Le philosophe forain Alain Guyard copie Sylvain Tesson en faisant son livre de cabane solitaire. Peut-être espère-t-il, enfin, atteindre le même succès que le poseur des Lettres françaises ? Rien à voir, car le « décravateur de concepts » et l'auteur de Dans les forêts de Sibérie, c'est la nuit et le jour. Le premier est du côté du satyre plutôt que de celui du saint, de Dionysos-Philippe Katerine. L'autre d'Apollon-Baptiste Morizot…
Le 06/08/2024 à 17:41 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
06/08/2024 à 17:41
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Sa cabane du fond d'un bois des Cévennes, Alain Guyard l'appelle un « mazet ». Un coin où le confort se fait discret, entouré de coutumes qui frisent l'austérité et de pensées qui vous tournent dans la tête comme des hiboux affamés...
Mais Guyard s’appelle Guyard et la volée de bois vert (en vieux germain, Guyard c’est l’amateur de bois dur, partage l'auteur dans son ouvrage, avec un air de pas y toucher) n’est pas qu’un vain mot : il cogne, et comment ! Sur les scribouillards d’apocalypses, les sauvages de pacotille, les ermites télévisuels, tous les marchands de misère quotidienne et autres disciples approximatifs de John Muir et Henry David Thoreau...
Ressort finalement de ce texte une philosophie du « ici et maintenant ». Amoureux des envolées lyriques et autres « conter fleurette », passez votre chemin, en revanche... La sensibilité y est contenue, mais loin d'être absente.
ActuaLitté : pourriez-vous, dans un premier temps, vous présenter à ceux qui ne vous connaissent pas encore ?
Alain Guyard : Mon parcours est celui d'un gamin rêveur, velléitaire et plutôt inapte à la vie active, errant entre la Champagne Pouilleuse et la Bourgogne morvandelle, et qui se laissa aller à des études de philosophie par refus de parvenir à quelque chose. Je suis d'un temps, en effet, où l'on embrassait la carrière de philosophe non pour la plus-value qu'elle accordait dans les bavardages mondains et l'esprit de sérieux, mais comme une voie de garage pour tous les brindezingues, fumistes et oisifs que l'idée d'aller bosser effrayait abominablement.
J'ai gardé, je crois, cet esprit d'une philosophie par nature rétive à son institutionnalisation, qu'elle soit éducative ou universitaire et je tombe des nues chaque fois que j'entends un philosophe pérorer dans un lieu de pouvoir. Pour ce qui me concerne, j'ai décidé d'en faire une pratique foraine, populaire et railleuse. Je renoue ainsi avec la tradition cynique des harangues bruyantes au coin des rues, des goliards défroqués qui donnaient leur contre-messe aux ribaudes et aux ruffians, et celles de chansonniers libertaires aux beuglantes dégoupillées dans les bistrots et les gargotes.
Enfin, je ne vais pas répéter ce que j'ai dit mille fois ailleurs : maraudeur métaphysique en prison, psychiatrie, bistrots, barnum de foire, etc., et même depuis peu, dérive psychogéographique pour te foutre la psychanalyse hors les murs et près du peuple.
Vous avez décidé de faire votre Dans les forêts de Sibérie, qu’est-ce qui vous a pris ?
Alain Guyard : Aucune idée. C'est venu comme un pet sur une toile cirée. Pendant deux ans, j'ai cherché à répondre à une commande publique de la région Ile-de-France sur une proposition autour de La Philosophie des Invisibles. Mais le résultat, terriblement chronophage, était décevant, pour moi comme pour mes éditeurs. J'ai la chance d'avoir des éditeurs qui ont la vertu de refuser ce qui leur est proposé.
C'est grâce à eux que j'ai appris à ne jamais écrire pour moi, dans un rapport de complaisance. Les résultats, ce sont vingt-quatre mois de boulot foutus à la poubelle et le déclic soudain : écrire n'est pas un travail, qui répond à une commande.
Dès lors, je laisse tomber la laborieuse pisse de copies. Et, comme par enchantement, sans effort et avec la vraie légèreté de celui qui s'en fout de produire un texte, me glisse de la plume, en trois semaines, ce petit bouquin mignon, fruit de la nonchalance et du refus de vouloir écrire quelque chose.
En quoi le cadre spécifique de la cabane a-t-il influencé le contenu et votre style ?
Alain Guyard : Tout le contenu du bouquin vient de ce que j'ai musardé dans ma cabane. Je ne voulais pas écrire sur la cabane. Mais comme je ne voulais pas écrire et que je ne voulais pas foutre grand chose, je me suis contenté de vivocher peinardement et de voir enfin pousser l'herbe. Autour de la cabane. Ce livre est le fruit d'un désœuvrement joyeux.
Quant au style, il a gagné en souplesse, parce que je n'ai rien voulu prouver et j'ai laissé venir. J'ai perdu la volonté d'écrire et l'ambition d'être lu. C'est peut-être à ce moment qu'on devient écrivain. Il m'aura fallu du temps...
On n’a pas à faire à un texte introspectif, ni même contemplatif. Vous ne parlez pas de tes états d’âme, mais de caca, de Rosemary, de « bestialité », d’un maçon converti pour arnaquer les néo-ruraux... Vous avez décidé de ne pas respecter les codes du genre ?
Alain Guyard : Kessel disait que pour être écrivain, il suffisait de savoir tirer au fusil. J'ai longtemps cru que c'était une ineptie militaro-macho. Mais je crois qu'on peut le comprendre aussi comme l'art d'observer, de viser juste, de voir seulement ce qui est contemplé et rien d'autre. L'art de voir, en somme.
C'est difficile, de voir. Parce qu'entre soi et ce qui est vu, s'entrelardent les mille couches de la culture et des discours antérieurs. De telle sorte que nous ne voyons souvent que la chose telle que reconstruite par tous les autres récits qui nous ont précédés. Vous croyez décrire la chose, mais vous ne dépeignez que la chose peinte par d'autres avant vous et qui fait obstacle à la vision de la chose. Beaucoup d'écrivains sont des descripteurs de tableaux de maîtres. Peu ont osé déchirer la toile, briser la verrière de l'atelier pour s'en aller au jardin.
Les codes du genre dans la littérature « cabaniste » ont été édifiés et célébrés, et repris, depuis des siècles. L'homme seul face à une nature ressourçant, régénérante. La communion panthéiste. L'authenticité des gens de terroir. La pureté de la nature. Toutes balivernes qui ne laissent pas la place à ce que je vois, moi, en déchirant la toile de ces impostures : dur d'être loin de la civilisation avec le tricotin tous les matins, comment et où chier trois fois par jour sans que votre terrain devienne un relais auberge pour sangliers, etc.
On croit descendre à la cabane et l'on retourne aux pages de Thoreau, Emerson, Li Po, Heidegger, Snyder, Ryokan, etc. On croit suivre une sente mais l'on suit une ligne.
Vous réalisez même un travail de « déconstruction » du genre « de cabane solitaire ». Comment vous en êtes arrivé à ça ?
Alain Guyard : Parce qu'écrire consiste à se délittéraliser, comme je le disais, à se débarrasser des livres qui ont dit le monde avant soi pour le retrouver sous l'épaisse couche de papier des bibliothèques. Ryokan, Dogen ou Li Po font ça très bien.
Mais il n'est même pas certain que le monde existe sous les couches de papier qui le racontent, parce qu'il n'est lui-même qu'un livre à l'intrigue un peu tordue, laquelle consiste en une enquête policière et métaphysique pour en identifier son scénario.
Ne pas être dupe du réalisme. Il n'est que du narratif. Il faut bien savoir raconter des histoires pour ne pas s'en raconter.
Finalement, tout ce texte s’inscrit dans une approche anti-idéaliste, ou dit autrement, matérialiste.
Alain Guyard : J'ai été profondément ému par une nouvelle de Flaubert, Un Coeur simple, qui raconte le destin quelconque et ordinaire d'une servante, effacée, sans autre vertu que celle de vivre sa petite vie, avec une constance malheureuse. Aucun relief, aucun sommet, aucun abysse. Une chambre de bonne, un pauvre amour sans suite, une vieillesse solitaire. Un perruche empaillée. Un baromètre. Rien.
Ou plutôt tout. Car il en faut de la force pour écrire sur cela qui est l'essence de la vie : Le peu, le jamais-trop. Point de ferveur ou d'héroïsme. Une écriture qui n'est pas au service de la grandiloquence. Or la littérature de cabane est toujours grandiloquence : dieu est dans les arbres, la vérité sur soi au bout du sentier, et les frères humains, bourrus mais agricoles sont des puits de sagesse. Seigneur que c'est lénifiant !, et faux surtout ! Mais cela fabrique un monde de substitution au nôtre qui sent bon la réaction et la vraie terre patrie.
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Dès lors, oser la simplicité n'est pas qu'une préoccupation esthétique, c'est aussi un combat politique, pour desciller le regard et crever toutes ces baudruches rousseauistes, édenistes, et souvent pétries de colonialisme blanc face à la nature vierge.
Il y a beaucoup d’humour dans ce texte, mais vous n’hésitez pas à être féroce. Vous vous attaquez à Sylvain Tesson sans vergogne, ou les néo-ruraux cités précédemment, et autres philistins. Quels sont vos griefs contre tous ces gens ?
Alain Guyard : J'aime bien dire du mal des tartuffes et des petits frelatés. C'est mon côté sale gosse, sans doute... je n'ai pas de prétention à démasquer la conjuration des imbéciles ou je ne sais quoi... Je n'ai d'ailleurs pas de leçons à donner à quiconque, ne brillant pas particulièrement dans le champ de l'éthique ou de la morale...
Mais, franchement, dans le champ de l'écriture, il y a une vraie volupté à élever le chamboul'tout au rang de grand art. Car la littérature permet ça : vandaliser les villes et saccager les églises avec la componction d'une mamie faisant du crochet.
C’est au final le texte de quelqu’un qui n’arrive pas à être sérieux. Ne serait-ce pas à force d’être tragique ? Ou alors une pratique du zen, soit « l’art d’être con comme la lune » ?
Alain Guyard : Je ne sais pas. Sous ma plume indolente sont revenues, sans que je le veuille, d'autres forêts, de mon enfance, forêts morvandelles où j'allais cueillir myrtilles et jonquilles et me régaler des plats de l'aïeul qui y tenait bistro, et où je fis mes premiers pas. Même ce texte, je n'ai pas été foutu de le suivre à la lettre.
Les Cévennes se sont faites la malle en route pour céder la place aux bois de la Nièvre. Tout est foutraque là-dedans, à mon insu mais pas à mes dépends, puisque j'en ai tiré des ravissements d'enfance ressuscités.
Et ce livre m'aura poussé à revenir au Morvan et à l'enfance. C'est la limite de mon tragique à moi, qui n'est guère méditation sur la mort, mais plutôt tournicoton des primes années. On n'est pas fait pour grandir. L'enfance me revient parce que je ne l'ai jamais quittée. J'ai moins écrit un livre que bu à la jouvence.e
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Le livre est par ailleurs agrémenté « de magnifiques linogravures » de Michéa Jacobi, à l'initiative de son éditeur, Antonin Bihr.
Alain Guyard confie : « Je n'ai pas de mots pour dire combien l'idée fut géniale. Les gravures de Michéa sont remarquables, elles n'illustrent pas mon propos mais l'éclairent du dedans. C'est la première fois que la maison d'édition Le Dilettante s'essaie à une telle collaboration, et je la trouve d'autant plus heureuse que moi-même je dessine, crayonne et gribouille au petit bonheur la mine ! »
Ma Cabane sans peine est paru au Dilettante.
Crédits photo : ActuaLitté
Paru le 24/08/2011
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20,00 €
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6 Commentaires
Pp
07/08/2024 à 07:04
Un cœur simple
Flaubert
Cyril
07/08/2024 à 07:31
Ce ne serait pas plutôt "Un cœur simple", la nouvelle de Flaubert qui l'a profondément ému ? ;-)
Andre Schmitt
07/08/2024 à 10:04
Bien mais... un tantinet voire carrément prétentieux avec tous ces sous-entendu, cette logorrhée lexicale, etc...
Marie
07/08/2024 à 10:05
La "copie" (unité de lieu) de Sylvain Tesson laisse un a priori favorable . Reste un monument : l'écriture...?
Kahouadji
08/08/2024 à 00:15
Voilà un philosophe authentique. Aucune prétention à opiner sur tout et n'importe quoi. A l'instar de ces clowns de télé.je m abstiens de citer des noms.bravo.je fais me faire parvenir vos œuvres. Merci
Pierre la police
28/08/2024 à 14:20
Encore un de ces donneurs de leçons atrabilaires qui se croient malins parce qu'ils vivent à l'écart du monde. La vérité, c'est que ce sont souvent des feignasses subventionnés jaloux de quiconque se paye un appart dans le 14 e et très contents d'eux. Balance sur tout le monde mais son narcissisme de looser ne supporte pas la critique. Personnage amusant à qui il faut donner un peu d'argent et de considération (vous êtes le nouveau Léon Bloy, mon Guyguy!) et il rentre souvent dans le rang pour se présenter à une académie quelconque, reniement qu'il présente évidemment comme une "évolution". On pense à l'anecdote sur Socrate croisant Diogène en train de faire le Kéké à qui il dit : " Je vois la vanité à travers les trous de ton manteau".