L’enfance est le souvenir vivant d’un pays lointain, John Reichenbach a des racines profondes et aimantes du côté de sa mère : l’Irlande. Ce « petit pays » est plus qu’une île, c’est, pour l’auteur de ce formidable ouvrage, un continent avec un âme. Propos recueillis par Christian Dorsan.
De ces étés passés chez ses grands-parents, il garde de ce pays une passion qu’il sait transmettre aux lecteurs. Longtemps considéré comme un pays rural, malmené par l’Histoire avec des exodes massifs dues aux famines, soumis à la religion catholique très présente dans la société, l’Irlande s’est réveillée en adhérant à l’Europe et s’est révélée depuis les années 90 en accueillant nombre d’entreprises étrangères et en adoptant des réformes sociétales importantes.
Ces changements profonds n’ont cependant pas altéré et affecté « l’âme irlandaise », la notion d’identité est plus forte, la langue gaélique est en pleine renaissance et la culture irlandaise s’exporte à travers le monde par la musique et la danse.
Véritable dictionnaire amoureux, Comprendre les Irlandais est un guide qui offre un inventaire complet de l’Irlande actuelle avec d’excellentes explications sur son histoire pour appréhender ce pays unique, ses habitants attachants qui furent même parfois appelés les latins du Nord
Rencontre avec le plus Irlandais des Français, John Reichenbach.
Christian Dorsan : On sent une affection profonde pour votre pays de racine, quelle est la part de l’homme et celle du journaliste dans ce guide ?
John Reichenbach : Je me rends dans mon pays maternel chaque année depuis tout petit. À chaque fois, c’est un retour aux sources. Ma mère est née dans les années 1930 dans l’ouest de l’île, région qui fut, encore dans les années 1970, l’une des plus sauvages et les plus pauvres d’Europe. Elle avait 12 frères et sœurs. Dans la petite ferme au toit de chaume, on élevait quelques poules, vaches et cochons. On se chauffait avec de la tourbe. Il n’y avait ni eau courante, ni électricité. La nourriture était sommaire. Il fallait marcher une heure pour aller à l’école.
Comme l’immense majorité des jeunes Irlandais, ma mère a pris le bateau pour traverser la mer d’Irlande et émigrer vers l’Angleterre. Il a fallu attendre l’adhésion à l’Europe au milieu des années 70 pour voir l’Irlande sortir de la misère. J’ai pu effectuer de nombreux reportages en Irlande à partir des années 1990 pour la radio et la télévision, notamment pour ARTE, sur les scandales au sein de l’l'Église catholique, sur l’interdiction de l’avortement et sur tout ce qui constitue la « différence irlandaise » : la langue et les sports gaéliques, la musique et la danse ou encore la littérature.
À la disparition récente de ma mère, j’ai voulu me plonger dans l’histoire mouvementée de l’île, comme une sorte de quête intime… et j’ai proposé à mon éditeur Riveneuve d’écrire ce livre sur les Irlandais et qui s’intégrait parfaitement dans leur collection : « Comprendre les Peuples ». Mon livre est un guide de voyage assez spécial « à l’attention des voyageurs qui ne veulent pas à tout prix éviter les habitants du pays qu’ils visitent ». J’ai rencontré des dizaines d’Irlandais du Sud comme du Nord de l’Irlande, des paysans, des universitaires, des écrivains, des sportifs, des conteurs, des musiciens.
Depuis les années 90, beaucoup de changements sont intervenus : mariage gay, divorce, contraception, etc… Comment ont été abordés ces débats de société ?
John Reichenbach : C’est une véritable révolution sociétale qui a eu lieu sur cette petite île depuis la fin des années 90. Le divorce n’a été légalisé qu’en 1995. Même chose pour la contraception. L’Irlande s’est ouverte au monde, en entrant dans l’Union européenne, les Irlandais ont commencé à voyager et sont revenus en Irlande avec une plus grande ouverture d’esprit.
L’Irlande deviendra même dans les années 2010 un modèle de démocratie participative. Trois assemblées citoyennes feront évoluer la Constitution. C’est par votes populaires massifs que le mariage homosexuel sera légalisé en 2015 et l’avortement en 2018. Jadis à la traine, l’Irlande devient ainsi le premier pays du monde à légaliser par référendum le mariage homosexuel. Cette évolution marque la disparition de l’ascendant moral de l’Église catholique sur la société irlandaise.
Pensez-vous que l’arrivée massive d’employés étrangers a apporté des nouveautés en Irlande ?
John Reichenbach : L’irruption du « Tigre celtique » au milieu des années 1990 a pris tout le monde par surprise. La République d’Irlande a connu une croissance économique quasi-exponentielle, favorisée d’abord par l’entrée du pays dans l’Union européenne. Il faut dire que, contrairement à la France, la République Irlande n’avait pas connu les Trente Glorieuses. Elle est passée en quelques années d’une société enclavée, insulaire, catholique, rurale et agricole à une société ouverte, individualiste, libérale, sécularisée et urbaine.
Les Irlandais ont désormais parfaitement épousé la mondialisation en raison aussi de leur cosmopolitisme acquis à travers leur diaspora dispersée à travers le monde. Les multinationales américaines ont se sont massivement installées sur l’île, notamment les multinationales de la tech, Apple, Meta, X, LinkedIn, Microsoft, IBM, Dell et tant d’autres y ont installé leurs sièges européens avec beaucoup d’arrière-pensées fiscales.
Mais pas seulement, il y a aussi une proximité culturelle et linguistique réelle avec le monde anglo-saxon. Des milliers de jeunes du monde entier se sont également installés en Irlande pour travailler dans la tech à Dublin ou dans l’industrie pharmaceutique. Ce brassage a favorisé une autre vision du monde…avec une plus grande ouverture d’esprit.
La diaspora irlandaise est très fière de son identité, comment cela se concrétise-t-il ?
John Reichenbach : Il y a dans le monde environ 70 millions de personnes qui se réclament d’origine irlandaise, en plus des 7 millions d’Irlandais qui habitent déjà sur l’île d’Irlande (5 millions dans la République et 2 millions dans le Nord sous influence britannique). Il faut savoir que 23 des 46 présidents américains sont de proche ou de lointaine origine irlandaise… La diaspora irlandaise, notamment aux États-Unis, a longtemps été très influente notamment au sein du parti démocrate américain, des syndicats ou de l’Église catholique outre-Atlantique.
Aujourd’hui, l’Irlande est présente dans les cœurs de millions d’Irlando-américains, d’Australiens ou d’Argentins. Ils apprennent le gaélique d’Irlande, pratiquent la musique folk irlandaise ou les danses irlandaises ou pratiquent des sports gaéliques comme le football gaélique ou le hurling.
Le Brexit accéléra-t-il la réunification ?
John Reichenbach : C’est fort probable. Les Irlandais installés dans le Nord, qu’ils soient d’origine catholique ou protestante, ont voté à une forte majorité contre le Brexit. Une véritable révolution a eu lieu en février 2024 avec la désignation pour la première fois depuis la partition de l’île en 1922, d’un leader républicain en Irlande du Nord. Michelle O’Neill, femme, catholique a été désignée comme première ministre de cette enclave du Royaume-Uni sur l’île d’Irlande.
Il est fort probable que l’Irlande du Nord, même si cela risque de prendre encore quelques années ou décennies, sera réunifiée un jour. D’un point de vue démographique, les choses sont également en train de changer.
D’après vous, qu’est ce qui caractérise l’âme irlandaise et quel est son avenir ?
John Reichenbach : Les Irlandais sont fortement attachés à leur culture spécifique. La langue gaélique connait une véritable renaissance, la musique traditionnelle se joue dans les pubs mais aussi sur les scènes des innombrables festivals. Elle s’est mondialisée, on pense à U2, l’un des plus grands groupes de rock au monde qui vient de Dublin et qui écume des scènes du monde depuis une quarantaine d’années.
La danse irlandaise est également très vivace. Les grandes troupes comme Riverdance ou Lords of the Dance ont déjà attiré des dizaines de millions de spectateurs un peu partout sur la planète. Et puis, il y a la littérature. Ce petit pays a produit quatre Prix Nobel : William Butler Yeats, George Bernard Shaw, Samuel Beckett et Seamus Heaney et je n’ai pas mentionné James Joyce ni Oscar Wilde, mondialement connus.
La nouvelle vague littéraire irlandaise est actuellement incarnée par des femmes, de jeunes autrices qui racontent l’Irlande contemporaine, génération Y, problèmes sociaux, désillusion, relations amoureuses ou féminines. La plus connue d’entre elles, Sally Rooney, née en 1991, a bouleversé le monde avec une histoire complexe entre deux adolescents, Normal People, best-seller planétaire et adapté en série télé.
L’Irlande est également une destination de choix pour les industriels du cinéma et attire des productions colossales. C’est à Belfast qu’a été tournée la série Games of Thrones. Près de Dublin, des dizaines de films ont été réalisés comme Excalibur ou Barry Lyndon. Les plages du débarquement d’Il faut sauver le soldat Ryan ne se trouvent pas en Normandie mais dans le comté de Wexford à la pointe sud-est de l’Irlande.
Avec ses paysages à couper le souffle, l’Irlande est une terre idéale pour réaliser des films fantastiques. La série Vikings a été tournée dans la vallée de Glendalough autour de son monastère médiéval. L’épisode VIII de la saga de Stars Wars (Les Derniers Jedi) a été tourné sur les îles sauvages de Skellig, au sud-ouest de l’île.
Crédits image : Diogo Palhais / unsplash
Par Christian Dorsan
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 22/02/2024
294 pages
Riveneuve éditions
18,50 €
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