Parce qu’ils avaient pris exemple sur le modèle de Jeux des Grecs et de l'Antiquité où les Arts avaient leur propre compétition, les Jeux olympiques comptèrent entre 1912 et 1948 des épreuves culturelles. Dont une de littérature qu’un certain Baron remporta en 1912. Or, lors des olympiades de 1924 à Paris, petit Pierre réunit des noms prestigieux pour juger de Lettres. Histoire de JO littéraires, hauts en couleur !
Le 26/07/2024 à 08:34 par Nicolas Gary
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26/07/2024 à 08:34
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Fondateur des Jeux, Pierre de Coubertin, instaura donc un pentathlon des Muses : cinq disciplines comptant architecture, littérature, musique, peinture, sculpture… et littérature. L’aventure s’arrêta rapidement : d’un côté, on demandait aux sportifs de rester amateurs, tandis que les artistes, eux, devenaient professionnels. La question du statut de l’écrivain résonnait-elle déjà en 1954 quand ces compétitions cessèrent ?
Dans les prémices de cette aventure, c’est bien le mens sana in corpore sano que le Baron entend illustrer : sports et arts, comme dans la Grèce antique, voilà le projet qu’il élabore avec la fondation du Comité international olympique en 1894.
Pedro avait déjà plusieurs cordes à son arc : arbitre de la finale du Championnat de France de rugby en 1892, il avait dessiné le Bouclier de Brennus, remis à l’équipe qui l’emporte. Et cette même année, il avait appelé à ce que reviennent des JO, lors d’un discours prononcé durant le 50e anniversaire d’une ancienne fédération sportive française — l’USFSA. Et il ne cessa d’œuvrer à cette grande réalisation, convaincue au point de prendre part aux épreuves littéraires – sous la bannière allemande toutefois et sous deux pseudonymes : Georges Hohrod et Martin Eschbath. Nous y reviendrons.
Derrière la moustache de jeune premier et une authentique élégance, rappelons en effet que Pierre débuta sa carrière chez les jésuites avant d’exercer brièvement comme juriste. Son Grand Œuvre fut l’éducation et cet équilibre entre le corps et l’esprit — mais pas pour toutes.
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« Une petite olympiade femelle à côté de la grande olympiade mâle. Où serait l’intérêt ? […] Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-olympiade féminine », déclarait-il en 1912.
Ainsi, il resta fermement opposé à la participation des femmes aux compétitions d’athlétisme de haut niveau jusqu’à la fin de sa vie. Malgré ses positions, le nombre de femmes aux Jeux olympiques a été multiplié par six sous sa présidence…
Déjà ses positions de colonialiste convaincu — en bon mâle blanc des classes aristocratiques de la IIIe République — font doucement rire jaune : « Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance », rapporte Pierre-Yves Boulongne dans sa thèse consacrée au bonhomme.
Fervent nationaliste, il exprima souvent des idées qui glorifiaient l’Empire colonial français. Il voyait les Jeux olympiques comme une plateforme pour renforcer le prestige national et promouvoir les valeurs occidentales.
D’ailleurs, l’homme à qui les Jeux doivent leur devise, « l’important, c’est de participer », avait une vision bien à lui de cette implication. Il voit dans le monde une dichotomie entre faibles et forts, les uns à écarter du monde, les autres destinés à une éducation qui les épanouira.
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Bien qu’il ait plaidé pour l’éducation de masse, Coubertin entretenait cette perspective élitiste de l’éducation physique, inspirée par les public schools britanniques réservées à l’élite sociale. Il croyait que le sport devait former une aristocratie de l’esprit et du corps.
S’étonnera-t-on alors d’apprendre que Coubertin, qui avait démissionné de son poste du CIO en 1925, s’exaltait devant un certain… Adolph Hitler ? Quand les JO de 1936 furent accordés à Berlin, sous la dictature du IIIe Reich, Pierrot s’enflamme : « Comment voudriez-vous que je répudie la célébration de la XIe Olympiade ? Puisqu’aussi bien cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement qu’ils ont connu ? »
S'il est salué pour la promotion de l’olympisme et des valeurs logiquement véhiculées, sa collaboration avec le dictateur allemand reste controversée. Que ce soit la donation honorifique, récemment dévoilée par les historiens – 10.000 Reichsmarks versés en mai 1936 – ou la promesse par Hitler à Coubertin d’une pension à vie en échange de son soutien aux Jeux de Berlin, que du beau. Corruption, vous avez dit corruption ?
En 1935, Coubertin a écrit une lettre à Hitler dans laquelle il exprimait son admiration pour le Führer. Cette correspondance a été souvent ignorée ou minimisée dans les recherches antérieures, mais elle révèle une dimension plus complexe des sentiments de Coubertin envers le régime nazi. En outre, ce dernier a tenté de promouvoir Coubertin pour le Prix Nobel de la Paix cette même année – l'initiative échouera au profit de Carl von Ossietzky, un pacifiste allemand emprisonné par les nazis.
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Il voyait l’Allemagne comme le gardien de l’olympisme et a proposé la création d’un institut pour l’étude permanente des Jeux olympiques à Berlin, où il a légué ses documents et projets inachevés. Cet institut a effectivement été fondé en 1938 et a reçu une reconnaissance indirecte du CIO.
D’aucuns se demanderont comment, sinon par un effort d’amnésie tout de même colossal, aura été créée la médaille Pierre de Coubertin ? On l’attribue à des athlètes ayant démontré l’esprit sportif, par excellence. Ensuite, la corruption au sein du CIO, c’est presque une épreuve olympique pour laquelle de nombreux participants se sont entraînés.
Étrange combien ce passé fut mis sous le tapis, au profit de cette image un peu trop magnifiée d’un Pierre de Coubertin porté par un élan humaniste. Certes, mais assez ciblé.
Quant à la question des lettres et des épreuves artistiques, il était initialement prévu d'organiser des compétitions artistiques pour les Jeux olympiques de 1908 à Rome. Cependant, les organisateurs italiens rencontrent des difficultés financières et renonceront à accueillir les JO. En 1907, le Comité International Olympique (CIO) désigne alors Londres pour les Jeux de 1908, mais le manque de temps contraint à abandonner les épreuves artistiques.
Pierre de Coubertin ne renonça pas à son ambition et insista pour inclure les événements artistiques dans le programme des Jeux olympiques de 1912 à Stockholm. Bien que les Suédois soient d'abord réticents, ils finissent par accepter. Le nombre de participants reste limité, avec seulement 35 artistes inscrits. C’est cette année que Coubertin obtint une médaille d’or en littérature, pour un texte – Ode au sport – à retrouver ci-dessous :
La règle était simple : 20.000 mots maximum pour l'œuvre, sans restriction de langue, , mais avec une traduction ou un résumé en anglais et/ou en français.
Aux Jeux olympiques de 1920, organisés dans une Belgique dévastée par la Première Guerre mondiale, les concours d’art sont de nouveau au programme, mais n’acquièrent toujours pas une grande importance. En revanche, lors des Jeux de 1924 à Paris, la compétition est dès le début prise au sérieux avec 193 candidats.
En France, 23 pays sont représentés et 189 œuvres sont exposées au public et soumises aux délibérations du jury. Parmi les participants figurent trois artistes soviétiques, bien que l’URSS ne prenne pas part aux Jeux, qu’elle considère comme un « festival bourgeois ». Par la suite, le combat cessa faute de combattants : après Londres en 48, et la professionnalisation des artistes, l'intérêt décroît. Si, en 1952 à Helsinki, ce volet était encore prévu, les organisateurs argueront que le temps leur manqua pour le préparer...
Depuis les Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, l’Olympiade Culturelle s'est imposée et propose pour chaque édition une programmation artistique ambitieuse. Pour Paris 2024, a été choisi de mettre en lumière l'Olympiade Culturelle à travers le lien entre l’art et le sport, ainsi que les valeurs olympiques et paralympiques telles que l’amitié, le respect, l’excellence, la détermination, l’égalité, l’inspiration et le courage.
Notons que deux ouvrages, JO d’été : Tous les médaillés français de 1896 à nos jours, par Stéphane Gachet (Talent éditions) et Les Jeux Olympiques de littérature Paris 1924, de Louis Chevaillier (Grasset), racontent pour partie l’histoire de la médaille olympique d’un Coubertin loin de l’image idéalisée. Mais également cette époque où les arts et les lettres avaient leurs épreuves… Des extraits de ces ouvrages sont proposés en fin d'article.
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 13/03/2024
265 pages
Grasset & Fasquelle
20,00 €
Paru le 29/11/2023
632 pages
Talent sport
26,90 €
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JJ
26/07/2024 à 09:35
Prendre les idées d'un illustre des temps jadis et les passer à la moulinette de notre époque... A ce compte-là personne n'en sort indemne.
Exemples... Qui a dit :
- Les peuples supérieurs ont le droit et même le devoir de civiliser les peuples inférieurs
- Quand nous prenons possession d’un pays, nous devons amener avec nous la gloire de la France, et soyez sûrs qu’on lui fera bon accueil, car elle est pure autant que grande, toute pénétrée de justice et de bonté
Indication : ces odieux suprémacistes colonialistes ont toujours en France des rues, voire des avenues à leurs noms ! Etonnant non ?
Ballotin
26/07/2024 à 12:35
"Quand les JO de 1936 furent accordés à Berlin, sous la dictature du IIIe Reich ..."
Non, mais à la République de Weimar (en 1931).
Nicolas Gary - ActuaLitté
27/07/2024 à 11:05
Bonjour
Je ne suis pas certain de vous suivre : le IIIe Reich débute bien en 1933, donc en 36 se trouve au pouvoir pour l'organisation des Jeux.
Ballotin
27/07/2024 à 12:26
L'article dit "accordés". Ils ont été accordés en 1931, donc avant 1933, donc avant le IIIe Reich.
Pour l'expliquer différemment : le Comité olympique à attribuer les Jeux à la République de Weimar (et non pas au IIIe Reich) en 1931, et puis les nazis sont arrivés en 1933 et les ont organisés.
Nicolas Gary - ActuaLitté
27/07/2024 à 20:42
Compris : les Jeux de 36 ont été accordés à Berlin, mais c'est “sous la dictature du IIIe Reich” que Pierrot s'est enflammé.
Nous parlons bien de la même temporalité.
Marioniet
27/07/2024 à 10:00
Grâce aux dieux, il n'a pas -encore- droit à la vindicte populiste !!! Croisons les doigts, et rions!
Rhemus
27/07/2024 à 11:04
Cet article est censuré par Facebook ! Je vous souhaite bien du plaisir avec la "nouvelle Liberté" !
Ralebol
27/07/2024 à 12:11
Normal.
Ras le bol des passions tristes des esprits chagrins !
Nico
29/07/2024 à 06:31
Il est bien dommage de ne pas savoir remettre en question, quand cela est justifié et argumenté par des preuves et des faits réels, les passages de l'histoire et de ses personnages tels que Napoléon ou encore Pierre de Coubertin et récemment l' Abbé Pierre. Quand bien même ils ont marqué l' histoire favorablement ou pas car tout ça est très subjectif on le droit aussi d'avoir une critique qui permet de rétablir quelques vérités.
Mais je m' aperçois de plus en plus que peu de monde est ouvert à la remise en question qu'elle soit personnelle, historique, scientifique ou encore politique. Un peu d'humilité pour accepter la critique quand elle fondé sur des vérités nous permetterais de nous améliorer toutes et tous.
JJ
29/07/2024 à 16:25
A ce stade (sans jeu de mot), je crois nécessaire de vous révéler qui a dit :
- Quand nous prenons possession d’un pays, nous devons amener avec nous la gloire de la France, et soyez sûrs qu’on lui fera bon accueil, car elle est pure autant que grande, toute pénétrée de justice et de bonté.
C'était le grand Jean Jaurès, un des héros de la gauche française.
Il est un peu facile, sinon ridicule, de choisir, quel que soit le bord politique, un politicien de l'autre bord, et de lui coller un procès avec des juges, des tribunaux et des preuves de notre époque.
La seule chose qu'une relecture patiente de notre Histoire devrait nous apporter, c'est la modestie. Au lieu de nous prendre pour des cadors de la morale. Car qui sait comment nous serons, vous, moi, notre époque, jugés dans un siècle ?
Je vous propose une expérience de pensée.
Hypothèse numéro 1 : l'antispécisme l'emporte. Caron sera vu en 2124 comme un prophète et Roussel, l'amateur de côte de boeuf au barbecue, comme un masculiniste révisionniste.
Hypothèse numéro 2 : le pays revient à des valeurs traditionnelles. Quid de nos wokistes et autres adeptes des luttes intersectionnelles ? Des terroristes mondains sans cervelle, des racistes déguisés en racialistes, des obscurantistes moyenâgeux.
Et après tout, nous, hommes de Cromagnon, devons peut-être notre survie au génocide des Neanderthaliens. Alors...
Vous savez ce qu'on dit sur le singe qui veut grimper au cocotier ?
nico
30/07/2024 à 06:34
Faut il pour autant banaliser le mal. Cela pourrait dire que si l 'histoire c'etait passée autrement non pourrions majoritairement glorifier Hitler? Non heureusement il y aura toujours les humaniste et progressiste qui protègeront les valeurs humaines et permettrons de réinterroger notre histoire pour nous améliorer. Cela passe par une critique ameliorative et donc accepter que nul n'est parfait.
GG
29/07/2024 à 10:26
Drôle d'époque où l'on déterre les morts pour leur faire des procès.
Anjo
29/07/2024 à 14:38
Eh oui, idem pour l'Abbé Pierre qui a "aussi" -mais de son vivant- vécu l'ignominie médiatique d
'avoir été l'ami de Garaudy , accusé à tort de révisionnisme.