« Un poème n’est pas écrit dans la langue que le poète emploie. La poésie est une langue à part et ne (se) peut se traduire en aucune autre langue, même pas en celle où elle semble avoir été écrite. » (Secrets de beauté, Jean Cocteau). À Milly-la-Forêt, à côté du Château de Bondé du XIIIe siècle, il y a une maison qui, dirait-on, a été prédestinée à être achetée en 1947 par Jean Cocteau.
Le 26/08/2024 à 14:09 par Maria Danthine-Dopjerova
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Publié le :
26/08/2024 à 14:09
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« L’eau des douves et le soleil peignent sur les parois de ma chambre leurs faux marbres mobiles. Le printemps jubile partout. » (Jean Cocteau)
Des pommes et des poires juteuses, formées et colorées par le soleil, posent face à l’objectif de l’appareil photo quand je le tourne vers le clocher de l’église, derrière le jardin de Jean Cocteau, jardin, dirait-on découpé d’une scène de film de La Belle et la bête.
En 1946 dans la lettre à Jean Marais, Jean Cocteau a écrit : « Mon Jeannot, ayons du courage. Notre maison de Milly nous consolera de tout. »
« Le bonheur est simple », disait Cocteau dans sa maison à Milly-La-Forêt, dans la maison où même aujourd’hui on peut entendre l’écho de sa voix, avec laquelle il s’adressait à « son Jeannot », à son cher ami et compagnon de 15 ans, Jean Marais, dans la maison où ils accueillaient des amis portant les noms de Marlène Dietrich, Max Ernst, Louis Aragon, André Gide.
Nous sommes dans la maison, dont Jean Cocteau disait que c’est la maison qui l’aime bien. Plutôt : nous sommes dans la maison qui aime Jean Cocteau, c’est ce que ce dernier disait. En ce samedi d’août nous passons par les pièces où jadis courait le chien Moulouk, après le chien Martin, près des murs se glissaient les chats, que nous voyons plus tard dans le magasin des souvenirs sur les tasses en porcelaine, signés Jean Cocteau.
Nous contemplons la sirène de bois peint du manège du XIXe siècle, que Jean Cocteau utilisait comme porte-manteau. Dans le séjour nous nous trouvons devant le cheval en bois de manège, deux biches tournent leurs regards dans la cheminée éteinte depuis longtemps. Sur la table de travail, il y a une patte de rhinocéros et des moulages de mains, celle de Chopin et celle de Cocteau. Le soleil en métal et le miroir sont des cadeaux de la vie.
Gustave Flaubert fréquentait Tourgueniev et George Sand. Jean Cocteau prenait des cafés avec Colette quand ils habitaient les appartements du Palais-Royal. Avec Picasso il allait voir les corridas à Nîmes, ses amis étaient Charlie Chaplin et Coco Chanel. Il aimait Jean Marais. Il semble que Coco Chanel lui a même financé des traitements de détoxication pour l’aider à sortir de son addiction à l’opium. Obsédé par son image, se sentant mal dans sa peau malade, atteinte des bactéries et d’eczémas, il vivait une vie qui oscillait sur un fil entre la fiction et la réalité, entre l’opium, les douleurs permanentes et un travail persévérant.
« Mon Jeannot, que ton profil était joli dans notre petite voiture ! Que ton dos à capote était triste sur cette route boueuse. Que j’ai eu le cœur serré. » (Lettres à Jean Marais, Jean Cocteau)
Nous sommes dans la maison, où Jean Cocteau est mort en 1963 d’une crise cardiaque, après avoir appris la mort de sa chère amie Édith Piaf.
Le travail sur le film La Belle et la bête fut extrêmement éprouvant. Cinq mois de tournage dans des conditions pénibles. Après un coup de soleil à Arcachon, Jean Cocteau luttait en permanence avec les microbes de son corps. Ensemble avec Jean Marais, ils cherchaient à s’échapper de Paris. Ils ont trouvé refuge près de la forêt de Fontainebleau,à 50 km de Paris.
« Tu avais oublié tes gants de fourrure. Je les ai montées dans ma chambre et je les ai embrassées avec des larmes dans la gorge. » (Lettres à Jean Marais, Jean Cocteau)
Les croisades, au retour de l’Orient, ont apporté en France la lèpre. Au XIIe siècle, la maladie s’est tellement répandue dans la population de la région, qu’ils ont dû faire construire une léproserie à Milly-la-Forêt. L’hôpital pour les lépreux a été mis sous la protection de Saint-Blaise, qui avait la réputation de soigner les gens et les animaux à l’aide de prières et de plantes médicinales, appelées également les simples. La Chapelle Saint-Blaise du XIIe siècle, derrière le village, est devenue l’abri des lépreux.
Au XVIe siècle la lèpre a disparu et au début du XVIIIe siècle les bâtiments inhabités furent détruits. La petite chapelle est restée. Elle est restée vide, oubliée et autour d’elle, parmi les plantes sauvages, ont poussé vers le ciel et le soleil des plantes médicinales — les simples.
Dans les années 1950, le maire du village a décidé de la faire restaurer et le travail de décoration a été confié à Jean Cocteau. Comme motif de sa décoration, Jean Cocteau a choisi les simples — les plantes médicinales.
Il a transformé les murs de la chapelle en herbier. Des tiges fines et modestes de plantes médicinales avec leurs fleurs de couleurs vives poussent sur les murs blancs de la petite chapelle, autour des fenêtres menues avec leurs vitraux bleus, elles se tirent du sol sur les murs en direction du clocher. Nous regardons les fresques peintes et imaginons leur force. Malgré leur fragilité et modestie, grâce à l’énergie du soleil et leurs capacités guérissantes, elles transpercent le plafond et continuent à pousser. Elles vont vers le ciel, vers le soleil, arrivent aux oreilles de Dieu, comme une prière.
Au-dessus du portail d’entrée, la lettre « M » est peinte, pour qu’on n’oublie pas que la menthe vient de Milly-la-Forêt. Et la menthe de Milly ce n’est pas n’importe quelle menthe ! Elle a un goût poivré et s’appelle la menthe poivrée. À côté du bénitier il y a la signature de Cocteau en forme dechat avec son dos courbé, le chat symbolisant le diable et les sorcières, regardant avec un œil provocateur l’ange aux ailes d’oiseau, libérant le Christ.
Les fresques des plantes, sorties de l’âme poétique et des mains de Jean Cocteau sont des dames bien mystérieuses. Bien des choses se cachent derrière leur beauté simple. Des tiges hautes et sveltes sont parsemées de petites fleurs discrètes aux couleurs vives. Elles sont comme des sorcières, il faut se mettre en garde devant elles et savoir distinguer quand elles vous veulent du bien et quand elles deviennent méchantes.
Elles oscillent entre le poison et les effets bienfaisants, ce sont des aphrodisiaques, soignant des inflammations, soulageant des douleurs, mais elles peuvent également endormir et tuer. Un petit grain de leur poudre de plus ou de moins et leur force guérissante se transforme en arme. Leurs noms peuvent faire penser aux noms de princesses enchantées : « La Jusquiame », « la Belladone », « la Valériane », « la Guimauve », « l’Arnica », « la Renoncule », « la Colchique ».
La Jusquiame, avec ses feuilles velues, douces au toucher, et ses des fleurs jaunes, était déjà utilisée dans l’Antiquité comme anesthésique, aphrodisiaque et stimulateur de la fécondité. Il semble qu’au Moyen Âge les sorcières s’en enduisaient la peau avant d’enfourcher les balais, sur lesquels elles arpentaient les ciels nocturnes. Les fleurs de la Belladone ont la forme des petites clochettes mauves et rouges et leurs baies noires ressemblent à des petites cerises.
Détrompez-vous ! Elles peuvent être mortelles ! La belladone veut dire en italien « une belle femme ». Au XVIe siècle les femmes italiennes fabriquaient avec des fards à paupières pour donner plus d’éclat à leur regard. La valériane, appelée aussi herbe à chat (depuis l’Antiquité) est un remède pour les troubles de sommeil depuis l’Antiquité. La guimauve s’utilise pour épaissir les sauces, s’ajoute dans les salades, on en fait des bonbons, liqueurs et des sirops, elle soigne les maux de la gorge et on la donne aux enfants quand ils percent leurs dents.
L’arnica soulage les douleurs, le colchique soigne la goutte, a des effets anti-cancéreux. Durant l’Antiquité on l’utilisait comme épice et colorant, mais aussi comme poison. Les esclaves mangeaient de petits fragments de tubercule afin de se rendre malades et inaptes au travail. L’aconit, appelé également « le casque de Jupiter » ou « le capuchon de moine » soigne les bronchites et les angines.
Dans la chapelle, sur les murs de laquelle Jean Cocteau a jeté les fleurs de champ qu’il aimât tant, nous écoutons la voix de Jean Marais. Dans le jardin de la chapelle, il y a une reproduction de la vieille cloche, qui, de 1479-1925, annonçait l’ouverture et la fermeture du marché sous la Halle. Sous le toit ondulant de tuiles orange de la vieille Halle, je vise avec l’objectif de mon appareil photo je vise le tas des haricots verts. Le vendeur me lance joyeusement : « Madame, attendez », dans chaque main il prend une botte des carottes, fait un large sourire et me dit : « Maintenant, prenez la photo. »
« En fin de compte, tout s’arrange, sauf la difficulté d’être, qui ne s’arrange pas. » (Difficulté d’être, Jean Cocteau). Pour certains maux mêmes, les plantes médicinales sont impuissantes.
« Je reste avec vous » est écrit sur le sol en pierre de la chapelle, où, sous les racines imaginaires des simples peintes, dort son sommeil éternel Jean Cocteau.
« La beauté boite. La poésie boite. C’est dans sa lutte avec l’ange que le poète sort boiteux. C’est de cette boiterie que le poète tire son charme. » (Secrets de beauté, Jean Cocteau)
Si la beauté ne boitait pas, il ne s’agirait plus de la beauté. Si les plantes médicinales n’étaient pas aussi un peu vénéneuses, la force de leurs effets bienfaisants se perdrait également. Dans la vie, parfait est ce qui n’est pas tout à fait parfait.
« Le silence est la base du poème. Un poème c’est la manière dont le silence est contrarié, offensé, dupé, tourmenté, frappé, blessé, vaincu. » (Secrets de beauté, Jean Cocteau)
L'exposition s'est achevée le 16 juin.
Crédits photo © Maria Danthine-Dopjerova
Paru le 18/11/2013
71 pages
Editions Gallimard
11,00 €
Paru le 03/03/1993
187 pages
LGF/Le Livre de Poche
7,70 €
3 Commentaires
alexandre.
27/08/2024 à 09:33
Tout est juste et parfait... La poésie transpire de ce lieu incontournable pour comprendre cet ovni qu'était Kokto comme l'appelaient les Egyptiens lors de ses voyages dans son Égypte adorée...(Maalech)....
Gilles Billois
28/08/2024 à 00:32
Le poète continue à donner des rendez-vous derrière l'arbre à songes. Il nous charme toujours en surgissant du miroir qu'il traverse comme de l'eau deplongeant de l'au delà. Il s'est dénoncé en faisant semblant de mourir,lui ,ce mensonge qui dit toujours la vérité. Pour moi, jamais il ne cessera de décalquer l'invisible. Jean, vous m' étonnez encore et encore. Merci pour me faire dormir d'un sommeil éveillé qui m'éloigne de tout et me met hors d'atteinte. Vous restez avec nous !
Micuv
28/08/2024 à 14:19
Un bien beau voyage en rêve au pays d'un poète digne de ce nom !
C'est bon la mélancolie amoureuse de tout ..... Dommage qu'elle ne se mange pas en salade, j'en planterais partout !