Depuis le début du mois de juillet 2024, le Bangladesh connait une vague de manifestations d'une ampleur rare, démarrée par une contestation estudiantine. Plusieurs semaines de répression plus tard, la Première ministre sortante a fui le pays, laissant la place à un « gouvernement intermédiaire » dirigé par Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie.
La contestation des étudiants bangladais portait sur le rétablissement d'un quota d’emploi de 30 % pour les descendants des vétérans de la guerre d’indépendance de 1971, au sein de l'administration gouvernementale. Le retour de cette mesure, suspendue en 2018, a été perçu comme une forme de clientélisme envers les membres de la Ligue Awami, organisation politique qui avait largement pesé dans le conflit contre le Pakistan.
Qui plus est, ce parti est dirigé par Sheikh Hasina, qui était alors la Première ministre du Bangladesh. Surnommée la « Dame de Fer de l'Asie du Sud », elle n'est autre que la fille d'une des personnalités clés de la Ligue Awami, le Sheikh Mujibur Rahman. Autrement dit, la politique du quota ressemblait fort à une mainmise politique sur l'administration...
Les protestations pacifiques ont dégénéré mi-juillet, quand des forces de sécurité et des membres de la Ligue Chhatra, satellite étudiant de la Ligue Awami, ont affronté les manifestants, rappelle Human Rights Watch. D'après les estimations de l'ONG au 7 août 2024, environ 300 personnes ont été tuées, pour des milliers de blessés et autour de 10.000 arrestations.
Le 5 août 2024, la Première ministre Sheikh Hasina a quitté le pays, présentant sa démission. Le jour même, dans un discours télévisé, le chef de l'armée du Bangladesh, Waker-Uz-Zaman, a indiqué qu'il formerait un gouvernement intérimaire, afin d'assurer la transition. « Le pays a beaucoup souffert, l'économie a été touchée, de nombreuses personnes ont été tuées, il est temps de mettre fin à la violence », a-t-il souligné, rapporte l'AFP.
Ce 8 août, le chef de ce gouvernement provisoire, Muhammad Yunus, a prêté serment à Dacca. Le lauréat du Prix Nobel de la Paix, âgé de 84 ans, sera entouré par des « conseillers », qui tiendront le rôle de ministres, parmi lesquels des défenseurs des droits humains et des représentants des mouvements étudiants contestataires.
On compte parmi ces conseillers Asif Nazrul, décrit comme un professeur de droit et écrivain — ses livres sont inédits en France — par RFI, ou encore Adilur Rahman Khan, militant des droits humains condamné à la prison sous le régime de Sheikh Hasina.
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Cette dernière fut Première ministre de 1996 à 2001, puis de 2009 à 2024, une longévité qui facilita les dérives autocratiques. Le Bangladesh était largement pointé du doigt par les organisations non gouvernementales pour ses infractions aux droits humains, multipliées après la pandémie de Covid-19 et l'entrée en vigueur, notamment, d'une loi sur la « sécurité numérique ».
La mort en prison de l'écrivain bangladais Mushtaq Ahmed, en février 2021, qui était emprisonné depuis le mois de mai 2020, après avoir été reconnu coupable de « diffusion de fausses informations » sur les réseaux sociaux, avait déclenché des manifestations dans le pays.
Muhammad Yunus doit désormais préparer le terrain pour des élections démocratiques : « Je défendrai, soutiendrai et protégerai la Constitution », a-t-il annoncé au moment de prêter serment, avant d'ajouter : « Nous ne pouvons pas avancer si nous ne réglons pas la situation en matière de loi et d’ordre. » Il a toutefois invité les étudiants à ne pas être « obsédés par les règlements de comptes, comme l’ont été trop de nos gouvernements précédents », selon l'AFP.
Le Prix Nobel de la Paix avait quitté le Bangladesh, où il avait été reconnu coupable d'infractions au Code du travail en janvier 2024. Opposant déclaré au régime de Sheikh Hasina, il était visé par 174 procédures judiciaires dans le pays, d'après une publication bangladaise, New Age. Son retour au pays a été facilité par son acquittement, dès le mercredi 7 août, dans un procès en appel à sa condamnation de janvier.
Alors professeur d'économie à l'université de Chittagong, en 1974, Yunus assiste à un épisode de famine au Bangladesh et s'interroge sur la manière dont ses théories pourraient changer la situation. Avec des étudiants, il fonde un groupe de recherche-action sur le microcrédit, qui débouche sur la création de de la Grameen Bank, reconnue établissement bancaire en 1983.
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Cette expérience et les théories de l'économiste ont été évoquées dans plusieurs ouvrages, dont certains ont été publiés en France. Citons ainsi l'autobiographie Vers un monde sans pauvreté, rédigée avec Alan Jolis (trad. Olivier Ragasol Barbey et Ruth Alimi), Pour une économie plus humaine — Construire le social-business (trad. Béatrice Merle d'Aubigné et Annick Steta) ou, plus récemment, Vers une économie à trois zéros — Zéro pauvreté, zéro chômage, zéro émission de carbone (trad. Olivier Lebleu). Tous ces titres sont disponibles au Livre de Poche.
Photographie : Muhammad Yunus, en 2017 (ODI Global, CC BY-NC 2.0)
Paru le 16/01/2019
350 pages
LGF/Le Livre de Poche
8,90 €
Paru le 24/10/2007
411 pages
LGF/Le Livre de Poche
8,20 €
Paru le 07/01/2009
372 pages
LGF/Le Livre de Poche
7,70 €
Paru le 03/10/2012
324 pages
LGF/Le Livre de Poche
7,90 €
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