Après avoir consacré une semaine à l'intérêt de la lecture dès le plus jeune âge, le professeur au Collège de France à la chaire de psychologie cognitive expérimentale, Stanislas Dehaene, récivide. Dans son émission Une idée dans la tête, sur France Inter, il s'est concentré cette semaine sur le mystère de la dyslexie, ou « quand l’apprentissage se bloque ».
Le 26/07/2024 à 16:04 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
26/07/2024 à 16:04
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La dyslexie est un trouble d'apprentissage caractérisé par des difficultés persistantes en lecture, indépendamment de l'intelligence, de l'environnement familial ou scolaire, rappelle en préambule le chercheur. Ce trouble possède une base biologique partiellement génétique, avec des études identifiant des gènes candidats spécifiques.
Des recherches en IRM fonctionnelle, comme celles menées avec l’IRM de NeuroSpin, ont montré des anomalies dans le développement cérébral des dyslexiques, notamment une sous-activation de la région désignée comme la « boîte aux lettres du cerveau ».
Stanislas Dehaene est formel : ces anomalies sont universelles, affectant les dyslexiques dans tous les pays. Les anciennes théories, comme celle du Dr. Samuel Orton sur la lecture et l'écriture en miroir - lire et écrire des lettres ou des mots comme s'ils étaient reflétés dans un miroir, confondant par exemple le b et le d -, ont été réfutées, soulignant que ce phénomène est naturel chez les jeunes enfants, sans lien direct avec la dyslexie.
Ces théories anciennes suggéraient un problème de latéralisation ou de vision qui entraînaient des lectures en miroir. La recherche moderne identifie la dyslexie principalement comme un trouble du traitement linguistique, particulièrement dans la perception et la manipulation mentale des phonèmes.
Les dernières études jugées sérieuses par le professeur au Collège de France montrent que, dès six mois, les bébés à risque de dyslexie distinguent moins bien les variations sonores dans les mots. L'intervention précoce, axée sur des jeux de langage dès la maternelle, peut stimuler les circuits cérébraux liés à la lecture et potentiellement prévenir certains troubles de lecture, selon des recherches en imagerie cérébrale.
La recherche indique par ailleurs que notre cerveau est très efficace dans le traitement séquentiel des mots pendant la lecture, ne nécessitant qu'un cinquième de seconde pour acquérir suffisamment d'informations sur un mot avant de passer au suivant. Ce processus rapide permet de lire environ 200 mots par minute, avec des mouvements oculaires fréquents.
Ce mécanisme peut néanmoins mener à des erreurs, notamment dans les cas de « dyslexie attentionnelle », où les régions cérébrales peuvent se chevaucher dans le traitement des mots, créant des conflits similaires à ceux d'une chaîne de montage, où chaque zone du cortex doit traiter un mot avant de le passer à la suivante.
Lors de la lecture, notre cerveau est capable de tolérer et de corriger diverses déformations des mots, cependant, il reste sensible à l'ordre des lettres, souligne encore Stanislas Dehaene, ce qui explique pourquoi nous pouvons distinguer des anagrammes.
Une particularité de la perception visuelle nous permet de lire des mots avec des lettres internes interverties tant que la première et la dernière lettre restent à leur place, facilitant ainsi la reconnaissance des mots. Cette capacité est exploitée dans certains contextes publicitaires, comme l’acronyme « FCUK » de French Connection UK, qui joue sur cette perception...
Des recherches montrent par ailleurs que certaines formes de dyslexie résultent d'une mauvaise perception de l'ordre des lettres, menant à des confusions entre mots similaires. Des diagnostics spécifiques, comme le test du Malabi, et des interventions ciblées peuvent aider à améliorer cette perception chez les enfants dyslexiques.
Enfin, Stanislas Dehaene évoque le danger des solutions miracles, à travers l'exemple de la vente de lunettes prétendument adaptées aux dyslexiques par « un opticien réputé », - Atol pour ne pas le citer -, qui a été qualifiée de scandaleuse par la communauté scientifique, car manquant de fondement scientifique.
Cette idée originale provient d'un groupe de physiciens de l’Université de Rennes qui ont postulé, sans preuves solides, que les dyslexiques présentaient une anomalie dans l'organisation des récepteurs de lumière dans la rétine. Des tests approfondis menés par la chercheuse Marie Lubineau sur des lecteurs normaux et dyslexiques, utilisant les lunettes et des lampes spécifiques, n'ont montré aucun effet bénéfique, confirmant l'absence de validité de cette approche pour traiter la dyslexie...
Du côté des solutions plus solides, citons MOBiDYS, fondée en 2015 à Nantes, qui se spécialise dans l'adaptation numérique et imprimée de livres pour élèves avec des troubles DYS, de l'école primaire au lycée. Le principe : adapter les textes aux besoins spécifiques des dyslexiques, avec un accent particulier sur les manuels scolaires et les ouvrages académiques.
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Pour explorer davantage les travaux de Stanislas Dehaene, retrouvez tous les épisodes de sa série estivale sur France Inter, Une idée dans la tête.
Les résultats d'un sondage publié fin 2022 par OpinionWay pour Lili for Life révélait que bien que la dyslexie soit un trouble largement reconnu, de nombreuses idées fausses subsistaient parmi la population française. La dyslexie, un trouble spécifique du langage et des apprentissages, touche entre 6 et 8 % de la population, selon la Fédération française des Dys. Cependant, 58 % des personnes interrogées s'estimaient mal informées sur ce sujet.
Le sondage avait également mis en lumière des idées reçues erronées, telles que la guérison possible de la dyslexie, ou son association à la si débattue méthode globale d’apprentissage et à un retard mental. La dyslexie était reconnue comme un handicap par 77 % des sondés, souvent associé à la dysgraphie et la dysorthographie.
À noter, dans son livre Les neurones de la lecture (2007, Odile Jacob), Stanislas Dehaene a étudié par IRM fonctionnelle l'impact des méthodes d'apprentissage de la lecture sur les enfants. À partir de ses recherches, il y souligne qu'historiquement notre cerveau n'a pas évolué spécifiquement pour lire, mais a développé une zone spécialisée, le cortex occipito-temporal ventral gauche.
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Il affirme en outre que la méthode syllabique active cette région cérébrale dédiée, située dans l'hémisphère gauche, tandis que la méthode globale, qui encourage la mémorisation des mots entiers, sollicite davantage l'hémisphère droit. Il conclut ainsi que les adultes ayant appris à lire via la méthode syllabique sont généralement de meilleurs lecteurs que ceux formés par la méthode globale. Une conclusion qu'il a réaffirmé à l'occasion d'une de ses chroniques de l'été pour France Inter.
Le sondage pointe par ailleurs que parmi les symptômes identifiés, les personnes dyslexiques éprouvent notamment des difficultés de compréhension et une lecture lente. Malgré ces défis, beaucoup d'individus dyslexiques ne sont pas conscients de leur condition et tentent souvent de la dissimuler, notamment dans un contexte professionnel.
Les sondés avaient finalement exprimé une volonté de combattre les difficultés liées à la dyslexie, en appelant à des campagnes de détection plus robustes, à un meilleur accompagnement, ainsi qu'à la sensibilisation et la création d'outils adaptés pour faciliter la vie quotidienne des personnes dyslexiques.
Crédits photo : Paul VanDerWerf (CC BY 2.0 )
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 30/08/2007
478 pages
Editions Odile Jacob
29,90 €
1 Commentaire
Jean-Philippe Senn
27/08/2024 à 11:47
Édifiant, merci !