PenserLeVivant – Rencontrer un authentique mage : un thaumaturge au croisement des arts, qui sourit volontiers pour inventer un sortilège. Si l’imagination est la plus divine des qualités, estimait Baudelaire, Alejandro Jodorowksy vous engloutit dans la sienne, “sans autre forme de procès”. Grimé en Madone pour l’occasion, bienvenu dans l’univers du psychomage.
Le 29/08/2024 à 09:24 par Nicolas Gary
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29/08/2024 à 09:24
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Il sourit déjà : le regard n’a rien de carnassier, c’est l’alchimie qui est à l’œuvre. « Je parle souvent en public. J’étais à Madrid, dans un cinéma, pour la projection d’un de mes films : 1000 personnes étaient dans la salle. J’ai parlé, sans avoir rien préparé. Le lendemain, mardi, une autre projection. Je me suis dit qu’il n’y aurait pas autant de monde, parce que j’avais peur de reprendre la parole. Le film s’achève, on m’invite à monter, j’étais caché sous mon manteau. J’ai monté les marches, arrivé tout transpirant d’angoisse. Mais la magie a opéré. »
Il a publié en janvier dernier La voie de l’imagination : De la psychomagie à la psychotranse, correspondance psychomagique (Actes Sud), poursuite des réflexions de Manuel de psychomagie (Albin Michel, 2009). Et ce 27 août, il était sur scène avec le philologue et son plus proche collaborateur, Donatien Grau, pour une performance autour de cet art de guérir. Mais guérir de quoi ? Et comment ?
« La magie ne vient pas de cette planète, mais elle y apparaît, grâce au cerveau humain. Elle solutionne l’impossible, par l’intermédiaire du magicien qui rend alors possible. Il s’agit d’une force mentale, cérébrale et créatrice qui résout les problèmes », explique-t-il dans le plus grand sérieux. Car on ne plaisante pas avec le pouvoir des mots — bien qu’ils agissent comme une prison.
« Prenez l’immortalité : on peut toujours avoir le plaisir d’essayer de vaincre la mort, de chercher à vivre éternellement. Pour le magicien, la mort n’est qu’un chapitre qui ne saurait être vaincu. D’ailleurs, que se passe-t-il, s’il existe un après ? » Reste alors cette force d’action : la magie, qui est créativité.
Il identifie alors trois énergies : cérébrale, émotionnelle et sexuelle. « Toutes nous poussent à créer et l’on se retrouve dans cet équilibre. » Entendu, mais fini de rire : je veux des choses précises.
« Tiens, regarde, je prends mon chat. » Et de mimer la présence du matou sur ses genoux, au milieu d’un jardin d’hôtel. Mais la bête est là, contre toute attente. « Je lui dis, “Tu vas avoir huit pattes et tu ne te percevras pas comme une araignée, mais comme un ange”. Et j’attends et le chat me regarde et lui-même attend en découvrant qu’il se transforme. » Médusé, sidéré, hilare : car Jodorowsky est un conteur hors pair et que l’envoûtement commence.
« Alors là, tu imagines quand j’agis ainsi à la maison et que je réclame à Pascale [son épouse, présente durant l’entretien NdR] du lait pour le chat qui a des pattes en plus et qu’elle me répond : “Ah, tu recommences avec ta psychotranse !”. Et elle me jette un sort, en rétorquant que je dis n’importe quoi et me fait pousser une grosse langue, énorme, pour m’empêcher de parler, une langue grosse comme celle d’un orang-outan ! »
Même son épouse retient difficilement le fou rire qui nous embarque. Alejandro, lui, sourit largement, comme un enfant heureux de sa plaisanterie. Et ce n’est que le début de l’expérience jodorowskienne : je tente d’évoquer Baudelaire, l’imagination, pour remettre la main sur l’échange. « Oui, entre imagination et magie, il y a toute la culture du surréalisme », concède-t-il en s’emparant d’une bouteille d’eau. Par mégarde, elle cogne contre un verre, avec un bruit typique. Il s’en émerveille. Déconcertant, cet homme.
« Tu vois, l’imagination consiste à créer des choses que l’on essaye de percevoir avec le corps. Moi, je me sens Superman : je prends cette bouteille, elle a fait apparaître le verre : j’ai créé le verre et dedans, figure-toi que c’est de l’eau bénite. Ah, il y a longtemps que je voulais être Dieu ! », affirme-t-il en s’emparant du verre. « D’ailleurs, dans ce verre, tu trouveras un centimètre carré de Dieu. C’est pourtant une eau claire, sans aucun souvenir. »
Il m’a donné soif avec son verre. Je n’avais pas soif la seconde d’avant : « Monsieur Jodorowsky, vous êtes un chaman ? » Du tac au tac : « Non, c’est le chaman qui est moi : il cherche des choses que j’imagine ! » Soif et un petit vertige : ça doit être la déshydratation. « Alors, votre lien avec la science-fiction, quel est-il ? », je tente. « C’est la résultante de la psychomagie », rétorque-t-il sans hésitation.
Et de poursuivre : « Écoute-moi : dans le coin derrière toi, je place une statue de bouddha. Elle est là. Et toutes les années où je viendrai vivre dans ce palais [je croyais qu’on était dans un hôtel, moi, NdR], il sera là, parce que je viens de le concevoir. Même s’il n’est pas réel. C’est comme toi : tu es devenu Errol Flynn, l’acteur d’Hollywood qui jouait des pirates. » Celle-là, je ne l’avais pas vu venir.
Note bien que la suivante non plus.
« Et avec ce troisième œil, couleur émeraude, au milieu de ton front », reprend-il, et machinalement je quitte le clavier et porte ma main au front, « tu as fait jaillir un rayon, dirigé vers moi, dont je m’empare. Et dedans, figure-toi que je fais des trous, et je possède maintenant une flûte. Dont je joue. C’est ça, la psychomagie ! »
Cloué. Non : crucifié. Mais je n’en démords pas : j’ai une interview à tenir. « Dites-moi, la psychomagie, quel est sa relation avec la psychohistoire d’Asimov ? » Plus qu’une bouteille à l’eau, c’est un mayday ultime. « Deviner l’avenir à travers le passé ? Mais pour moi, nous vivons dans un éternel présent, en perpétuel changement : il n’existe ni passé ni futur. Tout n’est que présence, ici et maintenant. »
J’ai comme le vague sentiment d’avoir face à moi Philip K. Dick : je m’attends presque à ce que la conversation se poursuive en latin. « Sauf que l’on a trop de problèmes avec la langue, le langage. C’est une prison, les mots. Il nous faudrait une autre manière de communiquer, sans termes, par des vibrations. Ce serait une capacité sensitive, comme les émotions. L’unique langage qui échappe à cette incarcération, c’est le poème : ses mots sont magiques. »
J’ai la tête qui tourne, il me semblait avoir entendu sonner 13 h, mais le soleil se couche. « Donne-moi un mot », susurre-t-il. Euh… « Fantôme », je tente, pas bien convaincu. Son regard devient perçant. Il réfléchit et lance : « Ne souffre plus. Un jour, tu vas te réincarner et te re-rencontrer. Le présent se mettra en marche et t’embrassera. » Crucifié ? Non : atomisé. Comment sait-il qu’une marabouteuse, un beau jour, m’a affirmé que j’étais une « âme neuve » ? Et qui croit, de toute manière, à ces élucubrations ?
« Regarde cette vieille femme », renchérit-il en désignant de l’index… la chaise de jardin : « Tu vois cette vieille femme, partie se promener seule ? Elle a si peu de biens qu’elle les porte tous dans son ventre pour ne pas qu’on lui les vole. » Mon cerveau lutte désespérément pour m’empêcher de tourner la tête, mais le combat est de courte durée : je tourne la tête. Mais les yeux fermés, pour ne pas voir. Ai-je à moitié gagné ou perdu ?
« Il ne faut pas être fou pour devenir magicien, c’est tout l’inverse : ce que je fais actuellement, c’est de jouer le fou. Parce qu’être normal ne signifie rien. Et d’ailleurs, rien ne vient seul : aux côtés de la lumière, se trouve l’ombre, avec la folie, la non-folie. Nous avançons avec les deux facettes : l’un et son contraire », relance Alejandro Jodorowsky. « Moi, je suis une femme enceinte à son quatrième mois et demi, constamment : la psychotranse est quelque chose que je porte en moi, mais dont il manque l’autre moitié pour créer un système. Alors je change la réalité, en proposant une autre conception. »
A-t-il prononcé “concepcíon” ? Une référence à une ville du Chili, pays dont il est originaire, ou à l’Immaculée Conception ? Parle-t-il d’accouchement ? Sont-ce vraiment des contractions que je ressens ?
« Je t’ai dit que le présent, c’est un mouvement continuel. Et les enfants l’incarnent. Quand j’avais 8 ans, ils étaient portés dans les bras de leurs parents, emmaillotés, sans pouvoir bouger. La psychotranse, c’est tout cela, mais avant tout un cadeau. Des exercices qu’apporte la créativité », reprend-il, comme revenant… d’une transe ? « Ce que je propose n’a rien d’une fuite : c’est une libération. En sachant que ce n’est pas vrai. L’impossible est en réalité possible. L’obligatoire est nécessaire. »
Je souffle, soupire, exfiltré d’un rêve, ou quelque chose du genre. Je n’ai pas vu arriver le coup de grâce. « Les événements évoluent, comme dans un film, vois-tu. En ce moment, tu ne le sais pas, mais avec la bague qu’elle a à ses petits doigts, mon épouse est en train de me souffler toutes les réponses. » Je regarde Pascale, consterné : elle sourit, finit par rire franchement.
Est-ce que cet entretien a réellement eu lieu avec Alejandro Jodorowsky ? Il fait de nouveau grand jour, une chaleur lourde s’est abattue sur Arles. Alejandro Jodorowsky me sourit et demande : « Vous avez tout ce qu’il vous faut ? » Un enfant de 12 ans lui répond, celui que je fus en découvrant La Caste des Méta-Barons, série de bandes dessinées réalisée avec Juan Giménez : « Merci. Oui, monsieur. »
Crédits photos : Alejandro Jodorowsky - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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7 Commentaires
Solen Pirox
29/08/2024 à 19:29
GOUROUdorowsky
Yoan
30/08/2024 à 05:08
On ne donne pas de lait au chat 🙀
Rhemus
30/08/2024 à 09:44
L’ignorance provoque un tel état de confusion qu’on s’accroche à n’importe quelle explication afin de se sentir un peu moins embarrassé. C’est pourquoi, moins on a de connaissances, plus on a de certitudes.
jean brouille
30/08/2024 à 14:41
le charabia fait homme ce jodo
Lyo
30/08/2024 à 15:11
J'aime bien ses ouvrages sur le tarot. Après chacun ces croyances.
Jamaml kitel
02/09/2024 à 00:06
Un rume est en train de me tuer.
Priez pour moi que tous le sahent.
Je n'ai pas mieux passage
.jamal Kitel
Casablanca le 01 septembre
Clovis Nasiala
03/09/2024 à 20:37
Je ressent une chaleur a moi, que signifie tout celà monsieur Alejandro jodorowsky ?