Les Hugo Awards se relèveront-ils de cette crise ? Rien n'est moins sûr. Les soupçons de censure politique de certains auteurs nommés pour ces prestigieux prix des littératures de l'imaginaire se sont en effet confirmés, après les aveux d'une membre de l'équipe d'administrateurs de la dernière édition en date, qui s'est déroulée en Chine.
Le 16/02/2024 à 16:15 par Antoine Oury
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Publié le :
16/02/2024 à 16:15
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Le 20 janvier dernier, la publication des statistiques détaillées des œuvres nommées et lauréates des Hugo Awards 2023 avait révélé un certain nombre de curiosités. Certains titres en lice pour tel ou tel prix apparaissaient en effet « non éligibles » sur les documents, sans aucune explication.
Rapidement, des soupçons de censure ont émergé. La World Science Fiction Convention, lors de laquelle sont remis les Hugo Awards, s'est en effet déroulée en 2023 à Chengdu, en Chine. Et la République populaire n'est pas réputée pour sa liberté de parole, en particulier à l'encontre des responsables politiques.
Parmi les personnalités écartées, plusieurs grands noms de la science-fiction, dont R.F. Kuang, autrice sino-américaine connue pour La Guerre du pavot (traduction de Yannis Urano, Actes Sud), dont le dernier ouvrage, Babel, n'a pas pu concourir dans la catégorie Meilleur roman de l'année. « Exclure des œuvres “indésirables” n'est pas seulement embarrassant pour toutes les parties impliquées, cela rend aussi toute l'organisation et le processus de sélection illégitimes. Dommage », notait-elle.
Autre victime, l'auteurice sino-canadienne Xiran Jay Zhao, labellisés « inéligibles », qui avaient évoqué leur expérience de la Chine dans plusieurs interventions publiques autour de leur livre Zachary Ying and the Dragon Emperor. Et certains propos auraient pu déplaire aux commissaires politiques, sans aucun doute...
Cette thèse assez crédible de la censure politique de certains auteurs et œuvres s'est finalement confirmée, grâce aux informations communiquées par une administratrice au site spécialisé File 770. Ce dernier a dévoilé des éléments qui mettent en cause « des administrateurs du prix basés aux États-Unis et au Canada, lesquels ont recherché des reproches politiques à faire aux auteurs et œuvres éligibles aux Hugo ».
Diane Lacey, elle-même membre de l'équipe d'administration des Hugo Awards, est à l'origine de ces fuites d'emails et de documents.
Laissez-moi commencer en soulignant que je ne me cherche pas d'excuses, puisqu'il n'est pas possible d'en avoir. Je suis profondément honteuse de ma participation à cette catastrophe, et je ne me pardonnerai sûrement jamais.
– Courrier de l'administratrice Diane Lacey au site File 770
Dans un des emails partagés par l'administratrice, le directeur de l'équipe Dave McCarty écrit : « Nous devons relever tous les éléments politiquement sensibles au sein des œuvres. Il n'est pas nécessaire de tout lire, mais si le texte porte sur la Chine, Taïwan, le Tibet ou les autres sujets sensibles en Chine... Il faut les prendre en compte, pour que nous puissions déterminer si nous pouvons les rendre éligibles ou si la loi nous imposera de prendre une décision administrative à leur sujet. »
Le 5 juin 2023, il ajoute Hong Kong à la liste des sujets visés, ainsi que tous les éléments négatifs sur la Chine en général.
Outre les œuvres, les biographies et agissements des auteurs ont été observés par les administrateurs. Sélectionné dans la catégorie « Fan Writer », l'auteur américain Paul Weimer semble avoir été écarté pour un voyage au Tibet. Sauf qu'il ne s'est rendu qu'au Népal... « Nous ne sommes même pas face à une censure politique compétente, seulement des conneries totalement au pif », a souligné l'intéressé.
Les révélations constituent un nouveau coup de tonnerre dans le monde des littératures de l'imaginaire, et remettent en cause — encore — la légitimité des Hugo Awards. Début février, plusieurs sanctions avaient été prises contre les responsables des Hugo Awards 2023.
Sur le site officiel des Hugo Awards, Esther MacCallum-Stewart, directrice de l'équipe d'administrateur pour la World Science Fiction Convention de 2024, attendue à Glasgow, en Écosse, a « présenté ses excuses » pour les dégâts infligés aux nommés, aux lauréats et aux lecteurs et lectrices.
Elle indique dans un communiqué que Kat Jones, administratrice lors de la WorldCon 2023, a été mise à pied de l'équipe 2024, étant donnée son implication dans le processus de censure révélé par les emails. MacCallum-Stewart se démène par ailleurs pour garantir la transparence des Hugo Awards 2024, et promet la publication de tous les documents sur les coulisses des récompenses...
Photographie : illustration, Jennifer Moo, CC BY-ND 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
3 Commentaires
Lyo
17/02/2024 à 08:43
Ce qui me frappe, c'est que RF Kuang, prend beaucoup d'éléments de la Chine pour écrire ses livres, au point qu'on peut même y voir une haine du Japon. Ses livres évoquent pas mal le colonialisme des anglais et le racisme.
Ça m'étonnerait beaucoup que la Chine la censure. Une vraie équipe de bras cassé ceux qui ont géré les Hugo. C'est vrai qu'il y a beaucoup de censure en Chine, mais un auteur comme Liu Cixin a pu publier ses livres alors qu'il critique énormément de choses et il n'est pas le seul .
Le pire, c'est que j'ai pas l'impression qu'il y ait eu des consignes particulières de la Chine sur les Hugo et que c'est l'équipe qui gère ce prix qui a pris l'initiative d'elle-même.
Un bel exemple sur la rapidité à laquelle une censure peut se mettre en place.
Marie
19/02/2024 à 08:24
Il n'y a pas si longtemps la pétition lancée par Libération à l'encontre de l'écrivain Sylvain Tesson n'était-elle pas , au fond, une tentative de censure "politique"? Bien que , c''est vrai, tout l'oeuvre du voyageur poète soit publié...
Thierry Reboud
20/02/2024 à 00:38
Vous auriez dû lire la tribune (ce n'était pas une pétition) : elle demandait que le Printemps des poètes ne soit pas placé sous le parrainage de Tesson, elle ne demandait absolument pas qu'il soit censuré.
Si vous l'aviez lue, ça vous aurait évité d'écrire un commentaire au moins aussi bête que la tribune en question. Avouez que ce n'est vraiment pas de bol.