Coédité par Double ponctuation et l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, le prochain numéro de la revue Bibliodiversité sortira ce 15 octobre. Avec pour thème Précarité de l’édition indépendante. Un ouvrage collectif qui aborde le sujet à travers des témoignages inédits d’éditeurs et éditrices, des analyses universitaires et bien d’autres.
Le 30/08/2024 à 12:34 par Auteur invité
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Publié le :
30/08/2024 à 12:34
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La précarisation de l’édition indépendante ne cesse de s’aggraver. Pourtant, il est indéniable que cette dernière contribue de manière significative à la bibliodiversité. Véritables « capital-risqueuses », les maisons d’édition indépendantes repèrent les talents de demain et offrent une voix aux personnes marginalisées, bien plus que d’autres structures éditoriales. Elles jouent un rôle crucial dans la vie intellectuelle, artistique et démocratique d’un pays.
Comment peut-on mieux soutenir l’édition indépendante et les talents qu’elle défend ? Quels dispositifs, à l’image de ceux mis en place pour le cinéma en France, pourrait-on envisager pour mieux protéger la création et la diversité des productions ? À travers leurs analyses, témoignages et réflexions, les contributeurs et contributrices de ce dossier inédit présentent un ensemble de propositions concrètes pour lutter contre la précarité de l’édition indépendante.
ActuaLitté publie ici le témoignage d’Azadeh Parsapour, éditions Nogaam (Royaume-Uni, Iran), extrait de la revue.
Lorsque le Covid a frappé en 2020, je me demandais tous les jours ce qu’il se passerait si je l’attrapais et que je mourais. La réponse est simple : personne d’autre ne serait là pour poursuivre le travail de la maison d’édition ! Il y a beaucoup d’histoires similaires à la mienne… Des histoires de petites maisons d’édition qui ne reçoivent pas de soutien. Qui sont isolées. Des éditeurs et éditrices installé·es dans un pays étranger. Des éditeurs et éditrices en exil.
Je suis irano-britannique et je vis au Royaume-Uni. Je publie des livres en persan dans un pays de langue anglaise. Lorsque j’ai posé ma candidature pour devenir membre de l’Association des éditeurs britanniques, le président m’a demandé comment je vendais mes livres. Il voulait parler des canaux de vente. Je lui ai répondu que je vends des livres imprimés partout dans le monde, à l’exception de l’Iran. Pour l’Iran, nous ne publions que des livres électroniques gratuits.
Bien sûr, la diaspora peut aussi télécharger nos livres électroniques via le site web de la maison d’édition et faire un don en retour. Il s’est arrêté et a réfléchi pendant quelques secondes. J’essayais de lire dans son esprit et de me regarder à travers ses yeux : est-ce que mon entreprise est réellement viable ?
Il est certain que je suis atypique. Je dirige une entreprise, mais en même temps je suis une défenseuse de la liberté d’édition. Mon principal lectorat vit à des milliers de kilomètres de là où je suis. Le gouvernement du pays pour lequel je publie est mon ennemi, et il me considère comme telle ! Je ne suis pas la seule, d’ailleurs : nous sommes quelques maisons d’édition publiant en farsi à être disséminées dans le monde entier, la majorité se trouvant en Europe. Nous avons reçu de sérieuses menaces, nous avons été harcelés, nous avons été la cible du régime iranien en ligne et dans la vraie vie. Il faut tout d’abord parler de cette précarité-là.
Un certain nombre d’éditeurs iraniens sont morts en exil. Bahman Amini, directeur des éditions Khavaran à Paris, était l’un d’entre eux. Abbas Maroufi, prestigieux écrivain et éditeur berlinois récemment décédé, en était un autre.
Leur travail s’est arrêté avec eux après leur disparition, car la passion et le dynamisme qui animent la plupart d’entre nous sont personnels, proviennent de notre amour de la littérature, de notre amour de la lecture et du partage des connaissances. Ils proviennent aussi de notre amour pour notre pays et du rêve qu’il soit libre un jour. Nos publications vivent et meurent avec nous. La plupart d’entre nous ont le soutien de leur famille proche ou de leurs amis et de quelques professionnels du livre qui croient en notre cause.
Je travaille 10 à 12 heures par jour, six jours par semaine, et je ne suis pas rémunérée pour la plupart de ces heures, car je travaille bénévolement pour ma maison d’édition, Nogaam. Je dois faire des travaux en free-lance pour gagner ma vie. Je diffuse mes livres électroniques gratuitement en Iran car ils n’existent que pour être lus par les Iraniens qui sont confrontés à la censure sur place. Je ne gagne donc rien sur les téléchargements en Iran et mon tirage papier est très faible, il ne dépasse pas quelques centaines d’exemplaires, d’où une précarité financière.
Je ne peux pas me permettre d’utiliser des plateformes telles qu’Amazon – et je n’en ai pas l’intention. En effet, si je veux utiliser Amazon, je dois payer une redevance mensuelle à laquelle s’ajoutent d’autres frais. Avec un tirage inférieur à 100 exemplaires, la marge bénéficiaire est trop faible pour que je puisse survivre.
Par ailleurs, je ne peux pas utiliser le service d’impression à la demande d’Amazon parce qu’Amazon a supprimé la langue persane de sa plateforme il y a quelques années en raison des sanctions américaines contre la République islamique d’Iran. Nous avons fait campagne et signé des pétitions pour revendiquer le fait qu’on ne peut pas interdire une langue. Qu’en est-il de nous, les persanophones qui vivent en dehors de l’Iran ? Même en Afghanistan on parle le farsi. Mais comme il s’agit d’un géant américain de la technologie et que nous sommes iraniens, il n’y a pas eu de réaction ni de changement.
Les Iraniens et les autres personnes parlant le persan (comme la diaspora afghane) sont les lecteurs qui achètent mes livres. Les Iraniens de l’intérieur lisent nos livres gratuitement parce qu’ils ne peuvent pas les acheter : ils n’ont pas de cartes de crédit et l’Iran fait l’objet de multiples sanctions, de sorte que personne ne peut transférer de l’argent vers des banques étrangères depuis l’Iran et qu’il est illégal d’avoir une quelconque relation financière avec l’Iran en tant qu’entreprise britannique. Je dois donc trouver et atteindre mes lecteurs et lectrices, cachés dans le monde entier.
Il n’y a même pas de librairie persane au Royaume-Uni qui me permettrait de compter sur des ventes constantes. Lorsqu’il y a un événement culturel, un concert, un lancement de livre… je loue une table, j’embarque dans mes bagages autant de copies papier de mes livres que possible, et je saute dans le train ou le bus pour aller vendre quelques exemplaires et discuter avec mon public. Si j’ai de la chance et qu’une librairie m’achète un livre, le nombre d’exemplaires qu’elle commande pour chaque titre n’est jamais supérieur à dix.
De nombreux petits éditeurs indépendants dans le monde reçoivent un soutien de leur pays d’origine sous la forme de subventions ou d’aides. Lorsque je décide de solliciter des fonds pour aider ma maison d’édition, je suis toujours confrontée à des dilemmes. D’abord, mon propre pays me considère comme une entité illégale, une ennemie de l’État, et je n’ai jamais reçu d’aide de sa part.
Il existe également des possibilités de financement offertes par de grandes organisations ou même par les ministères de certains pays au titre de la liberté d’expression et du contournement de la censure, mais il s’agit surtout de financements politiques et je ne veux pas dépendre d’un gouvernement qui pourrait, par exemple, déclencher une guerre avec mon pays ou le sanctionner, j’évite délibérément ces financements parce que je veux protéger mon intégrité et mon indépendance. Enfin, les aides littéraires disponibles au Royaume-Uni, par exemple, exigent que je publie en anglais et non en persan.
Les défis sont infinis et ne cessent de se multiplier. Je n’ai pas d’économies pour imprimer des livres à l’avance, alors j’utilise l’impression à la demande. Et en raison de nouveaux défis tels que le Brexit, je ne peux pas expédier des livres hors du Royaume-Uni à un prix raisonnable. J’utilise donc des plateformes d’impression à la demande dans le monde entier. Cela peut sembler correct, mais en même temps, cela augmente le prix et je perds donc une partie de mes lecteurs.
Il n’y a pas de filet de sécurité pour ma maison d’édition. L’avenir est difficile à imaginer. Je planifie un an à l’avance et c’est tout. Il m’a fallu dix ans pour devenir un membre officiel de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. Quelqu’un m’a demandé pourquoi ? J’ai répondu : « Je ne savais pas si ma maison d’édition serait encore là l’année suivante. »
Paru le 15/10/2024
200 pages
Double ponctuation
20,00 €
1 Commentaire
SDK
31/08/2024 à 09:46
Pan de l'édition nécessitant un soutien accru...