Après des aventures mexicaines extrêmement agitées (voir Le cœur de l’hiver du même auteur, traduit par Sophie Aslanides aux mêmes éditions) dont il est revenu très fortement amoché, tout le personnel du bureau du shérif du comté d’Absaroca monte une garde serrée autour de son chef, Walt Longmire, pour essayer de lui éviter toute mésaventure susceptible de rouvrir des blessures pas totalement cicatrisées…
Celui-ci n’hésite pas à aller faire des « relations publiques » auprès de l’Inspection du Bétail du comté et du Service des Forêts des États-Unis que préoccupent quelques moutons égorgés : au moins cela lui permet de sortir de son bureau et de prendre l’air même si le décès d’un, voire de plusieurs, moutons ne rentre pas vraiment dans ses attributions...
Or, les autorités compétentes semblent hésiter à se prononcer sur les causes de ces décès qui datent déjà de plusieurs jours. Et seulement du bout des lèvres, ils avancent une hypothèse : un loup ! En revanche, tous s’étonnent de l’isolement du troupeau loin du ranch de leur propriétaire et plus encore de l’absence du berger qui ne devrait pas manquer de se trouver là pour s’en occuper.
Mais celui-ci, Miguel Hernandez, un Chilien, restant introuvable à proximité immédiate du troupeau, une extension du périmètre où trouver son campement s’organise rapidement : pour sa part, Walt est envoyé vers l’orée d’un petit bois proche en compagnie de son assistante, Victoria Moretti. Celle-ci ne le lâche pas d’une semelle, car « il y a un pari [...] au bureau sur la personne qui [le] laissera faire un truc stupide dont [il] sortirait encore plus abîmé » ! Et elle n’a aucune envie de gagner ce pari !… Le voyant rapidement essoufflé, Vic renvoie fermement Walt au pick-up pour continuer seule les recherches.
Sur le trajet vers son véhicule, du coin de l’œil, Walt perçoit un mouvement et, tournant la tête, découvre un loup qui semble le surveiller, mais qui s’éclipse dès qu’il fait un geste dans sa direction : étonnant, car les loups ont quasi disparu dans cette région du Wyoming !
Mais voilà l’animal a rapidement remplacé par une autochtone Cree-Assiniboine qui lui affirme travailler pour une association de protection des loups du Montana. Connaissant le berger que Walt recherche, elle mène ce dernier au campement où il séjourne, mais où il ne semble pas avoir mis les pieds depuis un certain temps.
Après avoir inspecté les lieux sans succès, Walt élargit sa zone de recherche et finit par trouver Miguel Hernandez : les mains attachées dans le dos, il est pendu à une haute branche et ses pieds ensanglantés ont été dévorés !
Les premières constatations ne permettent pas d’exclure totalement le suicide, mais laissent la porte grande ouverte pour l’hypothèse d’un homicide. Qui, lui, ne peut pas être imputé au loup...
Après le Mexique, il fallait quand même que Craig Johnson laisse un peu souffler son shérif et lui trouve une petite enquête bien épineuse et bien difficile à appréhender à cause de personnages mal cernés rôdant autour du berger mort et n’ayant aucune envie de faciliter les choses à Longmire et à son équipe. Bien opaque, mais pas trop mouvementée !
Point de bagarres homériques donc, peu de sifflements de balles aux oreilles des protagonistes (mais faut pas rigoler, une aventure de Walt Longmire sans gros calibres et coups de feu, cela ne serait pas acceptable pour les fans…), pas de rodéo avec des pick-up rugissants, mais une histoire bien embrouillée par l’auteur qui, à son habitude, distille toutes les clés au fur et à mesure de la lecture, sans que le lecteur ne soit enclin à y porter l’attention que cela aurait dû mériter et se retrouve perdu dans mille hypothèses qui, évidemment, seront toutes fausses…
Encore du grand art dans l’esquive, dans la dissimulation d’informations capitales sous dans une avalanche d’informations périphériques qui, elles, ne le sont pas : Craig Johnson ne fait pas que balader son lecteur dans les paysages tous plus magnifiques les uns que les autres de cet état du Wyoming, il le balade aussi dans une narration où extraire le bon grain et laisser l’ivraie de côté est un véritable tour de passe-passe jusqu’à l’aboutissement de l’histoire.
Et il faut reconnaître que l’environnement de l’histoire est traité aux petits oignons par une accumulation de documentation et d’informations d’une qualité remarquable qui donne beaucoup de véracité à toutes les discussions et les échanges entre personnages : pas de doute, l’auteur a potassé de manière extrêmement sérieuse les sujets périphériques de son roman. Et là, l’histoire de ce loup, qui viendra ponctuer le récit de ses apparitions fugitives, n’a pas manqué de me captiver compte tenu de ma propre passion pour cet animal.
J’ai d’ailleurs été un peu déçu par notre héros de shérif à qui l’auteur n’a certes pas donné le rôle du chasseur de loup, mais à qui il n’a pas non plus donné la parole pour s’opposer formellement à cette chasse . Bon, je le pardonne parce qu’il a heureusement confié ce soin à Vic ! Mais cela m’a quand même titillé, car, visiblement, les anti-loups et leurs fusils sont aussi forcenés de l’autre côté de l’Atlantique que de celui-ci. Et dans un état où la densité de la population est inférieure à 5 habitants par kilomètre carré et la parole de l’auteur ayant potentiellement du poids, il y a, me semble-t-il, la place pour d’autres comportements que l’élimination systématique pure et simple dès qu’un tel superprédateur ose montrer le bout de son museau !
Au-delà donc de ces considérations éthiques, Craig Johnson nous propose là un livre très reposant (par rapport au précédent) autour d’un sujet sur lequel, personnellement, je ne l’attendais pas. Mais avec cette totale et permanente qualité de narrateur vivant, et bourru certes, mais solide, sensible et humain, il nous offre, encore une fois, 400 pages de régal.
Et encore bravo à Sophie Aslanides qui a réussi une nouvelle traduction d’une remarquable qualité y compris dans certains jeux de mots totalement réussis et qui devaient pourtant être intraduisibles.
Paru le 02/11/2023
413 pages
Editions Gallmeister
24,50 €
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