques volent en éclat face à la violence. Quant à son rapport à la justice, il est passablement chahuté.
Comble : le Joker n’apparaît que sporadiquement dans l’intrigue, jouant le rôle d’un antagoniste fantomatique, surgissant surtout dans des flash-back, des cauchemars – des moments narratifs où il exacerbera les traumas de Gordon.
Entre le retraité et l’ombre menaçante, l’aspect le plus fascinant de cette œuvre réside dans la manière dont Tynion dépeint cette lutte morale et les dilemmes éthiques de Gordon face à un ennemi qui ne suit aucune règle.
Le style visuel de la série, porté par Guillem March, joue un rôle essentiel dans cette tension permanente : l’esthétique de Joker Infinite est marquée par une utilisation intense de l’horreur graphique. Le Joker, avec son visage déformé et ses rires sinistres, est représenté sous un jour cauchemardesque, un être insaisissable à la frontière du mythe (terrifiant, va sans dire) et de la réalité.
March met l’accent sur des gros plans saisissants de son visage, où son sourire grotesque et ses yeux démesurés reflètent la menace latente qu’il représente. Ce contraste entre l’apparence humaine et le monstre intérieur du Joker est une signature de l’œuvre de Tynion et March.
Or, cette angoisse, c’est avant tout Gordon qui nous la communique : les exactions du Joker, d’accord, mais la manière dont il hante chaque instant de la vie de Gordon, depuis des années, voilà qui accentue notablement l’ambiance.
L’usage des ombres et des couleurs par Arif Prianto renforce cette atmosphère oppressante. Les scènes impliquant Gordon sont souvent baignées dans des teintes sombres et grisâtres, traduisant son état psychologique chaotique. En revanche, lorsque le Joker intervient, des touches de couleurs plus vives et contrastées, comme le vert et le violet de son costume, surgissent, soulignant le caractère irréel et cauchemardesque du personnage.
Un autre point marquant du graphisme réside dans la fluidité des séquences d’action. Que ce soit lors des confrontations entre Gordon et les nombreux ennemis à ses trousses, ou les flash-back traumatiques du Joker, chaque plan est minutieusement détaillé pour perturber le lecteur. L’esthétique du corps déformé du Joker renforce cette idée qu’il est une figure presque surnaturelle, une ombre pesant sur la psyché de Gordon.
Enfin, le découpage narratif utilise efficacement le médium de la bande dessinée pour renforcer la confusion mentale du personnage principal. Le gaufrier est chaotique, explosé tandis que les scènes de violence, bien qu’occasionnelles, sont d’une brutalité marquante.
Malgré la profondeur du récit, la série n’est pas exempte de défauts. Certains critiqueront des choix narratifs moins percutants, notamment ces insertions de récits secondaires, portant sur la jeunesse de Gordon. Un point que l’on retrouvait déjà dans Joker L’homme qui cessa de rire : graphiquement, c’était bien plus marqué et la mise en abyme de ces récits secondaires s’opérait sur moins de pages. Le récit principal gagnait en respiration, sans perdre de son rythme.
Ici, cela casse parfois le rythme de l’intrigue principale et n’apporte pas toujours d’éléments indispensables au récit.
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Mais ce récit qui s’éloigne du simple affrontement entre Batman et le Joker pour plonger dans une enquête criminelle angoissante centrée sur Gordon ouvre une fenêtre tout à la fois inédite et bien connue de l’univers du Chevalier Noir.
Soutenue par une esthétique sombre et un graphisme frappant, cette œuvre montre que le Joker est aussi dangereux par sa capacité à hanter l’esprit de ses ennemis que par ses actions criminelles. C’est une lecture indispensable pour les amateurs de récits plus psychologiques et introspectifs dans l’univers de Gotham.
(Les extraits sont tirés de Joker Infinite tome 1)
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