#PrixDeuxMagots2024 - Les anniversaires se suivent pour le café des écrivains : l'année dernière, on célébrait les 90 ans d'existence du Prix des Deux Magots, cette année, c'est la brasserie qui l'accueille depuis si longtemps, qui célèbre ses 140 ans d'existence. ActuaLitté a rencontré la présidente de l'auguste lieu pour qu'elle nous raconte son Deux Magots. L'occasion d'en savoir plus sur celle qui est aussi une grande lectrice.
Le 16/09/2024 à 15:08 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
16/09/2024 à 15:08
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Les Deux Magots est une affaire de famille depuis 1914, et Catherine Mathivat représente la quatrième génération à porter ce café emblématique de Saint-Germain-des-Prés.
Elle nous raconte : « J'ai grandi avec le café historique, du fait que l'appartement de mes grands-parents était situé juste au-dessus. Dès mon enfance, quand j'allais les voir avec mes parents, j'étais constamment dans la salle, observant l'évolution de la clientèle et le va-et-vient des serveurs. J'ai été immergée dans cette atmosphère, et ai pu assister à plusieurs remises du Prix des Deux Magots tôt. »
Catherine Mathivat a pris officiellement le rôle de directrice générale des Deux Magots en 1993, et, en 2012, elle a succédé à son père pour en devenir la présidente. Aucune formation en hôtellerie ou littéraire, mais en commerce, avec quelques années passées dans un cabinet comptable, afin de s'aguerrir aux aspects techniques de la gestion du café.
Mais fort heureusement, l'amour de la littérature ne passe que rarement par l'école et ses ordres, surtout quand on côtoie des figures du monde des lettres dès son plus jeune âge : « Bien que je n'aie jamais eu l'occasion de rencontrer des figures emblématiques comme Sartre ou Beauvoir durant ces week-ends passés chez mes grands-parents, j'ai avec le temps forgé des liens étroits avec plusieurs membres influents de la communauté littéraire. Après le décès de mon grand-père par exemple, Jean-Paul Caracalla, qui était alors le président du jury, est devenu une figure tutélaire de substitution pour moi. »
Avant, le café des écrivains, c'était Mallarmé, Louis Aragon, Jacques Prévert, Boris Vian, Albert Camus, Ernest Hemingway, Alfred Jarry... Aujourd'hui, David Foenkinos, Bernard Werber, Guillaume Musso, ou Éric Emmanuel Schmitt : « Le café demeure un lieu de mémoire des grands noms qui l'ont côtoyé. Les touristes et les amateurs de littérature viennent ici en quête d'inspiration, ou simplement pour se dire qu'ils ont partagé l'espace autrefois occupé par ces géants littéraires », constate Catherine Mathivat.
Son objectif, en tant que dirigeante, continuer à transmettre la vocation littéraire du café : « En tant que propriétaire, j'ai pleinement conscience de cette dimension. L'ambiance livresque est particulièrement marquée en hiver, lorsque la section bibliothèque des vérandas sur le boulevard prend toute son ampleur. On peut aussi évoquer le Lundi des Écrivains, où une trentaine de personnes se rassemblent dans une atmosphère intime sur notre petite terrasse, et rencontrent un auteur pour discuter de son dernier ouvrage, ou du processus d'écriture, l'occasion d'un échange direct et personnel. »
Mais aussi en lançant d'autres prix littéraires que l'historique : le Prix Pelléas, créé en 1997, qui récompense « l'ouvrage sur la musique aux plus belles qualités littéraires », et qui a été remporté en 2023 par Charles Roquin pour son Maîtres de Bayreuth, et le « Goncourt de la Poésie », le Prix Apollinaire, qui sacre annuellement son lauréat entre les murs du café de Saint-Germain-des-Prés. Plus généralement : « Ici, les gens peuvent venir pour lire ou pour écrire leur futur roman, profitant d'un cadre inspirant et chargé d'histoire. C’est ce caractère unique qui fait des Deux Magots un lieu si spécial », décrit Catherine Mathivat.
Depuis 1993, cette dernière assiste aux délibérations du prix, ce qui lui a permis de rencontrer de nombreux lauréats au fil des années, de fréquenter les membres du jury, comme de découvrir les œuvres récompensées. Des interactions régulières qui ont enrichi son horizon littéraire : « Chaque année, je me fais un devoir de lire au moins le livre du lauréat, et j'essaie également de lire quelques-uns des titres de la première liste », nous assure Catherine Mathivat.
Parmi tous les ouvrages honorés par les Deux Magots, des coups de coeur ? « Nous Serons Comme des Dieux d’Eve de Castro, Prix 1997, qui raconte les amours sulfureux de Philippe d'Orléans. Un autre texte qui m'a marqué, lauréat plus ancien, de 1965, est Les Pierres sauvages de Fernand Pouillon, qui narre la construction de l’abbaye du Thoronet au XIIe siècle. » Le seul roman de son auteur, un des architectes et urbanistes français les plus importants de l’après-guerre, rédigé en prison après des accusations de faux bilan, détournement de fonds et abus de biens sociaux... Il y propose une réflexion sur l’architecture, et, à travers cet art, sur la création.
Mais aussi Le Portail de François Bizot, prix 2001, où il décrit sa captivité durant la guerre en Indochine, ou La Chambre des Officiers de Marc Dugain, prix 1999. « Ce sont des œuvres qui m’ont profondément marqué par leur intensité. »
On l'aura compris, Catherine Mathivat est une passionnée de romans historiques, du Moyen Âge à la Régence, en passant par le XXe siècle, pas de préférence dans l'absolu : « J'apprécie que la littérature soit fondée sur un socle historique solide », nous explique-t-elle, et de préciser : « Quand je lis ce genre de livres, je me retrouve littéralement transporté à l’époque dépeinte dans l'ouvrage, quand c'est réussi bien sûr. L'histoire, pour moi, est une source d'évasion. Elle me transporte dans des époques révolues, me fait vivre la construction d'une cathédrale, d'une abbaye, ou l'essor d'une ville entière. C'est comme si je traversais le temps, me retrouvant au cœur de ces grands moments de l'humanité. C'est cette capacité de l'histoire à faire rêver. » Et le roman que Catherine Mathivat apporterait sur une île déserte ?Les Fourmis de Dieu de Pierre Duhamel, qui raconte la construction de la cathédrale de Bourges.
Il ne faut en revanche pas croire que la patronne du café d'Alfred Jarry et de Simone de Beauvoir ne se limite qu'aux seuls romans historiques. Le roman policier tient également une bonne place dans ses lectures.
Une anecdote surprenante : c'est avec Germinal d'Émile Zola qu'elle a commencé à aimer la littérature, avant de dévorer d'autres pavés du pape du naturalisme... Pour cette dernière encore, rien ne vaut le livre imprimé, même si sa liseuse peut être bien pratique pour un long voyage par exemple : « Rien ne remplace le plaisir de tenir un vrai livre entre mes mains. Un livre pour moi, c'est plus qu'un texte ; c'est un objet chargé d'histoire et de texture », résume-t-elle.
Autre caractéristique de la Catherine Mathivat lectrice : « Quand je commence un livre, je m'engage à le finir, peu importe les défis que le texte peut présenter au début. Au fil des années, cette persévérance m’a souvent récompensée, me permettant de découvrir la profondeur des œuvres après des débuts parfois laborieux... » Sa routine de lecture : principalement le soir, mais toujours un livre à portée de main, glissé dans son sac, prêt à la transporter ailleurs dès qu'elle en a l’opportunité.
L’année dernière, le Prix des Deux Magots a été attribué à Guy Boley pour son roman centré sur la sœur de Nietzsche, et sa relation avec son philosophe de frère, À ma sœur et unique, « une œuvre bien écrite bien que le sujet ne soit pas de ceux qui attirent le grand public », analyse la patronne de la brasserie.
Elle y voit une force : « Le Prix des Deux Magots a toujours su mettre en lumière des personnalités littéraires originales. Des auteurs comme Antoine Blondin, Albert Simonin et son Touchez Pas au Grisbi, Sébastien Japrisot et son Été Meurtrier, et bien d’autres... Mais aussi révéler des talents, comme Serge Joncour, qui a d'abord remporté le Prix Deux Magots, avant d'avoir la carrière et la reconnaissance qu'on lui connaît. »
Pour Catherine Mathivat, c'est toujours un plaisir de les retrouver lors de la soirée annuelle du prix, où sont invités d'anciens lauréats : « Nous maintenons des contacts réguliers avec d'anciens membres du jury et lauréats, comme Adrien Goetz. »
Plus généralement, elle a vu évoluer le jury au fur et à mesure des années, avec des jurés qui ont parfois dû partir du prix à cause de l'âge, ou faute de temps suffisant pour porter au mieux leur charge : Marc Lambron, Éric Neuhoff, Éric Ollivier, Jean-Paul Caracalla... remplacés par Laurence Caracalla, Abel Quentin, Pauline Dreyfus, Jessica Nelson, Nicolas Carreau...
Elle rappelle, en outre, qu'en tant que propriétaire des Deux Magots, elle n'a pas son mot à dire : « Je ne fais pas partie du jury qui a sa propre liberté. J'assiste aux délibérations, mais je ne donne pas mon point de vue. Donc je lis des ouvrages, et je fais confiance au jury. »
Étienne de Montety : “Soyons un petit peu plus innovants, audacieux”
Et en cette année 2024, quelle ambition pour la suite du prix ? « De perdurer et d'influer toujours plus sur la littérature française. Approchant son centenaire, il entend non seulement célébrer son histoire riche de près de 90 ans mais aussi se projeter vers l'avenir. Il sert de tremplin pour les écrivains émergents et stimule l'intérêt du public pour la littérature, y compris pour des œuvres qui, à première vue, pourraient sembler moins accessibles. Cette ouverture se manifeste dans la reconnaissance d'auteurs comme Guy Boley, dont le style unique révèle toute sa splendeur une fois qu'on s'y plonge. »
Catherine Mathivat développe : « Je perçois les 140 ans des Deux Magots comme une évolution continue à travers les générations, partant d’un simple café liquoriste transformé par mon arrière-grand-père pour adopter le décor que nous connaissons aujourd'hui. Chaque génération a contribué à l'édifice de sa propre manière. Mon père, par exemple, a choisi de développer l'aspect restauration du café, une voie dans laquelle je continue à avancer. En parallèle, je travaille à l'expansion de notre marque, tant en France qu'à l'international, pour apporter un petit morceau de Paris partout dans le monde. »
Au Japon, la présence du café remonte à 1989, où a aussi été instauré un prix littéraire, le Prix Bunkamura des Deux Magots. En Arabie Saoudite, un café des Deux Magots existe depuis 2023 : « Au moment de l'inauguration inspirée par notre héritage littéraire a vu le jour, un photocall était proposé avec des pages de livres. Et pour la table, et bien que cela puisse sembler un sacrilège pour nous, des pages avaient été retirées d’un livre pour créer un chemin de table unique. Pour cette occasion, j'avais choisi Bel-Ami de Maupassant, un de mes livres favoris. » Au Brésil, l'établissement inclut également une partie bibliothèque, « soulignant notre volonté de lier culture et gastronomie, partout où nous nous installons ».
Le 2 septembre dernier, sous la direction d'Étienne de Montety, le jury du Prix des Deux Magots s'est rassemblé afin de déterminer les œuvres en lice pour la 91e édition du prix. Une sélection plus restreinte, composée de quatre à cinq finalistes, sera annoncée le lundi 23 septembre, et le ou la lauréat(e) du prix sera révélé(e) le lundi 7 octobre prochain. Le ou la gagnant(e) recevra une somme de 7700 €.
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Le jury du Prix des Deux Magots réunit Étienne de Montety, directeur du Figaro Littéraire et écrivain ; Laurence Caracalla, journaliste ; Nicolas Carreau, journaliste, chroniqueur et auteur ; Jean-Luc Coatalem, journaliste et écrivain ; Pauline Dreyfus, écrivain ; Clara Dupont-Monod, éditrice et écrivain ; Jessica Nelson, écrivain et cofondatrice des Éditions des Saints Pères ; Marianne Payot, journaliste, et Abel Quentin, écrivain.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
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