Installée à Nantes depuis 1858, la Librairie Durance n'est plus une institution, mais un véritable patrimoine pour la Venise de l'Ouest. À la faveur d'une nouvelle extension de l'établissement, son gérant, Daniel Cousinard, évoque le passé, le présent et l'avenir de ce commerce.
Le 24/07/2024 à 16:07 par Antoine Oury
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Publié le :
24/07/2024 à 16:07
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166 ans d'existence, 70.000 références, 4 étages de livres en comptant le sous-sol, un effectif de 23 employés... Située sur le Cour des 50-otages, un des principaux axes de Nantes, la Librairie Durance reste ce délicieux labyrinthe dans lequel les lecteurs et lectrices aiment se perdre.
L'établissement atteint à présent les 600 m2, à l'occasion d'une extension, qui permettra aux rayons de se déployer largement et aux livres d'être encore mieux exposés.
Ce n'est plus si évident aujourd'hui — la façade fournit un petit indice malgré tout —, mais la Librairie Durance a longtemps été les librairies Durance. Les livres modernes, d'un côté, et les livres anciens de l'autre, soit deux établissements, chacun géré par un frère Durance.
La librairie de livres anciens est restée au sein de la famille du créateur grâce à la gérance de Loïc Robiou, époux d'une fille Durance. En 2017, il met toutefois fin à son activité et l'enseigne baisse le rideau, faute de repreneur. Mais la librairie de livres neufs, elle, garde ses portes ouvertes.
Elle reste d'ailleurs une institution nantaise, un délicieux labyrinthe fait de coins et de recoins, où quelques marches peuvent vous séparer d'une prochaine lecture. « Durance a grandi lentement mais sûrement, avec des bouts de locaux rachetés ça et là, souvent des petites surfaces », observe Daniel Cousinard, l'actuel gérant, qui a repris la librairie de livres neufs à son propre père, à la fin des années 2000.
La petite pièce où travaillait Loïc Robiou est venue, ce mois-ci, s'ajouter au patchwork formé par la Librairie Durance, qui gagne ainsi quelques mètres carrés supplémentaires, où sont alignés, notamment, des exemplaires de codes juridiques. « Cette nouvelle surface n'est pas immense, mais elle permet de donner plus de place aux différents rayons par un redéploiement. Nous mettons l'accent sur la littérature et les sciences humaines, car, après la fermeture de Vents d'Ouest [fin 2023, NdR], une demande s'est exprimée. »
Installée depuis plus d'un siècle, Durance a vu l'apparition et la disparition de plusieurs commerces du livre à Nantes, notamment la Librairie Beaufreton, fermée en 1998, ou Le Forum du livre, un temps exporté dans la ville. Longtemps, l'enseigne a été fréquentée pour son offre scolaire et universitaire, véritable image de marque du lieu.
« Quand j'ai repris la librairie, n'ayant pas une culture littéraire très forte, je me suis beaucoup appuyé sur les libraires en place, en leur laissant une grande autonomie », explique Daniel Cousinard. « La gratuité des manuels scolaires, puis les baisses régulières de l'activité du côté de l'universitaire ont fait prendre une nouvelle place à d'autres domaines, comme la littérature ou la jeunesse. »
Devenue une librairie plus franchement généraliste, Durance compte bien rester à son adresse historique, même si les étages et escaliers représentent « une contrainte en termes d'organisation, de présence des libraires sur la surface de vente ». Cependant, « cela lui donne un cachet plutôt apprécié, une ambiance de caverne d'Ali Baba où l'on peut se perdre », selon le gérant.
Autre particularité de l'enseigne, un rayon d'ouvrages en langues étrangères très développé, surtout pour l'anglais. « Cette librairie VO a été créée dans les années 1990, au moment d'une extension : un libraire, à l'époque, s'est lancé, avec un grand succès grâce à la demande des étudiants. Ensuite, l'effet Amazon s'est fait ressentir, mais une nouvelle vague émerge aujourd'hui. » La romance a en effet attiré de jeunes lecteurs vers la lecture en anglais, pour prendre de court les éditeurs français et découvrir plus rapidement les suites d'un récit.
« Nous importons directement ces ouvrages et nous pouvons donc fixer les prix de vente. Cela dit, nous essayons surtout, la plupart du temps, de conserver notre marge : compte tenu des ventes en ligne, nous ne pouvons pas trop monter les prix, et il faut de toute façon que l'achat reste accessible aux clients », détaille le gérant. Outre l'anglais, l'allemand, l'espagnol, l'italien sont représentés : « On aimerait faire de l'arabe, nous avons parfois un peu de japonais, et quelques autres raretés », précise-t-il.
L'assèchement des ventes scolaires et universitaires a également poussé Durance à développer un solide programme d'animations et de rencontres, « pour montrer que la librairie est dynamique, mais aussi parce qu'il est important, pour notre métier, de mettre en évidence certains auteurs, certaines collections, par exemple celle autour de Perec chez l'éditeur nantais L'Œil ébloui ».
Longtemps gérée par l'un des fils du fondateur de l'enseigne, Léon Durance, la librairie de livres neufs fut reprise à la fin des années 1950 par le père de Daniel Cousinard, « alors qu'elle rencontrait d'importantes difficultés, liées sans doute à une gestion un peu vieillissante ». Originaire de Normandie, ayant grandi à Pornic, le père de Daniel Cousinard s'était fait la main avec La Bonne Presse, une librairie religieuse située à proximité de la cathédrale de Nantes.
Il faudra encore quelques décennies avant que l'actuel gérant ne s'essaie au commerce du livre, « au début des années 1980, après mon bac, alors que je ne savais pas trop quoi faire... Je m'occupais des domaines plus techniques, notamment du rayon informatique. J'avais un profil plutôt scientifique, gestionnaire, je m'orientais vers les éléments organisationnels, les travaux... Je me suis pris au jeu, d'autant plus que le métier est assez prenant. »
Au fil des années, Daniel Cousinard a vu l'environnement changer, autour de la librairie d'abord : « Il y a 30 ou 40 ans, le centre-ville abritait plus de grands commerces et de voitures, quand la tendance est à présent à l'occupation plus paisible de l'espace et à la piétonnisation. Ce qui nous est finalement favorable : le livre est un bien facile à transporter, qui reste relativement accessible et que les clients peuvent donc acheter au passage. »
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Comme d'autres grandes librairies de centres-villes, Durance a vu se développer le phénomène du cliqué-retiré qui, à l'approche des fêtes de fin d'année, oblige même à l'ouverture d'une petite annexe...
Pour la librairie spécifiquement, les résultats de Durance restent stables, autour de 5,5 millions € annuels, « ce qui ne veut pas dire grand-chose, finalement », tempère Daniel Cousinard, « car des événements peuvent influer d'une manière importante sur ce chiffre ». L'année 2021, à ce titre, aura ici aussi été « un peu miraculeuse, comme si l'on avait ouvert une petite extension de la librairie ».
Quand la profession s'inquiète d'une hausse des charges et d'une contraction des achats de livres, la Librairie Durance reste relativement protégée, selon son gérant, grâce à ses 160 années d'existence. « En tant que librairie historique, dans une ville assez vivante, nous ne sommes pas les plus exposés, mais les petites librairies, plus récentes, risquent de souffrir de cette situation », estime-t-il.
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Touchée malgré tout par l'inflation, l'enseigne « fait avec », en s'appliquant surtout, pour l'instant, à réduire sa consommation énergétique et sa production de déchets, par l'installation de LED et par le tri ou le réemploi des emballages.
Les flux de transport des ouvrages font aussi l'objet d'une attention particulière des libraires, « qui, responsables des achats et des retours, ont une motivation naturelle à être vigilants. Cependant, en tant que librairie généraliste, dans une grande ville, avec un public extrêmement varié, nous devons avoir un assortiment suffisamment large, pour que chacun y trouve son compte. »
Présent aux Rencontres nationales de la librairie du mois de juin dernier, Daniel Cousinard aura, comme ses collègues, entendu les inquiétudes du Syndicat de la librairie française. Notamment sur la surproduction de livres, dont il a, comme tous les libraires aujourd'hui, bien conscience : « La logique de l'office pour faire de la trésorerie est un peu passée chez les éditeurs et les distributeurs, je pense, mais nous avons parfois l'impression d'être face à une production trop pléthorique, tout de même. »
Photographies : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
2 Commentaires
Rambaud marti nicole
26/07/2024 à 18:55
Très bon souvenir de mon apprentissage avec Mr Durance et mr Robiou en 1969.
Départ pour la librairie baufreton
J aimerais retrouver ou avoir des nouvelles de GAELLE …….. une collègue
De l époque
Remerciements
Nicole Marti Rambaud
catherine Bouvier
27/07/2024 à 11:19
Une Librairie au grand cœur !
Un partenariat avec Le Collectif Nantais du Refus de la Misère offre aux personnes précaires des bons, appelés "Un Livre en attente"qui permet d'entrer, de feuilleter, de choisir un ou plusieurs livres au choix de chacune et chacun.
Un grand bonheur pour 25 personnes !
Et depuis déjà plusieurs années, don de dizaines de livres lors du 17 Octobre, Journée Mondiale du Refus de la Misère et fêtée Place du Bouffay le Samedi proche du 17 Octobre.
Un Grand Merci à Mr Cousinard et à toute son équipe ! ❤️