Les services de renseignement américains possèdent la plus grande bibliothèque d’encre au monde, avec plus de 12.000 échantillons à leur disposition. Grâce à ce fonds inestimable, les enquêteurs résolvent des affaires criminelles et identifient les faux documents.
Antonio Cantu, qui était un enquêteur et l’ancien chimiste en chef des services secrets, a commencé à prélever des échantillons il y a plusieurs dizaines d’années. Il ouvre cette bibliothèque très spéciale de manière informelle en 1968, des décennies avant son officialisation en 2019. Ce lieu, au sein du quartier général des services secrets, à Washington, lui a d'ailleurs été dédié, après son décès brutal en 2018, relève l'Associated Press.
Après sa mort, sa collègue Kathleen Storer a découvert et exploré plus de 16 cartons de livres qu’il avait acquis, avec des titres tels que The Story of Papermaking (L’histoire de la fabrication du papier), What Wood is That ? (De quel bois s’agit-il ?) et Pulp and Paper Manufacturing (La fabrication de la pâte à papier). Les traces d'une véritable passion pour le sujet...
« Il y a une quinzaine d’années, nous avons commencé à entendre : “Oh, cela va disparaître, tout le monde utilise des ordinateurs”, mais ce n’est pas vrai. L’écriture manuscrite, les documents rédigés constituent toujours une part importante d’une enquête », explique Scott Walters, analyste judiciaire depuis plus de vingt ans.
Selon Popular Mechanics, la bibliothèque numérise actuellement son catalogue afin d’accélérer les mises en correspondance de ses produits et de partager des informations.
Ce service a de nombreuses réussites à son actif. Il étudie une grande variété de cas, jusqu'à 500 par an environ : lettres de menace, de rançon, faux documents… L’équipe traite régulièrement de la contrefaçon à domicile de billets de 20 $, à l’aide d’un système à jet d’encre. La directrice du laboratoire, Kelli Lewis, ajoute : « À mesure que la numérisation du monde progresse, les gens impriment de la monnaie sur leur ordinateur personnel. Nous avons dû évoluer avec la bibliothèque. »
Grâce à la datation statique des encres, ces professionnels déterminent quand elles ont été commercialisées pour la première fois. Il s’agit du type de demande d’enquête le plus courant.
Ainsi, il y a quelques années, les spécialistes ont analysé une lettre censée avoir été écrite par Abraham Lincoln, afin de découvrir si l’encre datait du XIXe ou du XXe siècle. Ils ont également découvert qu’une balle de baseball, prétendument dédicacée par Babe Ruth (1895-1948), avait été signée avec un produit qui n’existait pas encore à l’époque où il jouait...
D’autres enquêtes sont plus importantes, comme la fusillade de 2002 à Washington : l'assassin a laissé une carte de tarot usée représentant la Mort, sur laquelle figurait l'inscription « Je suis Dieu ». Cantu et son équipe ont travaillé sur les échantillons et contribué à élucider l’affaire.
Les analystes de la bibliothèque procèdent à trois examens différents. Le premier, le test physique, fait le point sur le type et la couleur du produit. Ensuite, les enquêteurs observent le document à la lumière ultraviolette et infrarouge pour voir comment les composants réagissent.
« En dehors du spectre visible, certaines encres disparaissent et deviennent transparentes », explique Joseph Stephens, l’un des analystes. « D’autres absorbent. Nous pouvons déterminer leur nombre et leur type afin de les classer par catégories. » Le dernier niveau est chimique : à l’aide de solvants, ils séparent les différentes bandes de couleur ou les colorants.
Pour obtenir une image complète, ils inspectent également le papier ainsi que le document dans son ensemble, à la recherche de filigranes, d’azurants, de marques ou de défauts. Ces éléments aident notamment à retracer la machine qui a imprimé l’écrit.
Crédits photo : Cheryl Brind (CC BY 2.0) / Kenneth Moyle (CC BY-NC 2.0)
Par Zoé Picard
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