« Je ne sais pas ce qui m’arrive. Moi qui suis habituellement intellectuelle, stratégique, analytique, là, je me sens transportée de désir pour ce parfait inconnu. » - On ne retrouve pas tous les jours un ouvrage de personnalité politique pour autre chose qu'un déballage de son auguste pensée. Et de ses solutions miraculeuses pour la France. Et une fiction de Marlène Schiappa, qui plus est, ça intrigue.
Le 30/08/2024 à 18:08 par Eva Flet
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Publié le :
30/08/2024 à 18:08
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Jasmine Patxi est ministre de l’Intérieur. Plutôt aimée par son pays (ou en tout cas le maximum qu’un Français peut faire), elle est en pleine campagne présidentielle pour la reconduction au pouvoir de sa candidate. Divorcée, mère d’un enfant, exception faite de ce poste dans l’appareil politique, elle incarnerait une femme des plus communes dans la République. Et elle le vit plutôt bien. Accrochée à son téléphone, elle ne quitte pas l’écran des yeux sauf pour accorder une interview. Le droit à la déconnexion, chacun l’accommode à sa sauce.
Incapable de relâcher la pression (blow off some steam, en bon franglais), son équipe est même obligée de l’expédier aux États-Unis pour la mettre au vert, ou hors-ligne c’est selon. Prétextant un impératif diplomatique, Jasmine convole ainsi pour quelques jours à New York.
Heureusement, la vie est bien faite : au détour d’un match de basket, elle rencontre dans les vestiaires après son match, Parker Saint-James – star française du basket, jouant en NBA... et que l’équipe nationale tricolore a renvoyée. La ressemblance avec Joel Hans Embiid se borne à ce dernier point.
Malgré l’agenda politique en France, un fils en garde alternée, des parents sur le dos et un rival politique qui grimpe dans les sondages (pressenti pour son poste, place Beauvau), Jasmine s’installe dans la ville qui ne dort jamais, pour vivre pleinement cette nouvelle aventure. Choisir, c’est renoncer, sauf qu’en politique, les renoncements ne sont pas sans conséquence.
Quel délice d’avoir pour protagoniste une femme – voire deux, puisque la locataire de l’Élysée est une présidente, vive l’uchronie ! Mais la fiction empiète comme il faut sur le quotidien français et les enjeux politiques du roman ont un drôle d’écho avec ceux, réels, du pays. —, pour exemple, le budget alloué aux forces de police en forte augmentation – mesure phare de Jasmine. Mais qu’en penserait Marlène Schiappa ? Que fait la police ?
Aucun parti n’a été blessé au cours de l’écriture, mais certains se sentiront gentiment visés : roman à clefs, comme il se doit, le récit se sert de la fiction pour décortiquer des décisions de politique française. Quant à l’idylle d’une femme politique avec un basketteur, eh bien, les tabloïds nous rappellent qu’en décembre dernier, lors d’un déplacement à NY, une certaine Marlène rencontra un certain Matthias (Savignac), président de la Mutuelle générale de l’éducation nationale, certes, mais ancien basketteur. Quant à Marlène, elle fut ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Ça par exemple !
En matière de romance, la happy end n’a rien d’une surprise, aux ficelles plus proches des cordages marins : retournement de situation, quelques engueulades et les problèmes résolus comme par magie. Tout est bien qui finit bien.
D’ailleurs, la popularité grandissante de Wattpad, la plateforme de publication en ligne, ces histoires déjà très prévisibles n’ont pas gagné en originalité. Et un déroulé usé jusqu’à la corde s’opère : une rencontre, un coup de théâtre, tension et résolution du problème, pour aboutir à l’inéluctable baiser final. Une affaire rondement menée.
Dans les années 2010 (Wattpad vit le jour en 2006), les textes avaient tendance à se concentrer sur des fan-fictions : on réécrivait les aventures de Bella dans Twilight, d’Hermione dans Harry Potter. Bref, les adolescents se taillaient la part du lion. Depuis, autrices et auteurs ont mûri, leurs personnages ont vieilli et l’application a évolué. Qu’on se rassure : le fil conducteur des histoires est globalement resté le même.
Le roman de Marlène Schiappa ne déroge pas : on se focalise sur Jasmine, son histoire futile avec un journaliste politique (conflit d’intérêts ? Pourquoi toujours les gros mots : et l’amour, dans tout ça ?), et sa campagne. Une rencontre avec un “significant other“ (conformément aux expressions anglaises consacrées) parfaitement parfait jusque dans ses défauts. Et ainsi de suite.
Comme on peut le constater, Scandale est une vraie histoire « Harlequin x Wattpad» : une enfilade de clichés usuels. Pour les férues de romance, rien d’inattendu, rien d’étonnant, pas même dans les différentes scènes érotiques. De ce point de vue, Aurélie Filippetti, avant de se faire tirer les oreilles, avait montré plus d’imagination.
Des préjugés, nul n’y échappe, en dépit de nos efforts. Femme politique, Marlène Schiappa est aussi réputée pour sa plume aux penchants érotiques — qui n’est pas celle de Pierre Choderlos de Laclos. Si le final semble précipité, le récit n’en demeure pas moins construit, mené par un fil conducteur et une cohérence irréprochables.
Le style est appréciable, parfois même apprécié, et l’ensemble se lit facilement : on passe en mode lecture automatique, et hop, voici une histoire digne d’une comédie romantique — ce n’est pas pour rien que Wattpad verse maintenant dans la production audiovisuelle avec ses propres récits…
Et pourtant, les commentaires, au bas mot sexistes, au mieux imbéciles, ne manquent pas : « Pour une ministre, ça passe. » D’abord, cela revient à méconnaître les précédents ouvrages de l’intéressée ou son engagement personnel d’autrice – se souvenir de ce que 100 % de ses droits d’auteurs sur le livre Les Droits des femmesface aux violencesfurent reversés à l’association Fédération nationale solidarité femmes qui gère le 3919. Bon, moins de 4500 ventes, mais l’intention était là.
À ce titre, elle a déjà répondu, non sans réussite, aux détracteurs estimant qu’une femme qui fut ministre ne peut pas écrire un roman érotique. Les haineux déverseront allégrement leur tombereau de messages (et ne s’en privent déjà pas), Marlène Schiappa a du style.
Quant à Scandale, c’est une romance, sans prise de tête, à prendre comme telle. Pas certaine, toutefois, que je ne l’emporterai pas à la plage l’été prochain. Juste pour être sûre.
Crédits photo : Nantilus (CC BY-SA 4.0)
Paru le 19/06/2024
250 pages
Fayard
20,00 €
2 Commentaires
NAUWELAERS
30/08/2024 à 22:08
Il y a quelques rares ministres qui écrivent bien, comme Bruno Lemaire; d'autres qui écrivent mal; et une majorité écrivant via un nègre, ou un prête-plume pour utiliser un synonyme visant à ne pas effaroucher les gens choqués d'avance., qui se lèvent et se couchent choqués..
Schiappa, n'ai jamais lu mais j'aime sa personnalité et son refus de marcher au pas de l'oie.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Xavier Pujas
31/08/2024 à 22:01
"Il y a quelques rares ministres qui écrivent bien, comme Bruno Lemaire"
Amusant.
A ressortir en soirée.
Poilant comme une limace sur une feuille de laitue.
Quant à Marlène S...
Souhaitons lui bon vent.