« Actes d’intimidation et de représailles, le régime de Hanoi dans le viseur des Nations Unies, au Conseil des Droits de l’Homme. Viet Nam, quelle réalité ? », s’interroge Nguyên Hoàng Bao Viêt, Président du Centre Suisse romand de PEN Interaational et Délégué du Comité de Défense des Écrivaines et des Écrivains persécutés dans nos colonnes. Il nous adresse un texte, puissant et dénonciateur, d’une politique de répression aujourd’hui à l’œuvre.
Le 24/09/2019 à 12:05 par Auteur invité
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24/09/2019 à 12:05
Initialement ce texte devait être lu lors d'une conférence internationale qui tiendra lieu dans la capitale d'un pays en Asie. Finalement, il a été décidé de renoncer à participer à cette conférence en raison des problèmes de l'éthique et de la morale. Voici le texte de Nguyên Hoàng Bao Viêt, dans son intégralité :
À l'occasion de l'ouverture de la 42e session du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies, le 9 septembre 2019, le Secrétaire Général de l’ONU António Guterres a publié son rapport annuel faisant état d’actes d’intimidation ou de représailles commis par des gouvernements et des acteurs non étatiques dans 38 Etats du monde.
Les victimes sont des personnes ou des groupes, des activistes de la société civile qui tentent de coopérer, coopèrent ou ont coopéré avec l’ONU, ses représentants et ses mécanismes dans le domaine des droits de l’homme. Les actes d'intimidation ou de représailles dénoncés incluent : campagnes de diffamation, surveillance, détention arbitraire, torture, enlèvement ou meurtre, interdiction de sortie du pays, etc. Des autorités menacent et harcèlent des membres de famille des victimes.
La République Socialiste du Viet Nam (RSV) se trouve parmi les premiers régimes incriminés en termes de nombre de cas individuels évoqués (Réf. Rapports 2013, 2014, 2016 et 2019). Le Secrétaire Général de l’ONU affirme que « de tels actes sont contraires aux principes mêmes de l’ONU et doivent cesser. Le monde a le devoir de veiller au respect du droit de participation des personnes qui défendent les droits de l’homme avec courage et qui ont répondu aux demandes d’information et de collaboration avec l’ONU ».
Le Viet Nam dans le viseur de l’ONU, pas seulement à cause de ses Actes d’intimidation et de représailles. Membre de la Communauté des Etats Francophones, la RSV devient de plus en plus brutale, répressive, intolérante. Lors de son 3ème Examen Périodique Universel en 2019, sur les 291 recommandations formulées par 122 Etats membres de l’ONU, la RSV a rejeté 50 recommandations. Par ce refus, la RSV ne s’engage plus à assurer l'exercice du droit à la liberté d'expression et d’opinion, d’association et de réunion pacifiques.
Elle ne révisera les dispositions de « sécurité nationale » et la loi sur la cyber sécurité. Ou encore, elle ne libèrera tous les prisonniers d’opinion, de conscience et des droits humains et de l’environnement ; elle n’interdira pas la torture, les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les disparitions forcées à l’intérieur du pays et à l’étranger ne seront pas stoppées. Pour rappel, des fugitifs vietnamiens ont été enlevés et amenés secrètement jusqu’à Hanoi. L’un d’eux, enlevé en plein jour à Berlin, en Allemagne, un autre, Truong Duy Nhat, journaliste connu, disparu à Bangkok, en Thailande, après avoir contacté le HCR début 2019.
Les fugitifs kidnappés sont en prison depuis leur « retour forcé ». Après ces enlèvements, les réfugiés « boatpeople », les dissidents et les anciens prisonniers vietnamiens en exil vivant en Europe et en Asie du Sud-Est ne se sentent plus en sécurité.
La peine de mort reste intouchable au Viet Nam. Selon Amnesty International, en 2018, la RSV occupe la 3ème place mondiale (85 personnes exécutées) derrière l’Iran (253), l’Arabie saoudite (149) et avant l’Irak (52). Les données sur la peine de mort sont classées « secrets d’État » au Viet Nam. La Chine continue à procéder secrètement à des « milliiers » d’exécutions de condamnés à mort. La peine capitale doit être considérée comme une menace très grave pour la liberté d’expression au Viet Nam et un terrible facteur d’intimidation. Parce que c’est l’ultime et barbare forme de censure.
Dans le passé, l’opinion internationale a sauvé la vie de certains condamnés à mort. Parmi les rares rescapés de l’enfer nommé « goulag vietnamien », on se rappellera Thich Tue Sy, moine bouddhiste, érudit, auteur philosophique, traducteur et poète de renom, professeur de l’Institut Universitaire Bouddhiste Van Hanh, membre honoraire d’un Centre PEN International. Arrêté en 1984 et condamné à mort en 1988, il a vu sa peine commuée en réclusion à perpétuité. Finalement, il avait purgé plus de dix ans de prison.
Dans cet État vietnamien à parti unique, la presse écrite et les médias audiovisuels libres sont inexistants, Les maisons d’édition privées et les organisations des droits de l’homme indépendantes y sont illégales. La RSV se classe au 176ème rang sur 180 pays dans le classement mondial 2019 de la liberté de la presse établi par Reporters Sans Frontières.
La RSV continue à incriminer et imprisonner des écrivains, des journalistes et des blogueurs indépendants, des dissidents sociaux et politiques, des avocats et défenseurs des droits humains et de l’environnement. Sans oublier des membres des Eglises ou des religions non reconnues. Durant les 24 derniers mois, plusieurs dizaines de femmes et d’hommes ont été condamnés à de lourdes peines allant jusqu’à 20 ans de prison, à l’issue de procès non équitables. Une parodie de justice.
Les tribunaux du « peuple », ne respectent jamais les droits de la défense et l’indépendance des juges. Absence flagrante de témoins et de preuves. En plus, des détentions préventives sans limite et des incarcérations incommunicado prolongées. La RSV persiste à invoquer l’article 109 du Code pénal CP2015 (Activités visant à renverser l’administration du peuple), 116 du CP2015 (Entrave à la mise en œuvre des politiques de solidarité), 117 du CP2015 (Propagande contre la RSV), 318 du CP2015 (Trouble à l’ordre public) pour inculper et condamner ses victimes.
Dans les camps de concentration au travail forcé, les prisonniers sont punis par la mise en isolement. Mal nourris et privés de soins médicaux, les victimes de la répression ont été agressés, humiliés et menacés par des internés de droit commun. Depuis début juin 2019, plusieurs prisonniers d’opinion, de conscience et des droits humains ont entamé une grève de la faim pour protester contre les conditions de détention humiliantes et effroyables. Surtout dans les camps situés au cœur des régions centrales où l’hiver est très rude et l’été est brûlant et étouffant, tels le camp no 5 à Thanh Hoa et le camp no 6 à Nghê An.
Comment ne pas être choquée et indignée par la brutalité des agressions rapportées : l’après-midi du 12 juillet 2019, à Genève, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies achevait sa 41ème session alors qu’à Nghê An, au Viet Nam, un groupe de proches, d’épouses et de parents de prisonniers du camp n°6 a été violemment attaqué et gravement blessé par des voyous et agents en civil. En fait, les victimes ont été battues lorsqu’elles se rendaient au camp n°6 pour exprimer de manière pacifique leur soutien affectif aux prisonniers en grève de la faim.
Le Comité de Défense des Écrivaines et des Écrivains persécutés du Centre PEN Suisse Romand s’inquiète vivement du maintien en prison de Tran Huynh Duy Thuc et Mme Tran Thi Nga — parmi tant d’autres (liste non exhaustive des prisonniers établie par la Ligue Vietnamienne des Droits de l’Homme) :
– Tran Huynh Duy Thuc, poète, blogueur et écrivain en ligne. Coauteur de l’ouvrage interdit La Voie du Viêt Nam, il a également publié des poèmes et des articles sur ses divers blogues. Arrêté en mai 2009, il a été condamné en janvier 2010 à 16 ans de prison et à 5 ans de détention probatoire pour « avoir violé les articles 117 et 109 du Code pénal ». En mai 2016, il a été déporté dans un camp situé à 1400 km environ de la ville où vit sa famille. Son état de santé serait affectée par ses conditions de détention. En plus des grèves de la faim entamées contre sa peine injuste et illégale. Il a maintes fois refusé de partir en exil, la condition de sa libération anticipée. Il plaide toujours non coupable.
– Tran Thi Nga, nom de plume Thuy Nga, blogueuse, défenseuse des droits humains, membre de l’Association des femmes vietnamiennes pour les droits humains, une association qui soutient et assiste les prisonniers d’opinion et de conscience. Elle est connue pour défendre les victimes d’expropriation illicite de terrains. Elle a manifesté contre les présumés coupables et complices d’une vaste pollution maritime sans précédent en avril 2016. Arrêtée le 21 janvier 2017, elle a été condamnée en juillet 2017 à 9 ans de prison et à 5 ans de détention probatoire pour « avoir violé l’article 117 du Code pénal ». En février 2018, elle a été déportée dans un camp situé à plus de 1000 km de la ville où résident ses deux enfants. Elle aurait des problèmes de santé.
Tran Huynh Duy Thuc et Tran Thi Nga sont deux « cas représentatifs » connus depuis de longues années. Pour leur résistance non-violente contre un triste sort injuste, leurs lourdes peines de prison, leurs souffrances (et celles de leurs proches), leur admirable courage dans la défense de la liberté d’expression, de la dignité de l’être humain. Pour protéger la justice sociale contre « le fléau endémique de la corruption », « l’abus du pouvoir », « le culte de l’impunité », pour soulager l’environnement en détresse, secourir les enfants, les femmes, les hommes affamés, assoiffés, sans toit et sans voix. Pour construire des ponts de la tolérance et de la paix...
Pour sauvegarder leur langue maternelle — la langue vietnamienne — et leur culture jadis florissante, en voie d’aliénation. Par ailleurs, le gouvernement de la RSV traite les prisonniers comme des otages. Il condamne des défenseurs des droits humains et de l’environnement à de très lourdes peines de prison (5, 10, 15, 20 ans en 2018-2019). Il négocie discrètement avec certains États démocratiques pour échanger ces otages contre des aides économiques ou militaires.
Il fait pression sur les prisonniers pour qu’ils ou elles acceptent de vivre en exil forcé à l’étranger, sans espoir de retour, alors que leur peine ne sera que suspendue et non annulée.
Comment le Comité de Défense des Écrivaines et des Écrivains persécutés peut-il démissionner et se murer dans le silence face à une telle situation au Viet Nam ou dans n’importe quel pays du monde?. Quand l’intolérance, l’injustice et la barbarie deviennent Loi d’État… À espérer que de telles réalités, tristes et révoltantes, celles des États réputés pour leur très mauvaise conduite, défilent un jour dans le viseur des Nations Unies, au Conseil des Droits de l’Homme ?
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