Les Jeux olympiques battent leur plein pour quelques jours encore : leur succèderont les Jeux paralympiques fin août, pour une rentrée tout aussi sportive. Pour l'occasion, le journaliste Nelson Monfort publie Mémoires Olympiques, ouvrage qui dépasse le récit sportif : on y redécouvre l'essence même de cet événement mondial à travers les yeux d'un témoin très privilégié.
Depuis leur instauration par un monsieur, Pierre de Coubertin, dont l’esprit olympique avait une interprétation assez définie, les Jeux olympiques ont passablement évolué. Un témoin comme Nelson Monfort en parle d’autant plus facilement qu’il débuta en 1992 avec ceux de Barcelone — porté par l’hymne que chantèrent Freddie Mercury et Montserrat Caballé (enregistré en 1987, le chanteur est décédé en novembre 1991).
Et pour balayer un siècle de Jeux, l’humilité est de mise autant que les remarques personnelles : commentateur sportif à la carrière considérable, il nous propose un florilège d’anecdotes racontant l’évolution de la manifestation et son impact. D’autant qu’il accompagne encore les athlètes au cours de ces Jeux de Paris 2024. « C’est très intense, en effet : couvrir cet événement, on ne peut pas dire que ce soit de tout repos », assure-t-il à ActuaLitté.
Cet ouvrage, explique-t-il, « c’est un retour à mes premières amours pour l’écriture : avec Elsa et Michel [Lafon, les éditeurs, NDLR], nous sommes revenus à un livre qui me ressemble plus ». De fait, son premier titre avec la maison portait sur l’ufologie.
Celui qui anima sur France Culture Les Mélodies de Nelson, émission musicale dont la référence à Gainsbourg est délicieuse, ne brosse cependant pas les Jeux dans le sens de la flamme. « J’observe que nous sommes entrés depuis des années dans un commerce du sport, plus que dans l’incitation à la pratique sportive. Bien entendu, tout ne peut pas être parfait, mais en regard des premiers temps, je pense que nous sommes parvenus à l’inverse de ce qui était recherché », reprend-il.
« Les JO ont perdu l’esprit de leur créateur, en effet. » Une évolution qui découle de choix opérés par le CIO, écrit-il :
Depuis les Jeux de Tokyo 2020, le CIO accepte, sur proposition du Comité d’organisation, certains sports invités pour une seule édition. Espérant surfer sur leur popularité en France, des disciplines comme la pétanque ou le ski nautique ont fait acte de candidature pour avoir leur place aux Jeux de Paris 2024. Finalement ont été retenus l’escalade, le surf, le kitefoil, le skateboard et... le breakdance.
Le karaté, discipline invitée à Tokyo, ne figurera pas au programme de Paris... Au grand désarroi de sa fédération, qui espérait que le Comité d’organisation reviendrait sur cette étonnante décision. En réponse à leur réclamation, il a expliqué que le choix se portait sur “des sports qui cartonnent sur les réseaux sociaux”... Quelle drôle de manière de choisir !
En outre, si le breakdance était repris à Los Angeles, on y verrait une cohérence. « Que le CIO souhaite rajeunir l’audience et l’audimat, on le comprend. Mais l’épreuve disparaîtra pour Los Angeles 2028 : quel message fait-on passer ? »
Et ce, alors que les Jeux auraient plutôt vocation à populariser des sports qui n’existent qu’à travers ce rendez-vous. « Quand en 1992 arrive la Dream Team des basketteurs américains, le sport est totalement méconnu du public. Aujourd’hui, voyez l’effet que cette vague a entraîné », s’enthousiasme Nelson Monfort. De fait : plus de 8 millions de téléspectateurs pour suivre la finale Hommes du Basket 3x3… une véritable réussite.
« Quand des sports hyper professionnalisés et médiatisés, comme le football, le tennis, ou le golf, comptent parmi les disciplines olympiques, je m’interroge : pourquoi ? Car cela réduit la place accordée à des sportives et sportifs autour de disciplines et d’épreuves dont les amateurs — dans le sens néophyte — n’entendront plus parler avant quatre années ! Quel dommage ! »
Lui qui cite Louis Jouvet garde à l’esprit que son rôle d’intervieweur, toutes ces années durant, visait avant tout à mettre en valeur les athlètes. Avec quelque chose de théâtral et un style Monfort reconnaissable entre mille. « Je me suis toujours mis à leur service, et avec le temps, on sait si un entretien est raté ou réussi, dès les premières questions. »
Saisir le mot juste, la parole du vainqueur, de la lauréate, essoufflé et débordant de joie — évidemment, c’est autre chose que la remise d’un prix Goncourt : pas le même type d’épreuve. « Je me considère comme un passeur d’émotions : cela implique de respecter la personne et sa performance, pour commencer. »
Ces sportifs qui sont les premières victimes des manigances commerciales poursuit-il dans ces Mémoires olympiques :
« Dès mes premiers Jeux d’été, à Barcelone en 1992, je me rends rapidement compte du rôle que jouent les coulisses et de l’importance des dirigeants dans cet événement. De toute évidence, dans sa forme actuelle, le sport ne peut survivre sans la télévision. C’est l’élément clé qui incite les sponsors à investir. C’est ce qui explique la lutte concurrentielle acharnée que se livrent les grandes chaînes d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie...
On ne peut que le regretter : les dimensions éducative, culturelle et humaine des Jeux olympiques s’effacent devant les impératifs d’audience et de parts de marché qui sont les baromètres incontournables de la santé d’une chaîne. À ce petit jeu, le meilleur sport est celui qui rapporte le plus : plus de spectateurs, plus d’argent, plus de publicité. »
Alors, cet essai historique autant qu’analyse sur les dérives prend d’autant plus d’importance. « Le sport est vecteur de rassemblement : quand on assiste aux débordements du match France-Argentin et ce règlement de comptes qui vire au pugilat, ça devient épouvantable. »
La référence à cette bagarre lors du quart de final remporté par les Bleus n’a échappé à personne :
« Qu’elle soit collective ou individuelle, la pratique sportive représente un des derniers refuges pour le vivre ensemble — c’est à dire ce qu’il y a de bien dans notre vie. Les sportifs n’ont peut-être pas tous assez conscience de cette exemplarité qu’ils portent. Tout le monde est prêt à les aimer : encore faut-il savoir se faire aimer », tranche le journaliste. « Et où se trouve le professionnalisme dans ces attitudes des footballeurs ? »
Au fil de l’ouvrage, Mémoires olympiques, il revient ainsi sur une édition particulière, révélant les exploits des athlètes et les moments marquants. Et excelle dans l’art de peindre des portraits vivants, certes, mais nuancés surtout : le récit ne se borne pas aux exploits ni au dépassement de soi, mais plonge dans les échanges — comme ces quelques instants avec Carl Lewis, à Barcelone. De quoi humaniser celles et ceux que l’on observe derrière le petit écran ou dans les stades, pour leur conférer plus qu’une dimension de machine performante.
De Paris 2024, il revient l’intensité, bien entendu, mais nous parle plus personnellement de cette rencontre interreligieuse qui s’est déroulée le dimanche 4 août sur le parvis de Notre-Dame. « C’était un moment exceptionnel de communion et de collectif », souligne Nelson Monfort qui animait ce temps. Représentants des cultes juif, catholique, orthodoxe, protestant, musulman, hindou, bouddhiste, élus politiques et responsables des Jeux olympiques. Une volonté de paix entre les nations, les peuples et les religions, à l’initiative du CIO — pour que le message de concorde des Jeux dépasse le cadre sportif.
Alors oui, le sport et les JO sont devenus des industries, dont il espérerait qu’elles motivent à une pratique plus généralisée en France. « L’Australie est un magnifique exemple : tous les habitants ont une pratique sportive régulière. La France est aussi un pays de sportifs, mais il serait bon de l’intégrer plus encore dans le cursus scolaire. »
On verra alors ces Mémoires olympiques comme une déclaration d’amour aux sports, autant qu’au journalisme. « La professionnalisation pour les sportifs n’a pas que des bons côtés, tant s’en faut. De même, le métier de journaliste n’évolue pas nécessairement dans le bon sens. » Et de prendre pour symptôme cette séquence instaurée : dès que les athlètes ont reçu leur médaille, ils prennent un selfie sur le podium avec un téléphone Samsung, sponsor des Jeux.
« Oui, je souhaiterais retrouver plus d’humanité et de simplicité », reconnaît-il. Venant d’un tel passionné, qu’attendre d’autre ?
Crédits photo : Complicité de toujours entre Hicham El Guerrouj et Nelson Monfort, au meeting Gaz de France en 2008. © Editions Michel Lafon - Olivier Andrivon/Icon Sport via Getty Images.
Paru le 06/06/2024
253 pages
Michel Lafon
19,95 €
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