RentreeRomans24 – Idole des jeunes propulsée dès l’âge de 11 ans dans le monde merveilleusement glauque de Mickey, Britney Spears a connu le pinacle avant la débâcle. De star à paria, une vie exposée dans les tabloïds autant que sur les écrans et les scènes… De quoi Britney est-elle le véritable symbole ? Celui d’une société patriarcale éreinte, affirme Louise Chennevière, dans un ouvrage foudroyant.
Le 15/08/2024 à 16:57 par Nicolas Gary
4 Réactions | 435 Partages
Publié le :
15/08/2024 à 16:57
4
Commentaires
435
Partages
Des cuissardes à talons noires, « ça fait pas un peu pute ? » Pour Britney est une réminiscence qui débute avec quelques souvenirs de préadolescente, celle que Louise Chennevière, jeune femme blonde dont le visage et la blondeur ne laisseraient pas imaginer la fulgurance des propos. C’est ce qu’elle a déjà entendu, bien que je le réécrive tel que je l’ai compris, pas lu. Pas tel qu’elle l’a écrit. Je crois que c’est le sens.
De toute manière, j’ai pris une telle claque avec cet essai, pour partie biographique, que si je me trompe, une de plus ne changera pas. Je m’en excuse par avance.
Baby One More Time fut le premier single de Britney Spears, sorti en 1998. Elle avait 17 ans, Louise une dizaine d’années de moins, par là. Elle vibrait, chantait et imaginait qu’elle rencontrerait un jour cette grande sœur des États-Unis. Quelqu’un avait dû l’écrire, cette histoire, c’est assuré.
En vieillissant, la fascination s’est tassée, voire enfouie quelque part dans la mémoire, pour ne rejaillir, bien plus tard. Quand la jeune chanteuse, devenue mère, dont les enfants sont partis avec leur père, à qui elle verse une pension alimentaire et qui, seule dans sa grande maison, danse devant les réseaux comme une démente.
Elle sort tout juste de la tutelle confiée à son père, Britney, elle avait tout et elle n’a plus rien… Mais les tabloïds et la vie des stars, ça ne vous intéresse pas, hein ? Moi non plus, à dire vrai, alors on l’arrête ce livre, c’est plus simple, non ? Surtout pas non.
Car surgit soudainement Nelly Arcan, l’écrivaine québécoise qui s’est suicidée à 36 ans, laissant une œuvre à la fois perturbante et fascinante, qui continue de résonner dans la littérature. Notamment Putain, son premier roman autobiographique, explorant sa propre expérience de la prostitution, du métier d’escorte. Avec une écriture incisive, pour raconter cette introspection déchirante.
Qu’est-ce que ces deux femmes ont en commun ? Avoir été jetée en pâture aux hommes, à la société patriarcale. Cela a beau être un monde d’hommes qui ne serait rien sans une femme ou une fille, comme chantait James Brown, c’est avant tout celui où toutes deux ont évolué. Et Louise Chennevière les rapproche, les relie, les unit, ajoutant sa voix à celle qu’elle leur prête. Comme elles, elle a subi son corps, « parce que ce corps c’est la chose qui se vend le mieux, et qu’il est universellement prouvé que la présence des femmes est en soi rentable dans l’univers des hommes ».
C’est Nelly qui l’écrit, mais Louise ne dit pas autre chose :
« Partout où je vais je vois que les hommes, regardent, parfois avec insistance, mes jambes. Je me fais remarquer. Aujourd’hui je crois que cela ne me gêne presque pas. Aujourd’hui c’est drôle, je me sens capable de supporter ce regard sans me sentir par lui anéantie, réduite à un être-corps, à quelque objet sexuel désiré oui, mais négligeable interchangeable, et sans, me sentir en danger. »
Certainement que Nelly a gagné littéralement de l’argent avec son corps, que Louise n’a pas eu à le faire, mais sur ce point, Britney les surpasse : son corps, exploité, montré, exhibé. Sa voix, oui, mais son côté adolescente en mesure d’exciter le mâle (blanc ou non) de plus de 40 ans et de faire haïr l’adolescente Britney par les mères américaines. Non qu’elle fut une menace directement, mais face à elles, que pouvaient-elles les ménagères, pour garder l’attention de leur époux ?
Et le corps des femmes, « est peut-être au fond la seule chose qui vend vraiment, la chose qui se vend derrière toutes choses, qui fait vendre tout le reste, et l’économie tout entière qui ne tourne que sur le dos de ce corps-là ».
Elles sont trois : une trinité sans hiérarchie, une sororité de l’exploitation pour que tourne la planète des hommes, qu’elle tourne bien, au rythme des jupes des filles qui tournent. Mais tout cela ne tourne pas rond. Pas du tout.
Je l’ai écrit, je vais le redire : c’est un ouvrage foudroyant, et pour la première fois de ma vie de lecteur, j’ai le sentiment d’être du mauvais côté de la page. Non que j’ai à assumer les exactions ni la grossièreté des autres mâles, mais résolument, je me suis senti mal. Très mal. Bousculé comme quand on s’assoupit sur une chaise et qu’on se réveille en sursaut, sorti de sa torpeur brutalement.
On peut n’avoir pas vécu dans une bulle, ne rien ignorer de toutes les choses répugnantes écrites dans les médias, racontées par les victimes et être brulé vif par les phrases de Louise Chennevière. Des mots qui forment des phrases, à la manière d’un esprit qui pense, comme si le récit s’écrivait avec la dimension erratique du cerveau qui aligne les réflexions, les remarques. Un fil conducteur, mais des pensées abruptes qui se suivent.
Les mots sortis du crâne pour dire les maux des corps, avec un martèlement plus frappé sur une enclume.
C’est le pouvoir pris par les hommes qui est pointé, c’est le rouge à lèvres trop rouge pour une adolescente, que les jambes écartées dans le métro qui laissent entrevoir une culotte, c’est un scandale. Et tant d’autres exemples empruntant à la vie de l’autrice, aux écrits de Nelly Arcan, aux humiliations, railleries, accusations, quolibets (pour le dire littérairement, injures pour être plus clair) qu’endura Britney Spears.
Et la chanteuse de pop devient soudain un mythe déconstruit, une femme détruite, comète foudroyée dont la traînée dans les cieux a désormais disparu. Car la prochaine victime est déjà sur l’autel expiatoire des désirs et des haines.
Pour Britney est une roue à tourner, comme une page usée d’avoir été tant lue : que l’on entre enfin dans une nouvelle ère, celle où Louise n’aurait pas à endurer ce qu’elle a traversé, pas plus que Britney Spears ni Nelly Arcan.
Un monde où aucune femme n’aurait à écrire encore un livre aussi fort. Pour Britney est un hommage autant qu’un cri, une leçon sans morale, un témoignage dont on ignore s’il est porteur d’espoir.
D’ailleurs, elles ne sont pas trois — des centaines de millions en réalité —, mais dans ce livre, elles sont quatre : une invitée surprise surgit en fin d’ouvrage. Cette femme qui dansa, dont le corps qui dansa, servit à acheter la mort d’un homme, sa tête sur un plateau d’argent.
Et Britney ? Eh bien...
« elle ne fait rien d’autre que danser comme bon lui semble avec ce qui lui reste de force avec ce qui lui reste de vie et, se montrer n’est pas nécessairement s’offrir combien de fois faudra-t-il le dire, combien, et là parmi ces dizaines de vidéos d’elle dansant dans des robes à paillettes dans la solitude d’une maison immense, elle avait posté hier Britney, un message disant qu’elle ne reviendrait plus jamais dans l’industrie de la musique ».
Un extrait est à retrouver en avant-première ici.
A paraître le 22 août.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 22/08/2024
144 pages
P.O.L
15,00 €
4 Commentaires
une autrice
16/08/2024 à 10:47
Grosse erreur sur les dates : les premiers tubes de Britney, c'est les années 1990, pas en 2020.
Team ActuaLitté
16/08/2024 à 13:18
En effet, grossière erreur.
Merci de votre intervention !
NAUWELAERS
16/08/2024 à 22:37
Vous pensez vraiment que les hommes de moins de quarante ans -vous évoquez ceux de plus de quarante ans, quid des plus jeunes ? -n'ont pas d'instinct sexuel, pas de lubricité, pas de «male gaze» ?
Des anges asexués qui deviennent sexués à partir de quarante ans (hétéros pour ce cas-ci) ?
Cela ne rime à rien.
Cette critique ne met pas assez l'accent sur les relations très difficiles de Britney avec son père.
Ce qui fait penser à la bien plus talentueuse Amy Winehouse mais question de goût.
Je pense que les femmes doivent se défendre dans la vie -mais les hommes aussi, très différemment -et que l'éducation, la force de caractère et les influences toxiques ou bénéfiques jouent pour beaucoup.
Je crois aux vérités humaines plus qu'aux grandes envolées idéologiques qui ratissent trop large et font primer la cohérence d'un certain discours aux vérités infiniment plus complexes de la vie, qu'on ne peut définir par de simples slogans.
On peut trouver des contre-exemples de femmes célèbres qui ont résisté avec force et naturel aux pressions patriarcales, sans victimisation mais avec détermination.
Les exemples à suivre, y compris pour les hommes, selon moi.
Courage à Britney, une personne très perturbée, esclave des réseaux sociaux (que l'auteur ne dénonce pas pour leur pouvoir...toxique), qui je l'espère finira par trouver un équilibre.
Elle me fait un peu penser -pas pour la chanson mais pour le caractère -à...Loana.
Et je ne plaisante pas.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Pierre la police
17/08/2024 à 13:06
Moi, elle me fait penser à Louise Chennevières, je ne sais pas pourquoi !!! On attend un vrai roman palpitant sur la trajectoire d'un incel.