RentreeLitteraire2024 — Pas facile de choisir le roman de la rentrée que l’on chroniquera en premier. Un nom déjà familier ? Un auteur avec qui on se sent en sécurité ? Une plume que l’on a envie de découvrir, elle qui possède une si bonne réputation ? J’ai choisi à la gueule, et comme presque toujours, l’analyse superficielle s’est révélée rigoureusement exacte… Ce primo-romancier n’est pas le dernier.
Le 18/08/2024 à 14:45 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
18/08/2024 à 14:45
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D’abord le nom m’a attiré : Nagui, il n’y en a qu'un autre, et tout le monde devinera à qui je pense… Zinet comme Mohamed Zinet, l’officier de l’Armée de Libération Nationale algérienne et assistant sur La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo.
Je découvre la photo « officielle » de l’auteur : cheveux longs et quelque peu ondulés, mais imberbe - un antimoderne j’ai pensé. Lunettes sobres qui ajoutent une touche intellectuelle, veste légère vert olive pratique et sans prétention, que pourrait porter un Hemingway. Au-dessus d’une chemise en denim bleu décontractée. J’y vois la dégaine d’un écrivain et non d’un écrivant, ce sera son livre, Une trajectoire exemplaire.
Après avoir terminé ce roman qui m’a enthousiasmé par l’esprit de son auteur, je décide de le contacter sur Instagram. Je souhaite en apprendre plus sur ce mystérieux primo-romancier qui raconte si bien la fuite en avant d'un type enfermé dans sa tête. Le natif du capricorne, qui a passé cette année la fatidique barre des trente ans, accepte que l’on échange : « Je partage des textes courts sur un blog et mes réseaux sociaux depuis plusieurs années, et Joëlle Losfeld, mon éditrice, est tombée dessus, je ne sais pas comment d’ailleurs. On s'est rencontrés et elle m’a fait comprendre que si j’écrivais un roman, - plutôt qu’un recueil de nouvelles, pas idéal pour un premier livre -, il y aurait de bonnes chances qu’elle le publie. »
Ce sera un court roman d’une centaine de pages, à l’os, sans fioritures, dense, zéro description : « Je suis attiré par la simplicité en littérature. Je pense à Colette qui avait conseillé à Simenon : "Le moins de littérature possible". Le Belge disait encore : “à la place d’ ’il pleut à verse’, écrivez ‘il pleut’, ça suffit amplement.” »
Le Graal : dire beaucoup avec peu. C’est aussi laisser le lecteur construire sa propre image des personnages, ses propres décors. Un exemple tiré du roman : « Un type, du genre ouvrier, se pose au comptoir, le portefeuille à la main. Il te dit : elle va revenir. Tu esquisses un sourire, dans la limite de tes capacités. Il dit au serveur : mettez-lui un verre. Puis il voit que tu es au whisky, et regrette son choix. Il est trop tard pour faire marche arrière, alors tu lui dis merci. Vous parlez de l'imprévisibilité de la météo et de l'élection présidentielle qui approche. Il ne croit pas tellement qu'elle va changer quoi que ce soit. Tu lui donnes raison. Cela ne coûte rien. Te voir discuter avec l'ouvrier a donné des idées au serveur. Il te parle de la série qu'il regarde. Tu te tires. »
« Quand je lis des romans écrits par des gens de mon âge qui n’ont que pour objectif d’étaler leur petit niveau d’éducation, et écrivent avec le dictionnaire de synonymes à portée de main, ça me désole… », partage encore Nagui Zinet.
Il est un Pokémon rare du roman bourgeois : pas le bac, ni aucune qualification. Un lecteur tardif, qui a rattrapé le temps perdu, et prend la littérature très au sérieux, comme tous ceux qui y ont perçu la possibilité de rédemption par l’art : « Ce fut le déclic : je me sentais partir sur de mauvais rails, vivant comme quelqu’un qui ne fait rien de ses journées, sans but, presque à flotter dans le néant. La lecture, puis l'écriture sont devenues ma bouée de sauvetage. Elles m'ont offert un but et une manière de donner du sens à mes journées. »
Une trajectoire exemplaire débute par un morceau de bravoure, avec l’incipit qui claque : « Les amours ratent, mais de peu, c'est ainsi que commencent les suivantes. » Nagui Zinet s’adresse à l’hypocrite lecteur, son semblable, son frère. À la volonté vaporisée par le savant chimiste, à celui qui s’ennuie… « Vous accomplissez votre besogne. Votre corps lâche, votre tête ne suit plus. Vous n'êtes plus rien, et, de plus en plus, vous admettez que cet état de fait dure depuis longtemps déjà. (...) La ville est grande, vous n'y avez rien à faire. Un jour, on vous a humilié, et ce jour est sans fin. Votre dégoût ne s'étiole pas. » Etc.
Un prologue écrit bien avant ce roman, trop bien pour ne pas l’utiliser : « Je l’ai d’abord intégré dans le corps du texte, et c’est Joëlle Losfeld qui m’a proposé de le placer en ouverture », raconte le primo-romancier. Une riche idée, de quoi choquer le lecteur, où au moins le type énergumène de cette catégorie, comme une introduction d’Elie Faure. Il y parle de cet autre, toujours de passage, « ce gosse tirant vanité de son exclusion sociale à haute voix et chialant dans sa piaule ». Le Patrick Dewaere de Série Noire, que « vous aimez, comme vous aimez tous les suicidés ».
Nagui Zinet raconte dans Une trajectoire exemplaire, comme dans l’adaptation d’A hell of a woman de Jim Thompson, la fuite en avant d’un galérien profondément seul, N., à travers un journal écrit à la deuxième personne du singulier, et partagé sur un blog. On apprend dès le départ qu’un meurtre a été commis, et que ce N. est le principal suspect. On remonte le fil : Lille, piaule pourrie, 25 ans, pilier du bar L'Étrange, grand lecteur, pointu, érudit même, génial en un sens… Pas d'étude, pas de travail, trop d’esprit quand il a bu, provocateur, aux aguets, seumard souvent… Et la rencontre d’Irène, une prof de musique quarantenaire, seule, en demande de tendresse…
Comme chez Jim Thompson et Simenon, là-encore, pas de super-flic, et son miroir, le super-vilain : « J’ai essayé de raconter un individu ordinaire qui se retrouve plongé dans la spirale de la déchéance. Cet engrenage qui prend naissance dans un petit mensonge anodin et qui l’entraîne dans une fuite en avant, jusqu’au pire. À la fin, on est en face de l’homme nu. »
L’individu ordinaire, mais qui a loupé les trains : « Tes amis te rappellent chaque jour ta différence, toi le type sans ambition, sans amour, sans projection. Pour sûr, même s'ils ne te le diront jamais, tu es une forme humaine qui recense leurs peurs les plus vives : la solitude, la marginalisation, l'isolement, l'alcoolisme, la mort prématurée. » Un intellectuel histrionique, toujours en représentation à force d’être mal à l’aise, à la limite, mais un pauvre sans aucun réseau…
Une figure tragiquement perverse aussi que ce N., conscient des funestes prémices de son existence, mais dépourvu de la bravoure nécessaire pour infléchir le cours de sa vie vers un destin plus enviable. Captif d'une spirale d'alcoolisme, il se complaît dans cette déchéance. Il embrasse la folie comme une échappatoire à la banalité écrasante du quotidien. À force de faire l’original, comme la répétition de n'importe quoi d’ailleurs, on le devient… On finit par douter de ce qu’il raconte. Il n’est pas un homme du rêve, mais de ceux qui fantasment en continu, n’hésitent pas à poser pour eux-mêmes.
Nagui Zinet donne les clés de compréhension de son personnage sauvage, qu'il faudra découvrir en lisant le roman, sinon je bascule dans le spoiler…
Nagui Zinet brille sur le détail qui donne tout le sens caché des situations, des personnes, cet indicible, dans la brièveté. Un cas : « Sur le drap blanc, une femme, il y a longtemps, le suppliait d'aller chercher le pain. » Ce dernier, le juge Guyader, ne prend plus de petit déjeuner, et se nourrit un peu trop de thon en boîte. Cette phrase, « va chercher le pain », c’est le résumé du couple. Sans cette association si fragile, cette supplique devient plus obscure qu’une proposition de La phénoménologie de l’Esprit, aussi incompréhensible qu’une langue inconnue. Elle prend tout son sens quand on ne l’entend plus. On comprend alors de quelle énergie elle était remplie, quel signe elle transmettait.
Tu te demandes si l'amour n'est pas une invention humaine pour ne pas dîner en solitaire. Si les questions pratiques - les loyers, les vacances - ne prévalent pas sur tout le reste. L'amour seul ne s'évaporerait-il pas à une vitesse folle ? Voilà à quoi tu penses, en fumant une cigarette sur la terrasse. Tu l'écrases en haussant les épaules : tout cela ne te regarde pas.
Un premier roman écrit en trois semaines, à son arrivée chaotique dans la capitale, qui lui donne un même état d'esprit du début à la fin. Nagui Zinet n’a pas eu le temps de se regarder écrire, ce qui n’est pas pour nous et lui déplaire…
On l’aura compris, ce roman ressemble à son auteur, en exagéré, comme s’il se laissait aller. Derrière, il y a bien un révolté, qui pourra se lamenter de la faiblesse de l’époque, mais non par idéalisme, plutôt par exigence.
Beaucoup d’humour aussi chez ce primo-romancier référencé. Ceux cités précédemment, mais aussi Raymond Carver, Fitzgerald, Richard Yates, David Goodis, Godard, Jean Eustache, Alain Souchon, Charles Aznavour…
Découvrez ce premier ouvrage, qui ne pourra au minimum que vous interpeller. Une clarté déstabilisante et les mots bien choisis.
DOSSIER - Les romans à découvrir en librairie pour la Rentrée littéraire 2024
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 29/08/2024
109 pages
Editions Gallimard
15,50 €
1 Commentaire
Ausecours
19/08/2024 à 23:42
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