#MontmorillonLivre23 – Voltaire en était convaincu : au bout de la sagesse, il faut « cultiver son jardin ». Ce dernier avait même créé son propre jardin à Ferney. Si l’opposition fut rude entre le philosophe et son rival suisse, Jean-Jacques Rousseau, il se retrouvait sur la vertu de ses espaces retouchés. L’auteur des Confessions pointe leur nécessité dans l’éducation. Gilles Clément ne démentira pas les deux grandes figures du XVIIIe siècle, en tant que l’un des plus importants penseurs et créateurs de ces territoires, entre nature et culture.
Le 03/06/2023 à 18:16 par Hocine Bouhadjera
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03/06/2023 à 18:16
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En ouverture des Rencontres de Montmorillon a été projeté le documentaire de 2013, Gilles Clément, le jardin en mouvement, avant un entretien avec celui qui s’est toujours inscrit entre science et imaginaire. Une discussion animée par Jean-Luc Terradillos.
Le jardinier, paysagiste, botaniste, entomologiste, biologiste, dessinateur et écrivain de 79 ans a réalisé plus d’une trentaine de jardins publics à Paris en Suisse et au Chili : du Jardin du musée du quai Branly à Paris, avec Patrick Blanc et Jean Nouvel, en passant par le Parc André-Citroën à Paris, en collaboration toujours, jusqu’aux Jardins de l’Arche à la Défense. Voici l’œuvre « Mainstream » de l’un des jardiniers les plus respectés aujourd’hui, mais ses plus belles trouvailles se nomment Le jardin en mouvement, Le jardin planétaire ou Le tiers-paysage.
Le lecteur de Philippe Descola et Baptiste Morizot est de ceux qui ont remis en cause l’art des jardins à la fin du XXe siècle. Certaines de ces créations rendent de curieux résultats, sauvages, sans jardinier. Enfin presque, car l’esprit du jardin en mouvement, c’est décider de garder ou de ne pas garder certains végétaux, spontanément venus sur le terrain.
Avec une règle : jamais de produits chimiques, acceptant l’improvisation au fil des formes qui se renouvellent, et des saisons qui s’enchaînent, inconstantes. « Faire le plus possible avec, le moins possible contre », affirme Gilles Clément à la suite de Nietzsche. Les ronces peuvent être éléments du jardin, et même rendre une beauté.
L’arbre en tant que symbole est parfait : il engendre des feuilles qui tombent et nourrissent les racines en se décompensant. Tout penser à la base pour son recyclage.
- Gilles Clément, le jardin en mouvement
Son concept est exposé dans son célèbre ouvrage, Le jardin en mouvement, imprimé en 1991 chez Sens & Tonka, et dont la 6e édition a été publiée en 2017. Parmi les jardins appliquant cette doctrine non doctrinaire, le premier fut réalisé sur ses propres terres, La Vallée, dans la Creuse, d’abord à taton. On citera encore l’étonnant Parc Matisse à Lille, au pied de la gare Euralille. Un îlot d’anarchisme organisateur entouré de haut-immeubles. Le jardin ne se résume donc pas à un carré vert, il peut être le lieu d'utopies.
Le parc est composé de trois entités, parmi lesquelles l’île Derborence, perchée à 7m de haut au centre du parc, à nouveau basé sur cette valorisation d’une végétation qui vient par elle-même, « avec sa diversité ». Elle a été nommée en référence au grand auteur suisse, Charles Ferdinand Ramuz, et son récit autour de la forêt Derborence dans le Valais. Gilles Clément à présent se désole : « L’île est aujourd’hui cachée par des arbres plantés tout autour », et d’ajouter, non sans humour : « Il faudrait qu’on y aille un jour avec une tronçonneuse. » Face aux critiques devant ces types de projets des plus iconoclastes, il défend qu’ « il faut expliquer pourquoi ça existe, l’intelligibilité du contexte. Après avoir compris, on peut alors véritablement choisir. »
Parmi ses autres belles réalisations, l’une des plus célèbres est le Domaine du Rayol, Le jardin des méditerranées, situé dans le Var. Il propose plusieurs jardins qui recréent des climats méditerranéens présents dans le monde : Californie, Chili, Afrique du Sud, Australie… Rappelant que l’ambition d’un jardin botanique est de montrer un paysage et non une plante.
Celui qui vit dans une cabane de pierre au milieu des bois de la Creuse confie être entré dans les jardins par sa passion pour les insectes. Vint ensuite le jardin potager, avec l’idée d’une relative autonomie. Il construisit également sa philosophie à travers de nombreux voyages à travers le monde. Au Cameroun, il découvre avec son équipe des insectes encore inconnus, dont l’un porte son nom.
Logique donc qu’il fut le concepteur du Jardin planétaire, là encore, décrit dans un essai devenu célèbre du même nom, écrit avec Claude Éveno. Il a été édité chez L’Aube/Château-Vallon en 1997 : « Nous vivons sur une planète qui est ou peut être une sorte de jardin sans mur mais néanmoins fini : l’enclos planétaire, qui n’est autre que la biosphère, dans un monde spatialement et volumétriquement fini et limité, occupé par des jardiniers plus ou moins bons et responsables (l’humanité). » Une exposition sur Le Jardin planétaire fut par ailleurs organisée en 1999 à la grande halle de la Villette.
Aujourd’hui, il existe des écoles du Jardin planétaire. À La Réunion, et une dernière en date dans l’Université de Limoges, donc diplômante. Une troisième est en train de se former à Saline royale d’Arc-et-Senans, confie Gilles Clément. La toute première, née en 2011 et fermée à présent, s’est située à Viry-Châtillon, quand le gendre de Jean-Luc Mélenchon, Gabriel Amard, en était encore Président de la Communauté d'agglomération Les Lacs de l’Essonne.
Un autre concept, résolument révolutionnaire dans ses inspirations et son principe passe une nouvelle étape dans la radicalité — dans le sens de prendre à la racine -, Le tiers paysage. Partout où l’activité est plus que réduite, comme les friches, les tourbières, les bas-côtés des routes, se trouve « le paysage de la diversité », face au sombre des forêts et la lumière des prairies. Ce « 3e paysage » ne donne pas d'homogénéité plastique, mais possède cette « diversité en commun ».
Cette notion de tiers ne provient pas du tiers monde, mais du tiers état, avec en tête cette réflexion de l’abbé Sieyès : « Qu’est-ce que le Tiers État ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À être quelque chose. »
Gilles Clément est formel : « Le paysage est très menacé », et face à cet état de fait, il faut se battre contre la disparition des espèces. Le manifeste du tiers-paysage, traduit en plusieurs langues, a été édité pour la première fois en 2004 chez Sujet Objet, avant d’être réédité aux éditions Sens & Tonka en 2014.
Parmi les projets qui matérialisa les principes du manifeste, on peut citer, Le Jardin du Tiers-Paysage , sur le toit de la base sous-marine de Saint-Nazaire, ouvert au public en 1998, autant œuvre d’art que concept éthique. Gilles Clément y voit « un lieu de résistance » capable d’accueillir la diversité écologique de l’estuaire. L’espace y est construit en triptyque.
On retrouve cette révolte dans le projet du Jardin d’eau - Jardin d’orties, créé lors de la Biennale internationale d’art contemporain de Melle dans les Deux-Sèvres en 2007, sous la dénomination d’Eau, air, terre : la sagesse du jardinier. Son premier « jardin de résistance ».
Le professeur à l’École Nationale Supérieure du Paysage à Versailles (ENSP) défend avec ce projet « la nécessité de traiter les eaux polluées et d’instruire un programme de gestion agricole respectueux de l’environnement ». Le Jardin d’orties permet de fabriquer du purin d’ortie utilisé en jardinage biologique pour renforcer l’immunité des végétaux et éviter le recours aux traitements chimiques.
Ce jardin fut une réponse à la loi d’interdiction des « préparations naturelles peu préoccupantes » (PNPP), où s’inscrit le purin d’ortie. Une mesure aujourd’hui abrogée.
Gilles Clément est en revanche pleins d’espoirs pour la suite, et de citer sa rencontre avec les étudiants de l’établissement public d’enseignement agricole de Montmorillon, l’EPLEFPA : « Ils veulent changer de mode de vie, et ont une conscience aiguë de la préséance du vivant », décrit l’auteur de l’Éloge des vagabondes (réédité dans la collection Arion de Robert Laffont en mars 2023).
Et de reprendre la comparaison de Baptiste Morizot au sujet des oursons métis : « Les enfants des grizzlis croisent à présent des ours polaires par le produit du réchauffement climatique qui les a réunis, et s’accouplent. Face à cette nouvelle donne, ce sont les enfants qui expliquent aux parents stressés et fatigués comment survivre. »
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Et de continuer : « De la même manière, on doit demander aujourd’hui aux étudiants et aux jeunes : “Comment faire pour changer nos modes de vie”. » Les discours engagés de certains diplômés d’AgroParisTech l’année dernière sont l’un des espoirs pour un avenir plus raisonné.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
DOSSIER - La littérature à Montmorillon, sous la présidence de Franck Bouysse
Par Hocine Bouhadjera
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