De la Bible au Cid, il n’y a qu’un pas. Dans un discours donné à Rome le 17 juillet 2024, le pape François a célébré la lecture dans une véritable ode littéraire, affirmant avec conviction qu’il « ne s’agit pas d’une activité dépassée ». Selon lui, la lecture est essentielle à la foi : un bon livre peut être bien plus efficace qu’une prière. La littérature s’invite ainsi dans les formations de l’Église, révélant au passage les goûts personnels de celui qui fut autrefois professeur de littérature...
Le 06/08/2024 à 12:17 par Louella Boulland
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Publié le :
06/08/2024 à 12:17
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« Lorsque nous ne parvenons pas, même dans la prière, à trouver la tranquillité de l’âme, un bon livre nous aide à traverser la tempête jusqu’à ce que nous retrouvions un peu de sérénité », a confié le pape François dans un discours donné à Rome, près de la Basilique Saint-Jean-du-Latran, le 17 juillet dernier.
Dans ce texte ponctué de multiples références à des figures littéraires telles que C.S. Lewis, T.S. Eliot, Marcel Proust et Jorge Luis Borges, le pape François affirme que la lecture fait « partie du chemin vers la maturité personnelle ». Lire permet ainsi à chacun d’atteindre un monde invisible à nos yeux, un lieu pur et inaccessible : c’est un « accès privilégié au cœur de la culture humaine et plus précisément au cœur de l’être humain ».
Le chef de l’Église critique la mauvaise réputation de la lecture, regrettant que sa pratique soit dévalorisée au profit de divertissements contribuant à « l’appauvrissement intellectuel ». Il nomme explicitement les écrans, les médias audiovisuels, les réseaux sociaux et les téléphones portables comme responsables.
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Si certains qualifient ce passage de « vieux jeu », le jésuite argentin reste ferme : l’utilisation des écrans expose au danger des « infox empoisonnées, superficielles et violentes ». Il regrette ainsi le temps où les moments de détente n’étaient pas perturbés par les nouvelles technologies, « ceux qui l’ont connu savent de quoi je parle », se remémore-t-il.
« Contrairement aux médias audiovisuels où le contenu est livré tel quel et où la marge et le temps pour “enrichir” le récit et l’interpréter sont généralement réduits, le lecteur est beaucoup plus actif dans la découverte d’un livre », poursuit-il.
Le lecteur peut ainsi réinventer l’œuvre de l’auteur par le simple fait de son interprétation, l’enrichir de son imagination, mobiliser ses talents, faire appel à sa mémoire, ses rêves et son histoire personnelle. Selon le pape, il ne s’agit plus d’une activité solitaire, mais d’une collaboration silencieuse et partagée entre l’auteur et le lecteur.
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Un autre bienfait de la lecture est qu’elle ouvre « de nouveaux espaces intérieurs, qui nous aident à ne pas nous enfermer dans les idées obsessionnelles qui nous tiennent inexorablement ». Mais au-delà des éloges intellectuels, la littérature permettrait aux croyants de toucher directement le cœur des hommes, dans un espace fermé au langage oral, rendant sa pratique essentielle à la formation de tout fidèle qui souhaite comprendre et aimer son prochain.
Par son influence dans la sphère religieuse, le pape François, de son vrai nom Jorge Mario Bergoglio, aspire à replacer la lecture au cœur de la formation de tous les agents pastoraux, et, plus largement, des chrétiens. Celle-ci est en effet souvent perçue comme un simple divertissement, une forme secondaire de culture jugée inutile pour la préparation et l’expérience pastorale concrète des futurs prêtres. « Je voudrais affirmer que cette approche n’est pas bonne », souligne-t-il.
Il propose ainsi « un changement radical de démarche », permettant aux prêtres et poètes de ne former qu’un. « Une fréquentation assidue de la littérature peut rendre les futurs prêtres et tous les agents pastoraux encore plus sensibles à la pleine humanité du Seigneur Jésus. »
Si les 44 paragraphes écrits par le Pape François ne parviennent pas à convaincre les plus récalcitrants, malgré les études scientifiques qu’il cite pour prouver les bienfaits de la lecture, l’homme de 87 ans fait un bond de près de 60 ans en arrière.
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Retour à l’époque où l’actuel chef de l’Église enseignait la littérature à Santa Fe dans une école de jésuites. Il se souvient des difficultés rencontrées pour inciter les lycéens à lire Le Cid, tragédie de Pierre Corneille créée en 1637. « Les jeunes n’aimaient pas ça. Ils demandaient à lire García Lorca », confie-t-il.
Passionné par l’histoire de Rodrigue, déchiré entre l’amour pour Chimène et le devoir de venger son père, le jeune professeur persiste, convaincu que l’étude de la pièce sera bénéfique à ses élèves. « J’ai donc décidé qu’ils étudieraient Le Cid à la maison et que, pendant les cours, je traiterais d’auteurs que les jeunes préféraient », tranche-t-il.
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Mais, à mesure qu’ils se plongeaient dans les ouvrages, les élèves développaient un goût plus vaste pour la littérature et la poésie, les menant à découvrir et apprécier d’autres auteurs. Une finalité que l’ex-enseignant explique ainsi : « Le cœur cherche davantage, et chacun trouve sa voie dans la littérature. »
L’occasion pour François d’en dire plus sur ses goûts littéraires. « J’aime les artistes tragiques parce que nous pouvons tous ressentir leurs œuvres comme nôtres, comme expression de nos drames. En pleurant sur le sort des personnages, nous pleurons en réalité sur nous-mêmes et sur notre vide, sur nos défauts, sur notre solitude. »
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Mais, gare aux quiproquos : à chacun sa recherche du Saint Graal littéraire. « Chacun trouvera des livres qui parlent à sa propre vie et qui deviendront de véritables compagnons de route. Il n’y a rien de plus contre-productif que de lire par obligation [...]. Non, nous devons choisir nos lectures avec ouverture, surprise, souplesse, en nous laissant conseiller, mais aussi avec sincérité, en essayant de trouver ce dont nous avons besoin à chaque moment de notre vie », conclut-il.
Crédits image : Lajoumard, CC BY SA 2.0
4 Commentaires
Lucy Fair
06/08/2024 à 20:19
Je viens de lire le discours du Pape sur mon ordi. Et pire, horresco referens, il m'arrive de lire des poèmes sur ma tablette Kindle !
Avec 2 ave et 3 paters, échapperais-je à un aller simple pour la Gehenne ?!
Marie
07/08/2024 à 10:10
Lire, c'est alimenter son esprit, autant (et sans-doute plus) , que son corps. Vital donc.
Nimo
07/08/2024 à 11:12
Merci Saint-Père de cette fine analyse
Johnjohn
13/08/2024 à 19:01
Merci pour cette très bonne recension du discours du pape du 17/7
Je mets le lien pour ceux qui voudraient lire l’original : https://www.vatican.va/content/francesco/fr/letters/2024/documents/20240717-lettera-ruolo-letteratura-formazione.html